Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Restauration (suite)

Cette société a tous les caractères d’une société de transition. Tantôt l’endogamie géographique et professionnelle l’emporte, témoignant de la persistance des usages anciens et de l’enracinement des coutumes. Tantôt, au contraire, dominent de rapides transferts catégoriels : en mal de considération, le fils de marchand se fait avocat, médecin, le plus souvent propriétaire-rentier. Même constatation dans les comportements démographiques. Si la natalité reste forte (aux environs de 30 p. 1 000), elle tend à diminuer, et la bourgeoisie adopte des attitudes malthusiennes. La mortalité, surtout la mortalité infantile, demeure élevée (25 p. 1 000 contre 12 p. 1 000 de nos jours), conséquence de l’insuffisance des subsistances, de l’absence d’hygiène et des carences médicales. La première des distinctions sociales est bien l’inégalité devant la mort, qui privilégie le hobereau par rapport au métayer, le bourgeois par rapport à l’ouvrier.


La noblesse

Elle demeure la classe dirigeante. La Charte proclame que « la noblesse ancienne reprend ses titres et que la nouvelle conserve les siens ». Mais le régime favorise ouvertement ses fidèles. Les plus grands noms de France monopolisent les hautes charges, les ministères, le haut clergé (Montmorency, Clermont-Tonnerre, Richelieu). Certes, cette noblesse n’est pas homogène. Les revers de fortune ont durement atteint les petits gentilshommes de province, qui réclament — et obtiennent — fonctions, grades et pensions, dans la limite des possibilités budgétaires. La nécessité de tenir son rang grève dangereusement les revenus d’une classe dont l’essentiel de la fortune réside dans la propriété foncière, touchée par la baisse des revenus agricoles. De plus, une opposition de nature politique divise nobles libéraux (La Fayette, Molé) et ultras (La Bourdonnais, Montmorency). La haine de la droite contre Decazes procède autant de l’hostilité à sa politique que de sa condition de parvenu. Le genre de vie de la noblesse s’est considérablement modifié. La vie de Cour a perdu ses attraits. Louis XVIII et Charles X sont des vieillards, peu enclins à entretenir un train de fêtes et de réceptions. Les Tuileries ne sont pas Versailles, et d’ailleurs la liste civile interdit le gaspillage. La plupart des nobles résident sur leurs terres. Leur vie s’organise dans les châteaux et les manoirs, autour de la lecture, du jeu, de la chasse et des discussions politiques. On rend visite à ses fermiers. Dans les villes, la vieille noblesse, qui a parfois récupéré ses hôtels groupés autour de la cathédrale, mène une vie discrète et souvent dévote. La tourmente révolutionnaire, les deuils et les souffrances morales ont provoqué chez beaucoup un retour à la foi et une rupture avec le scepticisme frivole de l’Ancien Régime. Les gentilshommes, souvent chargés d’enfants, se préoccupent désormais surtout de leur éducation et de leur position future.


La bourgeoisie

Cette catégorie hétérogène regroupe des individus aux origines, aux fortunes et aux modes de vie très divers. À l’échelon le plus élevé siège l’aristocratie financière des grands négociants et banquiers, dont la richesse s’accroît sans cesse. Elle a ses quartiers parisiens, la Banque de France, et surtout la Chaussée-d’Antin, qu’illustrent les fastes du célèbre Jacques Laffitte. Aux échelons inférieurs, on trouve toute une gamme de couches bourgeoises : manufacturiers de province, hauts fonctionnaires, universitaires. Plus loin encore, ce sont la moyenne bourgeoisie des professions libérales, puis la boutique et l’artisanat, souvent proches du peuple, où ils se recrutent. L’idéal bourgeois est de devenir rentier, de vivre de ses revenus sans travailler, d’où l’importance de la propriété immobilière dans les patrimoines, même modestes (48 p. 100 des fortunes bourgeoises au décès sous la Restauration à Paris).

Cette société, dont Balzac* nous a dépeint les horizons étriqués, est très cloisonnée. Parallèlement à la pyramide des fortunes, les relations sociales, régies par de subtils clivages et par un véritable code, s’établissent à différents niveaux de profession, de considération et de capacités. Dans les petites villes de province, les hiérarchies sont strictes, les comportements étudiés, le conformisme rigoureux. Le cercle du notaire ou de l’avoué singe parfois les interdits et les tabous du salon aristocratique. Si dans le Midi quelques petits cénacles essaient d’entretenir une modeste activité littéraire et artistique, la plupart du temps, les réunions bourgeoises sont exclusivement préoccupées des mêmes affaires locales, des ragots ou des mariages.


Les classes populaires

D’une manière générale, le peuple des villes et des bourgs a vu sa condition se dégrader durant cette période, quoique de façon inégale. La grande industrie, en même temps qu’elle faisait naître un prolétariat de fabrique recruté surtout dans les campagnes, entraînait un lent mais irrémédiable déclin de l’artisanat de production.

Toutefois, la condition ouvrière comme son statut sont encore loin d’être homogènes. On distingue, en premier lieu, l’ouvrier de la petite industrie, travailleur qualifié qui a reçu dans les ateliers ou sur les chantiers une formation professionnelle, symbolisée par le tour de France du compagnon. Dans certains métiers, à Paris en particulier, il peut disposer d’un salaire assez élevé, culminant à 5 francs par jour dans l’imprimerie, le bronze, la ferronnerie d’art. En moyenne, dans les professions exigeant une forte qualification, le salaire quotidien est de 3 francs. Mais dans le cuir, la chapellerie, le textile, où les salaires sont en baisse depuis l’Empire, on est loin d’atteindre cette moyenne. Dans le bâtiment, il y a trois échelons : le charpentier, le couvreur et le terrassier. C’est dans les métiers de force, n’exigeant aucune formation, que les rémunérations sont les plus basses. Mais l’activité du bâtiment, assez importante dans les villes, attire une masse de travailleurs des cantons surpeuplés, prêts à accepter des salaires de famine. À la différence du compagnon traditionnel, souvent instruit, fier de son métier, et qui rêve de s’établir à son compte, ces prolétaires frustes et incultes constituent une catégorie marginale, non intégrée à la ville. C’est une situation identique que l’on constate chez les travailleurs des manufactures, dont la majorité est constituée de femmes et d’enfants soumis à des conditions dégradantes.