Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Reconquista (la) (suite)

Cependant dès le début du xie s. s’ouvre dans l’histoire de l’Espagne chrétienne l’ère des grands « accroissements territoriaux » ; en quelques années, les royaumes reconquérants transportent leur frontière du Duero au Tage, et, en 1085, Tolède, l’ancienne capitale des Goths, depuis si longtemps convoitée, redevient la métropole de l’Espagne chrétienne. Une telle activité des efforts de Reconquista au xie s. est favorisée par l’écroulement subit du califat cordouan (1031) : à une Andalousie unifiée succède une nuée de petits royaumes (taifas*) dont l’histoire intérieure n’est que rivalités et compétitions permanentes. Les princes chrétiens profitent alors de la situation confuse de l’Espagne musulmane : ils multiplient leurs raids (algarades) vers le sud, arbitrent les querelles entre rois de taifas, qu’ils soumettent au tribut : telle est la politique de Ferdinand Ier de Castille (1035-1065), qui place sous son autorité les roitelets de Badajoz (1057), de Saragosse (v. 1060), de Tolède (v. 1062) et de Séville (1063) ; et ce régime du protectorat des princes musulmans permet à son fils Alphonse VI, par un jeu habile d’influences, de s’emparer pacifiquement de Tolède (1085), puis de libérer ensuite tout l’arrière-pays (naissance de la Nouvelle-Castille).

Mais, quand de nouveau l’Andalousie retrouve son unité, d’abord sous les Almoravides* (1086), puis sous les Almohades* (1172), la pression chrétienne aux frontières de l’Andalousie se relâche. Avec ces deux vagues de Berbères fanatiques, la guerre sainte reprend : les Almoravides réagissent contre les compromissions des rois de taifas avec les princes de Castille. Dès lors, la politique musulmane des souverains chrétiens n’a plus de raison d’être, et Alphonse VI connaît toute une série de revers, de Sagrajas (ou Zalaca) [1086] à Uclès (1108). Seul le Cid* leur résiste à Valence (1095). Les Almohades, encore plus fanatiques, poursuivent sans trêve une guerre acharnée contre les chrétiens, le long d’une frontière entre le Tage et le Guadiana.

Face à cette Andalousie réunifiée, revigorée par des forces neuves venues du Maghreb, l’Espagne chrétienne n’en demeure pas moins à ses divisions antérieures. Sans doute, l’idéal d’intégrité péninsulaire des premiers princes chrétiens du León demeure-t-il encore vivant en ce xiie s. Mais, dès Alphonse VII de Castille (1126-1157), celui-là même qui se fait encore couronner empereur à León (1135), l’idée d’unité péninsulaire n’est plus qu’une fiction. Le Portugal* jouit d’une indépendance de fait avant d’être officiellement dégagé de tout lien à l’égard de la Castille (1143) ; le reste de la Péninsule reconquise est partagé entre les royaumes de Castille, d’Aragon et de Navarre, dont l’égalité morale est un fait maintenant acquis. L’Espagne chrétienne reste donc irrémédiablement désunie : les États, souvent rivaux et affaiblis par leurs luttes intestines, poursuivent chacun pour leur propre compte l’œuvre de Reconquista. Ces royaumes en viennent même à s’attribuer des limites dans leur conquête ; ainsi en est-il de la Castille et de l’Aragon : selon le traité de Cazorla (1179), l’expansion aragonaise ne devait pas aller au-delà d’une ligne Logroño-Alicante. Dans de telles conditions, les chrétiens n’obtiennent au xiie s. que des succès locaux. L’Aragon échappe aux conflits dynastiques et peut consacrer ses forces à la Reconquista : Alphonse Ier s’empare de Saragosse (1118), le bastion de l’islām à l’est ; mais, après son union avec le comté de Barcelone* (1137), l’Aragon s’intéresse davantage à ses domaines d’outre-monts qu’à la lutte contre l’islām, dans laquelle se distingue le Portugal avec la libération de l’estuaire du Tage (Beja [1162], Évora [1165]), puis de l’Alentejo (1158-1166). Quant à la Castille, elle connaît au xiie s. de nombreuses révoltes nobiliaires qui l’empêchent de répondre aux attaques des Almohades à ses frontières. Mais, surtout, la Castille va être victime d’une nouvelle division de ses territoires : à sa mort (1157), Alphonse VII, désirant une couronne pour chacun de ses deux enfants, défait son royaume et reconstitue pour son fils Ferdinand un nouveau royaume léonais. Cette façon d’agir s’est répétée plusieurs fois au cours du Moyen Âge espagnol (Sanche Ier de Navarre en 1035, Ferdinand Ier de Castille en 1065...), les souverains laissant en héritage des luttes fratricides qui ont fait subir à la Reconquista de longs intermèdes. Dans le cas de la Castille au xiie s., les conséquences sont particulièrement graves : Ferdinand II de León (1157-1188), voulant sauvegarder son indépendance, entre en lutte avec Alphonse VIII de Castille (1158-1216) et manque à son appel lorsque celui-ci se porte en 1195 contre les Almohades ; n’ayant pas les secours escomptés, la Castille seule, abandonnée de la Navarre et du León, subit à Alarcos l’une des plus grandes défaites de toute l’histoire de la Reconquista. Comme sous Alphonse VI après Sagrajas (1086), l’Espagne chrétienne est sauvée par une révolte marocaine qui rappelle les Almohades au-delà du détroit. Mais surtout, Alphonse VIII de Castille sait mettre à profit la leçon du désastre d’Alarcos et faire de la Reconquista une croisade « nationale » et même « européenne » (appel à la croisade par le pape Innocent III). À la tête d’une coalition chrétienne rassemblant les forces castillanes, navarraises et aragonaises, Alphonse VIII remporte sur les Almohades la décisive victoire de las Navas de Tolosa (1212), qui précipite l’effrondrement de la puissance musulmane en Espagne (prises de Cordoue [1236], Valence [1238], Murcie [1243], Jaén [1246], Séville [1248]...).

Avec Ferdinand III de Castille (1217-1252), l’« ère des croisades » prend fin : au xive s., l’Aragon se tourne vers la Méditerranée, et le Portugal vers l’Océan, alors que dans l’Espagne chrétienne le royaume de Grenade* demeure encore soumis à un prince musulman. Seule la Castille poursuit la lutte contre l’islām. En 1340, Alphonse XI de Castille (1312-1350) remporte sur les Marīnides* du Maroc, alliés de Grenade, la victoire du río Salado. Enfin, en 1492, l’offensive chrétienne contre le dernier bastion de l’islām se coordonne : Grenade se rend à Isabelle* de Castille, unie à Ferdinand II* d’Aragon.