Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Réforme (suite)

« Sola gratia. »

C’est pourquoi la Réforme ajoute Sola gratia, affirmation qui résume tout l’évangile, c’est-à-dire : l’intervention dans l’Histoire de Jésus de Nazareth, initiative souveraine de Dieu, manifeste qu’en face de toutes les volontés d’autonomie et de solitude de l’homme, Dieu ne veut jamais l’abandonner à lui-même. La « grâce », c’est la fidélité d’un amour qui, pour rester le plus souvent sans réponse, n’en aime pas moins ; c’est la présence dans l’Histoire d’une Parole qui retentit au milieu des illusions et des errances ; c’est l’offre d’une vie à qui, voulant s’en tirer seul, organise fréquemment la mort collective ; c’est la possibilité de repartir à zéro, d’entrer en relation avec l’humanité dans le prochain et avec le prochain dans l’humanité, c’est le pardon et la réconciliation rendus possibles et devenant le fondement d’existences libérées pour des solidarités nouvelles. C’est l’affirmation qu’il n’y a ni fatalités ni déterminismes invincibles, mais qu’à tout moment, pour chacun, des chances de vie, des possibilités de faire vivre subsistent et qu’il n’est que de les saisir ; c’est la promesse que l’Histoire a un sens et un terme positifs et qu’il vaut la peine d’œuvrer en accord avec la dynamique de justice et de libération qui la sous-tend ; c’est l’offre de marcher à la suite du Christ sur tous les chemins des hommes et de le rencontrer en le servant dans « les plus petits de ses frères » ; c’est la découverte — tellement enrichissante et salvatrice — que la vie de l’homme est don, cadeau, réponse et que, dans la reconnaissance, elle reçoit sa vraie coloration de désintéressement, de disponibilité, de solidarité.


« Sola fide. »

Le Sola fide vient souligner que la vie nouvelle ne peut être saisie par l’homme au terme d’un processus mystique ou intellectuel dont il serait l’origine et l’auteur : elle n’est pas une qualité universelle, ni une donnée naturelle, ni une étincelle divine subsistant en chaque être humain, mais, au contraire, don qui ne peut qu’être reçu ou refusé, initiative divine à laquelle on ne peut qu’acquiescer ou s’opposer, bonne nouvelle qu’on ne peut que croire ou nier. La loi, c’est le oui de l’homme répondant au oui de Dieu, la main tendue pour recevoir la plénitude offerte, le cœur et l’intelligence ouverts par la Parole et rendus sensibles à cette dimension nouvelle et essentielle de l’existence. La foi, ce n’est ni un état ni une possession, c’est un acte à renouveler sans cesse, c’est l’entrée dans le mouvement d’écoute et de réponse qu’initie la Parole, c’est une confession de pauvreté et une attente confiante d’un don sans cesse renouvelé.

On le voit : c’est trahir la Réforme que de parler de « justification par la foi », puisque la foi n’est que l’organe qui saisit l’œuvre et l’action de la grâce. Tous les textes des réformateurs sont sans équivoque, comme ceux du Nouveau Testament, qu’ils ne font que commenter : c’est par grâce, par le moyen de la foi que l’homme est justifié. (Éphésiens, ii, 8 sqq. : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cella ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil. Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus-Christ pour les œuvres bonnes, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous nous y engagions ».) Ainsi la justification, c’est-à-dire le rétablissement de relations justes entre Dieu et l’homme par le pardon et l’ouverture à une nouvelle vie, est-elle l’œuvre accomplie par Dieu dans sa grâce ; ce que le péché de l’homme, c’est-à-dire son repli sur soi et sa suffisance, l’empêche radicalement d’entreprendre et de réaliser. « Nous croyons que toute notre justice est fondée sur la rémission de nos péchés et qu’il en est de même de notre félicité, comme le dit David : c’est pourquoi nous rejetons tous autres moyens de pouvoir nous justifier devant Dieu, et, sans présumer d’aucunes vertus ni mérites, nous nous en tenons simplement à l’obéissance de Jésus-Christ, laquelle nous est allouée, tant pour couvrir toutes nos fautes que pour nous faire trouver grâce et faveur devant Dieu. Et de fait nous croyons qu’en déclinant de ce fondement si peu que ce soit, nous ne pourrions trouver ailleurs aucun repos ; mais serions toujours agités d’inquiétude, d’autant plus que jamais nous ne sommes eu paix avec Dieu, jusqu’à ce que nous soyons bien résolus d’être aunes en Jésus-Christ, vu que, en nous-mêmes, nous sommes dignes d’être haïs. » (Confession de foi de La Rochelle, 1559, art. XVIII.)

Toute l’œuvre des réformateurs, toute leur vie illustre qu’il ne s’agit pas là de passivité ou de mépris de l’action humaine, mais d’une question radicale posée à la qualité de celle-ci, la grâce, reçue par la foi, venant en quelque sorte réquisitionner pour l’amour et le service tout ce qui, hors d’elle, n’est qu’affirmation d’orgueil et de volonté de puissance. Ainsi, « les deux formules sont vraies : œuvres bonnes et justes ne font jamais un homme bon et juste, mais un homme bon et juste fait de bonnes œuvres. Des œuvres mauvaises ne font pas un homme mauvais, mais un homme mauvais fait de mauvaises œuvres » (Luther, De la liberté du chrétien, art. XXIII). C’est l’affirmation que jamais le faire ne pourra remplacer l’être et que, avant toute chose, c’est l’être qui doit être changé. À sa façon, Sartre confirme cette position fondamentale de la Réforme : dans le Diable et le Bon Dieu, il montre que, accomplis par orgueil, le mal et le bien, c’est la même chose.

Dietrich Bonhoeffer*, théologien martyr, luthérien, fidèle disciple des réformateurs, s’est particulièrement attaché à marquer que, si les œuvres ne sauraient remplacer la grâce, cette dernière mobilise toute l’action de l’homme dans un nouveau service : « La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre Église. Actuellement, dans notre combat, il y va de la grâce qui coûte [...]. La grâce à bon marché, c’est la grâce envisagée en tant que doctrine, en tant que principe, en tant que système [...] c’est la justification du péché et non point du pécheur [...] c’est la prédication du pardon sans repentance [...] c’est la grâce que n’accompagne pas l’obéissance [...]. La grâce qui coûte, c’est l’évangile qu’il faut toujours chercher à nouveau ; c’est le don pour lequel il faut prier [...] elle coûte parce qu’elle appelle à l’obéissance ; elle est grâce parce qu’elle appelle à l’obéissance à Jésus-Christ [...]. La grâce coûte cher d’abord parce qu’elle a coûté cher à Dieu, parce qu’elle a coûté à Dieu la vie de son Fils [...], parce que ce qui coûte cher à Dieu ne peut être bon marché pour nous » (le Prix de la grâce, 1937).

C’est l’homme nouveau — Jésus de Nazareth et ceux qui le suivent— qui est la passion de la Réforme.