Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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responsabilité (suite)

Puisque l’on admet que l’article 1384 rend responsable celui qui a une chose sous sa garde, il faut définir ce que l’on entend par gardien. L’article 1384 est évasif : « On est responsable. » L’article 1385 est un peu plus précis : il énonce la responsabilité du propriétaire ou de celui qui se sert de l’animal. Comme l’article 1384 annonce l’article 1385, on peut en déduire que le gardien, c’est le propriétaire ou celui qui se sert de la chose ; la personne responsable sera donc en principe le propriétaire, mais ce peut être également (et sa responsabilité exclura alors celle du propriétaire) celui auquel un titre juridique, légal ou contractuel confère la jouissance, l’usage ou la surveillance de la chose (usufruitier, locataire, dépositaire, emprunteur, façonnier, hôtelier), ou celui qui a assumé sans titre juridique l’usage et le contrôle de la chose, par exemple un possesseur de bonne ou de mauvaise foi. Le point de savoir sur qui, du propriétaire ou du voleur, pèse la présomption de l’article 1384 au cas où un accident est dû à une automobile volée a été fort discuté. On avait soutenu que ce devait toujours être sur le propriétaire, qui conserve la garde juridique de la chose (solution qui était d’ailleurs favorable à la victime, ainsi plus sûrement dédommagée), mais les chambres réunies de la Cour de cassation, le 2 décembre 1941, se sont prononcées en sens contraire : le propriétaire privé de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture n’en a plus la garde (la victime conserve une action contre le propriétaire, mais fondée sur l’article 1382, c’est-à-dire à charge pour la victime d’établir une faute personnelle contre lui). Bien entendu, quand la chose est aux mains d’un préposé, c’est le commettant qui conserve le contrôle et la garde de la chose.

La chose dont le fait entraîne la responsabilité du gardien peut être à l’heure actuelle n’importe quelle chose, quelle que soit sa nature physique ou juridique, dangereuse ou non, inerte ou en mouvement au moment de l’accident, pourvu qu’elle ne fasse pas l’objet d’un régime spécial de responsabilité (exemple : régime de l’article 1386 pour la ruine des bâtiments). Il faut que la chose intervienne dans la réalisation du dommage, même sans contact ; peu importe qu’elle soit ou non actionnée par la main de l’homme.

L’article 1384 peut, en principe, être invoqué toutes les fois qu’un dommage a été provoqué par une chose soumise à garde. Toutefois, un passager transporté à titre bénévole ne pouvait attaquer son transporteur sur le fondement de l’article 1384 et devait prouver sa faute ; trois arrêts de principe rendus en chambre mixte le 20 décembre 1968 l’y autorisent désormais. Le gardien de la chose ne peut s’exonérer de la responsabilité qui pèse sur lui en démontrant qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause de l’accident est inconnue. La présomption de responsabilité qui pèse sur lui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure, du fait de la victime ou d’un tiers, tous faits se ramenant à l’idée d’une cause étrangère non imputable au gardien. Une jurisprudence datant de 1940 ayant également admis que le gardien pouvait s’exonérer en prouvant que la chose n’avait joué qu’un rôle passif (c’est-à-dire non causal) et qu’elle avait seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage, on a été tenté d’y voir un retour, en matière de responsabilité du fait des choses, à la faute du gardien (en effet, le rôle actif de la chose est en général révélateur de la faute) ; mais il semble qu’à l’heure actuelle la jurisprudence revienne à une conception plus objective de la responsabilité du fait des choses (arrêts admettant la responsabilité du gardien dément, arrêts sur le transport gratuit). Cette conception objective de la responsabilité de l’article 1384 est d’ailleurs corroborée par l’autonomie de la responsabilité fondée sur ce texte par rapport à la responsabilité pour faute : ainsi, une personne déboutée au civil dans un procès fondé sur l’article 1382 ne peut se voir opposer la chose jugée si elle intente une nouvelle action fondée sur l’article 1384 et inversement.


Conventions sur la responsabilité délictuelle

Elles seront forcément plus rares qu’en matière contractuelle, car dans la plupart des cas la question de la responsabilité délictuelle se posera entre personnes étrangères l’une à l’autre. On en trouve cependant des exemples ; la jurisprudence a toujours admis leur nullité, d’une part parce qu’une pareille convention serait de nature à inciter les individus à se départir de leur devoir général de prudence et de diligence dans leur conduite envers les autres, d’autre part parce que la victime serait engagée sans avoir pu connaître l’importance des réparations auxquelles elle renoncerait. Les articles 1382 et 1383 sont d’ordre public et il n’est pas possible de renoncer à leur application. Toutefois, il serait possible de renoncer aux présomptions des articles 1384 et suivants, car il s’agirait alors d’une convention qui ne porterait que sur la charge de la preuve*, laissant intact le droit pour la victime de se prévaloir de l’article 1382 et d’obtenir réparation si elle prouve la faute du gardien.


L’avenir de la responsabilité civile

Cet avenir est incertain. Il est vraisemblable que, dans des domaines de plus en plus nombreux où les risques de dommages apparaissent comme particulièrement importants, on consacrera législativement des responsabilités objectives, comme on l’a fait récemment pour l’exploitant d’installations nucléaires ou de navires nucléaires, quitte à les associer à une obligation d’assurance. On peut également envisager la disparition de la responsabilité civile traditionnelle individuelle et son remplacement par une forme d’indemnisation collective des dommages dont on trouve déjà quelques manifestations dans le droit positif (régime des accidents du travail fondu dans la Sécurité sociale, fonds de garantie automobile). Cependant, de nombreux auteurs restent encore très attachés — ne serait-ce que pour des raisons morales, philosophiques ou, éventuellement, métaphysiques — à la responsabilité pour faute.