Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

réalisme (nouveau) (suite)

Mais les nouveaux réalistes furent surtout des collecteurs d’objets, prélevés dans la prolifération pléthorique de la vie moderne. Chaque artiste annexe un secteur de ce vaste domaine ; par son appropriation délibérée, il arrache les fragments jugés significatifs de leur contexte et, sans modifications, retouches ni aménagements, les présente comme des pièces à conviction. C’est du moins le principe, tel qu’il est défini par Restany : « Le geste appropriatif pur est immédiat [...]. Par le seul fait de ce geste, l’objet est transcendé de sa quotidienneté insignifiante ou banale et, en même temps, il est libéré : il atteint sa pleine autonomie expressive [...]. » « Les Nouveaux Réalistes considèrent le monde comme un tableau, la grande œuvre fondamentale dont ils s’approprient des fragments dotés d’universelle significance. » En réalité, très vite, les nouveaux réalistes furent infidèles à cette pratique limitée au simple constat. Le principe de non-intervention fit place tout naturellement à des aménagements plus ou moins élaborés des éléments choisis et aboutit à des assemblages souvent fort complexes.

L’œuvre d’Arman (Armand Fernandez, né en 1928) est fondée sur la présentation d’objets à l’état d’accumulation : soit naturelle (série des poubelles et des corbeilles à papier), soit sciemment élaborée par entassement d’éléments identiques (ampoules, accessoires du peintre traditionnel, pièces d’automobile de la Régie Renault, etc.) sous un capot de Plexiglas ou, à partir de 1964, « gelés » dans le polyester. Dans d’autres séries de pièces, Arman fracasse les objets choisis, souvent des instruments de musique (les « colères »), les découpe en tranches (statuettes kitsch) ou les brûle (mobilier réduit à l’état de structure charbonneuse).

Daniel Spoerri (né en 1930), d’origine roumaine, commence, lui aussi, par utiliser des dispositions aléatoires d’objets. Il « piège » avec ses tubes de colle les ustensiles utilisés au cours d’un repas, les fixe sur la nappe ou la table et pend l’ensemble à la verticale, comme un tableau en relief. La Topographie anecdotée du hasard (1962), les Conserves de magie à la noix (1972) donnent un contrepoint littéraire savoureux à cette démarche quasi fétichiste. Les jeux de glace des « Multiplicateurs d’art » reflètent des assemblages plus élaborés. L’intervention de l’artiste devient de plus en plus évidente, mais chaque démarche s’articule rigoureusement avec la précédente.

Gérard Deschamps (né en 1937) présente d’abord des plaques de blindages perforées, des bâches colorées ayant servi pour le balisage d’aérodromes de campagne ; puis, à la manière d’Arman, il accumule des sous-vêtements féminins ou des foulards de soie bon marché noués entre eux. Il passe enfin à des agrandissements, soit de détails d’impressions de tissus, soit de brochettes de décorations peintes sur des treillages métalliques.

Niki de Saint-Phalle (née en 1930) assemble des objets de bazar. Dans les « tirs », elle bariole ces accumulations « kitsch » à coups de carabine faisant exploser des poches remplies de peinture. Elle revient ensuite à la sculpture avec ses « Nanas » en résine synthétique, d’une truculence folklorique, qu’elle conçoit parfois à une échelle d’architecture-habitacle (depuis la Hon de Stockholm, de 1966).

Face à ces récupérations d’objets usagés, voire de rebut, Martial Raysse (né en 1936) ne retient, au contraire, que des produits neufs, brillants, aseptisés, tels qu’ils prolifèrent dans les grands magasins : « hygiène de la vision » qui atteint l’échelle de l’environnement* (Raysse Beach de 1962) et utilise des mannequins de vitrine aussi bien que des reproductions d’art (Ingres). Des néons colorés viennent parfois accentuer l’aspect artificiel et sophistiqué de cet univers de supermarché et d’images publicitaires.

Christo (Christo Javacheff, né en 1935), d’origine bulgare, manifeste le plus clairement une des constantes du groupe, celle de l’acte réitéré : les œuvres sont le résultat d’un comportement typique de l’artiste, ils prennent place et signification dans des séquences où la démarche d’origine se développe et se diversifie. Pour Christo, il s’agit d’alignements et d’accumulations de bidons, et surtout d’une technique d’emballage. Après avoir empaqueté journaux, photos, mannequins, motos, il passe aux arbres et à l’architecture (fontaine et tour de Spolète, musée de Berne), puis au paysage lui-même : 3 000 m2 de littoral australien sous bâches de Nylon et cordes (1969) et un rideau gigantesque tendu, avec tous les concours techniques nécessaires, en travers d’une vallée du Colorado (1970-71). Chaque, projet s’accompagne d’une série de panneaux où voisinent schémas, photos, collages et excellents dessins. Un livre permet de suivre, comme dans un film, l’élaboration de chacun des grands projets sur le terrain et constitue, la plupart du temps, le seul témoignage durable de ces interventions éphémères sur l’architecture ou le site.

Plus éloignés des principes du nouveau réalisme, César* et Tinguely* utilisèrent dès le début les objets qu’ils avaient choisis comme de simples éléments d’agencements plus complexes.

Quant à Yves Klein*, trop tôt disparu, son œuvre et ses comportements ont constitué un stimulant irremplaçable pour les nouveaux réalistes et ont fait de lui une figure quasi mythique de l’art contemporain.

M. E.

 P. Restany, les Nouveaux Réalistes (Éd. Planète, 1968). / Nouveau Réalisme, catalogue d’exposition (galerie Mathias Fels, 1970).

réalisme socialiste

Dans le vocabulaire de la critique marxiste soviétique, c’est une « méthode artistique » (khoudojestvennyï metod) ou « méthode de création » (tvortcheski metod) qui aurait pris depuis la naissance du mouvement ouvrier la relève du « réalisme critique » du xixe s.


Apparue pour la première fois en 1932, cette expression définit depuis 1934 la doctrine officielle de l’Union des écrivains soviétiques. Par extension et hors de toute référence au vocabulaire marxiste, elle s’applique souvent avec une nuance péjorative à l’esthétique conventionnelle et au conformisme politique de la littérature soviétique de l’époque stalinienne (1934-1954).