Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IVe) (suite)

La fin d’une époque : le ministère Edgar Faure (23 févr. 1955 - 24 janv. 1956)

Reconstituant au terme d’une longue crise un gouvernement de centre droit, Edgar Faure, sous le couvert de son ministre des Finances, Pierre Pflimlin, continue de pratiquer une politique économique de prospérité. Le 28 mars 1955, il fait ratifier les accords de Paris, qui autorisent l’accès de la R. F. A. à l’O. T. A. N., et profite de la politique de détente inaugurée par les dirigeants soviétiques depuis la mort de Staline, en 1953, pour signer le traité d’État de Vienne, qui met fin à l’état de guerre avec l’Autriche le 15 mai. Il charge son ministre des Affaires étrangères, Antoine Pinay, de participer les 1er et 2 juin à la conférence de Messine, qui doit relancer l’idée européenne. Mais, par contre, il ne peut empêcher la situation de se dégrader en Afrique du Nord. Aussi autorise-t-il Ḥabīb Bourguiba à regagner la Tunisie le 1er juin et contraint-il Muḥammad ibn ‘Arafa à restituer de facto, le 30 septembre, le trône du Maroc à son neveu Muḥammad V, restauré en vertu des accords de La Celle-Saint-Cloud du 6 novembre, qui jettent les bases de l’indépendance du Maroc « dans l’interdépendance ». Mais, contrairement à sa politique marocaine, sa politique algérienne est vivement combattue par la gauche, qui refuse d’approuver le vote par les Assemblées de la loi d’urgence suspendant les libertés publiques en Algérie les 31 mars et 1er avril 1955. Edgar Faure, combattu par Pierre Mendès France, qui devient le maître réel du parti radical le 3 novembre, tente, en vain, d’obtenir de l’Assemblée nationale qu’elle abrège son mandat le 21 octobre et qu’elle accepte le rétablissement du scrutin d’arrondissement. Renversé le 29 novembre par la majorité absolue des députés, moins de dix-huit mois après la chute de René Mayer dans les mêmes conditions, il dissout l’Assemblée nationale le 30. Mais il est exclu du parti radical le 2 décembre pour avoir pris, le premier depuis les 16 mai et 25 juin 1877, cette décision que certains assimilent à un coup d’État. De ce fait, il se heurte aussitôt à la constitution, sous l’égide de Pierre Mendès France, d’un Front républicain qui regroupe les socialistes, les radicaux, la fraction de l’U. D. S. R. animée par François Mitterrand et celle des républicains sociaux dirigés par Jacques Chaban-Delmas. Finalement, Edgar Faure perd les élections du 2 janvier 1956 en raison du succès des listes présentées par l’U. D. C. A. (Union de défense des commerçants et artisans), constituée par le mouvement antifiscal, antieuropéen et antiparlementaire de Pierre Poujade, qui rassemble 2 451 555 suffrages, c’est-à-dire 11,4 p. 100 des voix.


Le Front républicain et son échec (29 janv. 1956 - 15 avr. 1958)


Le ministère Guy Mollet (29 janv. 1956 - 21 mai 1957)

En fait, les deux véritables vainqueurs de la consultation sont le parti communiste et les poujadistes (150 et 52 élus au lieu de 98 et 0). Le succès de ces deux forces antagonistes rend naturellement impossible le maintien au pouvoir de la coalition de centre droit, dont les trois éléments moteurs, les modérés, le M. R. P. et les républicains sociaux, se réduisent respectivement dans le même temps, de 135 à 95, de 87 à 73 et de 68 à 21 députés. Mais il ne permet pas non plus au Front républicain de disposer d’une majorité à l’Assemblée, puisque ses deux forces composantes principales perdent aussi des élus : la S. F. I. O. en a 95 au lieu de 103, et les radicaux (y compris R. G. R. et U. D. S. R.) en ont 91 au lieu de 99. En fait, même en tenant compte des 21 députés républicains sociaux, le Front républicain ne peut compter que sur 207 élus au maximum, alors que la majorité absolue est de 297 (593 députés au total). Mais le centre de gravité de l’Assemblée s’étant déplacé vers la gauche, le président de la République décide de confier le pouvoir à l’un des ses leaders : il fait appel au secrétaire général de la S. F. I. O., Guy Mollet.

Gouvernement de minorité, mais, paradoxalement, le plus long de la IVe République (29 janv. 1956 - 21 mai 1957), le cabinet Guy Mollet bénéficie du soutien sans participation du P. C. F. et du M. R. P., le premier tentant de recréer les conditions favorables à la reconstitution du Front populaire, le second tentant de se rapprocher de la S. F. I. O., dont il partage l’idéal européen.

En fait, trois événements vont rejeter ce gouvernement vers la droite.

La manifestation du 6 février 1956 à Alger est le premier. Conspué par la masse des petits colons, le président du Conseil doit accepter la démission du ministre résidant en Algérie, le général Catroux, considéré comme un bradeur de l’Empire, et le remplacer par un socialiste, Robert Lacoste. Il fonde sa politique algérienne sur le triptyque « cessez-le-feu, élections, négociations » défini dans son discours du 28 février ; il obtient le 12 mars le vote des pouvoirs spéciaux pour intensifier la « pacification », rappelle 70 000 disponibles le 11 avril, couvre le détournement sur Alger de l’avion marocain transportant le 22 octobre les chefs de la révolution algérienne (dont Ben Bella), aussitôt arrêtés, et autorise le général Massu et les parachutistes à engager la bataille à Alger pour y rétablir l’ordre (7 janv. - 18 sept. 1957). Guy Mollet perd le soutien de Pierre Mendès France, qui démissionne dès le 23 mai 1956.

Deux autres événements, d’ordre international cette fois, accentuent le glissement à droite du gouvernement : l’intervention des forces armées soviétiques à Budapest (4 nov. 1956) bouleverse l’opinion ; l’ultimatum adressé par l’U. R. S. S. le 5 novembre à la France et à la Grande-Bretagne pour leur interdire, sous la menace du feu nucléaire, de poursuivre leur intervention en Égypte, heurte encore plus le nationalisme français et accentue la rupture entre socialistes et communistes. L’opération militaire de Suez n’atteint pas ses objectifs : la réouverture du canal, nationalisé le 26 juillet 1956 par le colonel Nasser, et l’arrêt du soutien accordé par ce dernier au F. L. N. algérien.