Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie de la mousson (suite)

Une éphémère conquête grecque des plaines de l’Indus aboutit, par contrecoup, à la création du premier Empire indien, l’Empire maurya (capitale Pāṭaliputra, l’actuelle Paṭnā, dans la vallée moyenne du Gange) : avant de se convertir au bouddhisme, Aśoka (273-236) conquiert le Deccan jusqu’au Penner, ne laissant indépendants, au sud, que les premiers États tamouls. D’autres dynasties puissantes, mais éphémères, se succèdent ensuite jusqu’au viiie s. de notre ère dans les plaines indo-gangétiques : les Śunga, les Gupta (capitale Kanauj, dans le Grand Doāb, ive-ve s.), les Harsha (viie s.). L’apport de l’Inde du Sud dans cette genèse de la civilisation indienne ne nous est pas connu ; il fut sans doute considérable, et l’Inde du Sud eut de grandes dynasties : les Andhra (iie s. av. J.-C. - iie s. apr. J.-C.), les Pallava (fin du iiie s. - viiie s.). Par son intermédiaire, en partie, hindouisme et bouddhisme, thèmes littéraires et artistiques, conceptions politiques, sans parler de maintes techniques (attelage), gagnent l’Asie du Sud-Est, où prêtres, moines, marchands provoquent la création de royaumes « indianisés » (« Inde-Extérieure ») : Fou-nan (Cambodge méridional, iie-vie s.), ancêtre du grand royaume khmer d’Angkor (Cambodge occidental, ixe-xiiie s.), Champa (côte d’Annam, iie-xive s.) ; royaumes d’Anurādhapura (ve s.) à Ceylan, royaume Môn de Pegu (Basse-Birmanie, ve s.), royaume Môn de Dvāravati (Thaïlande), premier royaume de Mataram (Java central, viiie-xie s.), thalassocratie de Shrīvijaya (Sumatra, viie-xive s.).

La civilisation chinoise est née aux confins des plateaux de lœss (vallées du Huanghe [Houang-ho] et du Wei) et de la Grande Plaine (dynasties Shang [Chang] à Anyang [Ngan-yang] et Zhou [Tcheou] à Luoyang [Lo-yang]). C’est au Shandong (Chan-tong) qu’est né Confucius (vie s. av. J.-C.), dont la sagesse pragmatique, beaucoup plus que le mysticisme taoïste, a modelé l’âme chinoise ; cette sagesse (et le culte des ancêtres) entraîne le respect de l’ordre établi et ne va pas sans un certain conservatisme ; elle est dénuée de toute préoccupation métaphysique.

L’unité fut réalisée pour la première fois par les Qin (Ts’in) de Xi’an (Si-ngan) [221-206 av. J.-C.] dans la vallée du Wei, affluent du Huanghe (Houang-ho), au cœur des plateaux de lœss du Shănxi (Chen-si) : les plaines du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang) furent alors effectivement occupées, un grand réseau d’irrigation construit sur le Min, au Sichuan (Sseu-tch’ouan), la Chine du Sud-Est et le Viêt-nam du Nord conquis, tandis qu’était édifiée la Grande Muraille. C’est à ce moment qu’apparaissent les doctrines politiques qui feront la force de la Chine ; c’est surtout alors qu’est mise au point l’écriture chinoise, écriture symbolique aux caractères pictographiques. La civilisation chinoise, ses conceptions politiques (rôle de l’empereur), sociales et philosophiques (confucianisme) gagnèrent le Viêt-nam (occupé pendant treize siècles) et aussi la Corée (conquise sous la dynastie Han, dont le principal effort s’est porté vers l’ouest, vers l’Asie centrale, la « route de la soie ») et, plus tard, au viie s., le Japon. Ce rayonnement chinois fut à son apogée sous la très grande dynastie bouddhiste Tang (T’ang) [capitale Luoyang (Lo-yang), 618-907], où la Chine du Sud est effectivement colonisée et qui est l’âge d’or de la poésie chinoise. Les premières dynasties japonaises de Nara et de Kyōto en subissent fortement l’influence (viie-ixe s.).

Ainsi, deux influences, issues toutes deux des latitudes tempérées, avaient, sans difficultés majeures, gagné les zones tropicales et se partageaient l’Asie de la mousson. Cependant, celle-ci a failli connaître, ce qui eût été de grande importance, une unité de pensée : celle du bouddhisme.

La réflexion du Bouddha historique, Śākyamuni, est au départ une méditation sur la douleur : misère et souffrance sont sans doute très anciennes dans l’Inde. Mais la douleur devient insoutenable dans le cadre des réincarnations : elle aussi est éternelle ; l’origine de la douleur est l’attachement à la vie ; pour supprimer la douleur, il faut supprimer l’attachement à la vie. Se détacher du moi et du monde permet d’atteindre le « nirvāṇa ». Śākyamuni, lui-même, est resté un moraliste. Par la suite, les premiers et les plus célèbres de ses disciples (école du mahāyāna, dite « du grand véhicule », de langue sanskrite) ont évolué vers un idéalisme métaphysique absolu et, d’autre part, vers le culte de tous ceux qui ont atteint le nirvāṇa, les bodhisattva, intercesseurs que l’on invoque. Par réaction, à partir du iiie s. av. J.-C., des penseurs cinghalais, de langue pālie (école du theravāda, dite « hīnayāna » ou « du petit véhicule »), proclamèrent que le Bouddha seul avait atteint le nirvāṇa, renoncèrent à toute spéculation métaphysique et définirent une morale pratique.

Le bouddhisme du grand véhicule bénéficie dans l’Inde des conquêtes d’Asoka (273-236), qui se convertit. Du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., le même bouddhisme s’épanouit au Gandhāra (État gréco-indien qui s’étend de l’Afghānistān au Pendjab et où, sur des modèles grecs, le Bouddha est représenté pour la première fois). Les grandes dynasties Gupta et Harsha sont (au moins partiellement) bouddhistes, comme le sont les universités (Nālandā) au Bihār et les œuvres d’art : fresques des grottes d’Ajaṇṭā, temples d’Amarāvatī (Andhra), art classique gupta, art des Galla du Gujerāt ; sont bouddhistes également, du moins partiellement, le Mataram (temple du Bārābudur dans le Java central vers 850) et, à son apogée, après une longue période hindouiste, le royaume khmer sous Jayavarman VII (fin du xiie s.), constructeur du Bayon.

Au-delà de l’Hindū Kūch, par les oasis du Xinjiang (Sin-kiang) et l’antique « route de la soie », le bouddhisme atteint la Chine ; la première communauté y date de 148 ; les Wei se convertissent au ve s. (sanctuaires rupestres de Longmen [Long-men] et de Yungang [Yun-kang], ve et vie s.) ; la grande dynastie T’ang est bouddhiste (618-907) ; sont bouddhistes la dynastie coréenne de Ko-ryŏ (918-1392) et les premières dynasties japonaises (temples d’Hōryūji [fin du vie s.], de Nara [viie s.], de Kyōto [du ixe s.]). À l’heure où les pèlerins chinois Fa Xian (Fa Hien), Xuan Zang (Hiuan Tsang) allaient en Inde chercher l’enseignement du Bienheureux, on eût pu croire que l’Asie de la mousson tout entière était devenue bouddhiste.