Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Renaissance (suite)

Mais cette unité — et c’est l’autre point essentiel — apparaît aussi dans le domaine spirituel, dans les préoccupations d’une époque inquiète et déchirée par la crise de la Réforme. Si l’Allemagne est momentanément stabilisée, la France et les Pays-Bas sont entrés dans le cycle des guerres de Religion, et la paralysie au moins relative des constructions en est la conséquence. Cependant, deux aspects retiennent particulièrement l’attention, concernant d’une part l’architecture religieuse des pays catholiques, d’autre part la peinture.

La Contre-Réforme*, définie par le concile de Trente* (1545-1563) et dont la Compagnie de Jésus* constitue la milice d’avant-garde, marque la volonté d’adapter l’art à la défense de la foi et donne naissance à cet art qu’un historien espagnol, Camón Aznar, propose, non sans raisons, d’appeler trentin. L’évolution qui se dessinait au milieu du siècle, en Italie et en France, vers un classicisme puriste s’accentue au service de cet idéal d’« intériorisation » — austérité, mais aussi prise de conscience de la doctrine et de sa pratique — qu’expriment les « églises de la parole », où l’autel et la chaire concentrent l’attention des fidèles. Le Gesú de Vignole*, avec sa nef unique à chapelles, ses tribunes, sa coupole, apporte un modèle dont la diffusion est européenne — avec de larges adaptations aux conditions locales — et qu’on trouve avant la fin du siècle à Munich* comme à Séville. D’autre part, l’Espagne, citadelle de l’orthodoxie, renchérit sur les formules romaines avec les grandioses masses nues, le style « desornamentado » de l’Escorial de Juan Bautista de Toledo et Juan de Herrera (1563-1584), monument qui, loin d’être le « beau monstre » déraciné que dénonçait Ortega* y Gasset, est, avec ses tours d’angle, son coro alto et son grand retable, l’aboutissement d’une tradition hispanique vivace et que continuent, non seulement dans les deux Castilles, mais de la Galice à l’Andalousie, du Portugal à Valence, des églises, des collèges et des hôpitaux de même style.

Palladio*, le génial architecte de Vicence, concilie le goût vénitien de l’opulence ordonnée avec un souci de classicisme puriste, qui trouve son expression dans le théâtre Olympique et, plus parfaitement encore, dans l’incomparable série de ses villas, à commencer par la Rotonda : nul architecte n’aura une influence posthume plus étendue, de l’Angleterre d’Inigo Jones* à la France de Perrault* et de J.-A. Gabriel*.

Cependant, la peinture montre, par-delà les frontières des « écoles », une commune inquiétude et la soif d’un renouvellement. Le maniérisme « explose » en quelque sorte dans des directions multiples, l’imagination visionnaire et les jeux de la lumière tenant une place grandissante, tandis que les peintres s’efforcent de s’adapter aux nouvelles exigences de l’art religieux. L’humanisme chrétien que les Jésuites développent dans leurs collèges à grand renfort de concours poétiques et de représentations théâtrales admet la fable, moins pour sa beauté formelle que pour les exemples et les symboles qu’on peut y puiser, une fois épurée et moralisée. Le souci primordial de la formation religieuse, exaltant ce que rejette le protestantisme — culte de la Vierge et des saints, culte eucharistique —, évoquant les exemples des confesseurs et des martyrs, fait naître en masse ces grands tableaux d’autel consacrés à des supplices, à des visions, à des extases et qui, à la fois réalistes et ouverts sur l’invisible, s’achèvent par un ciel peuplé d’anges.

L’Italie du Nord joue un rôle primordial avec les Bolonais et les Lombards : les Carrache*, éclectiques décorateurs de la galerie Farnèse, paysagistes, peintres de types populaires, sont avant tout les promoteurs de ces grands tableaux d’église. Mais d’autres peintres de l’Italie centrale, comme Barocci*, incarnent avec éclat ce « maniérisme réformé » (selon l’expression de Roberto Longhi), qui, après un long dédain, retient de plus en plus l’attention des historiens et répond à la fois aux exigences conciliaires et à la sensibilité du peuple. Ce double souci marque même l’« îlot » vénitien. Si Véronèse*, avec l’éclat joyeux de sa couleur, avec son Évangile de colonnades, de festins et de musiciens (qui lui vaudront quelques démêlés avec l’Inquisition), maintient brillamment la tradition de Titien, le vieux maître s’engage, quant à lui, dans la voie du « nocturne » scintillant et mystérieux (Martyre de saint Laurent à l’Escorial). Et les scènes rustiques et bibliques des Bassano* assureront très vite une diffusion européenne à cette formule. Mais elle trouvera son expression majeure avec le Tintoret*, l’un des plus puissants visionnaires de la peinture. L’art à la fois populaire et savant de celui-ci, tel qu’il apparaît dans l’ensemble unique de la Scuola di San Rocco, avec ses effets de perspectives fuyantes, de lumières et d’ombres, ressuscite les épisodes de la Bible, de l’Évangile avec une intensité inégalée.

Le luminisme vénitien passe en Espagne et y éveille de profondes résonances vers 1570, avant que les Florentins appelés par Philippe II à l’Escorial répandent en Castille le « maniérisme réformé », prélude à l’éclosion réaliste du xviie s. En fait, Federico Zuccaro et Pellegrino Tibaldi feront regretter au roi et aux religieux la mort prématurée (1579) du Castillan Juan Fernández de Navarrete, formé à Venise et premier décorateur de l’Escorial. Mais après celui-ci surgit un astre d’un autre éclat, le Greco*, venu de Venise et de Rome, rejeté par le roi, mais conquis et adopté par Tolède, et qui fixe dans l’Enterrement du comte d’Orgaz l’image de la société tolédane et de sa vie spirituelle. Avec ses formes nerveuses, héritées du maniérisme, mais vibrantes comme des flammes, il transpose les plus hautes aspirations de la Contre-Réforme, l’ardeur des mystiques avides de se fondre en Dieu.

L’éclatement du maniérisme prend en d’autres pays des formes plus menues et compliquées, mais non moins tourmentées, et cela surtout dans les Pays-Bas*, où, à côté des portraits individuels (Antonio Moro) ou collectifs (Cornelis Ketel) et des robustes natures mortes (Aertsen*), les compositions visionnaires abondent chez les derniers romanistes, tel un Marten de Vos*, disciple du Tintoret en Italie (Triomphe du Christ). Mais la note la plus attachante est due, dans la tradition de Brueghel*, à ces peintres de bois mystérieux, de rochers, de châteaux féeriques, d’incendies et de ruines que sont les Lucas Van Valckenborgh, les Gillis Van Coninxloo, les Joost De Momper et tant d’autres — sans oublier Paulus Bril, qui transporte à Rome, en l’épurant, ce type de paysages. On trouve un « surréalisme » différent à la cour de France avec les tableaux froids de couleur, surchargés d’obélisques et de temples d’Antoine Caron — et surtout à la cour de Prague, où Rodolphe II s’entoure d’artistes flamands, allemands, italiens, qui cultivent un érotisme glacé (Bartholomäus Spranger) ou une bizarrerie parfois hallucinante (les « têtes composées » de Giuseppe Arcimboldi).