Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Ravel (Maurice) (suite)

L’humour et la tendresse

Il est par ailleurs tout à fait vain, nous l’avons dit plus haut, de chercher à instaurer une réelle ségrégation des styles entre les différents aspects du génie de Ravel, et l’humour auquel celui-ci s’adonne parfois très ouvertement lui est bien souvent l’occasion de mettre entre guillemets par une apparente désinvolture les émotions que sa pudeur lui interdit d’exprimer dans leur vérité immédiate. Ravel est toute expansion ou toute ambiguïté selon que son inspiration se réclame de la sensualité ou de l’effusion, et l’on doit sans doute à cette déviation du sentiment le trouble délicieux qui s’empare de ses musiques les plus claires, tels le Tombeau de Couperin ou les contes de Ma mère l’Oye. On lui doit également la richesse d’une ironie particulièrement sensible dans les Histoires naturelles, dont la prose cocasse permet à Ravel de déployer des contrastes en accord intime avec l’articulation très lapidaire de la langue de Jules Renard. Tout est dit en peu de notes et en peu de mots, mais la musique de Ravel et ses silences prolongent pour chacune des propositions — le ridicule du Paon, l’agressivité de la Pintade ou la grâce du Martin-Pêcheur — les traits et les ombres de la description. L’expérience des Histoires naturelles a, évidemment, bien préparé la mise en place méticuleuse des effets les plus réussis de l’Heure espagnole. Le mécanisme de l’humour atteint ici à la perfection de l’objectivité : chaque personnage chante sa propre langue, et toute la figuration instrumentale organise et diffuse autour de la parole une véritable casuistique de la complicité. C’est ainsi que quatre cors imposants introduisent Inigo, l’amoureux obèse et cynique de la belle Horlogère, et que le glissando des trombones illustre cruellement l’impossibilité où il se trouve de s’extirper de son horloge. Par la diversité poétique et précise de son décor symphonique, l’Heure espagnole annonce les audaces orchestrales et les recherches pittoresques de l’Enfant et les sortilèges (portamentos de trombones dans le dialogue de la Théière et de la Tasse, piano sec de l’Arithmétique et flûte à coulisse du Jardin). Mais il s’en faut de beaucoup que les deux œuvres participent de la même esthétique, et l’Enfant et les sortilèges nous entraîne dans un monde où les contraires se touchent. La dernière floraison de la création ravélienne, de Tzigane à Don Quichotte à Dulcinée, atteste la permanence des caractères qui ont motivé jusqu’alors l’essentiel de la démarche du compositeur. La sonate pour violon et violoncelle, dont la crudité s’apparente par instants aux duos pour deux violons de Bartók, rejoint en sa limitation délibérée la volonté de concentration des Chansons madécasses ; la qualité d’écoute qu’elle requiert de l’auditeur incline la mélodie de Ronsard à son âme vers le dépouillement linéaire de l’adagio du concerto en sol ; tandis que Tzigane, pour violon, sacrifie aux prestiges de la virtuosité, le Boléro lance l’ultime fusée du défi orchestral, et le Concerto pour la main gauche, la gageure des gageures. Si le démon de la nouveauté s’incarne dans le jazz-band des concertos, il n’écarte pas pour autant de ses choix celui des formes traditionnelles ; à l’instant même où la musique d’outre-Atlantique sollicite son intérêt, Ravel, avec Don Quichotte, porte le toast final à l’Espagne de sa jeunesse. Mais bien d’autres sortilèges et des plus émouvants s’accomplissent par la grâce de cet enfant méchant qui piétine ses plus chères amours et peut-être un peu son cœur. Malgré cet humour impitoyable qui frappe les objets et les êtres, et sans doute à cause de lui, il libère les forces d’un lyrisme et les gages d’une tendresse que rien ne vient plus contraindre.

Les œuvres de Ravel

Musique originale pour orchestre

Rhapsodie espagnole (1908) : « Prélude à la nuit », « Malagueña », Habanera », « Feria ».

Daphnis et Chloé (1909-1912), symphonie chorégraphique en trois parties.

La Valse (1919-20), poème chorégraphique pour orchestre.

Boléro (1928).

Musique concertante

Concerto pour la main gauche (1931), piano et orchestre.

Concerto en sol (1931), piano et orchestre.

Musique pour piano

Menuet antique (1895), piano deux mains.

Pavane pour une infante défunte (1899), piano deux mains.

Jeux d’eau (1901), piano deux mains.

Sonatine (1905), piano deux mains.

Miroirs (1905), piano deux mains : « Noctuelles », « Oiseaux tristes », « Une barque sur l’océan », « Alborada del Gracioso », « la Vallée des cloches ».

Gaspard de la nuit (1908), trois poèmes pour piano (Aloysius Bertrand) : « Ondine », « le Gibet », « Scarbo ».

Menuet sur le nom de Haydn (1909), piano deux mains.

Musique pour piano ultérieurement orchestrée

Ma mère l’Oye (1908), cinq pièces enfantines pour piano quatre mains : « Pavane de la Belle au bois dormant », « Petit Poucet », « Laideronnette, Impératrice des pagodes », « la Belle et la Bête », « le Jardin féerique ».

Valses nobles et sentimentales (1911), piano deux mains.

Le Tombeau de Couperin (1917), suite pour piano deux mains : « Prélude », « Fugue », « Forlane », « Rigaudon », « Menuet », « Toccata » (« Fugue » et « Toccata » non orchestrées).

Musique instrumentale

Sonate pour violon et violoncelle (1920-1922).

Berceuse sur le nom de Fauré (1922), violon et piano.

Sonate pour violon et piano (1923-1927).

Tzigane (1924), rhapsodie de concert pour violon et piano-luthéal (orchestration ultérieure).

Musique de chambre

Quatuor à cordes en fa (1902).

Introduction et allégro (1905-06), harpe et accompagnement de quatuor à cordes, flûte et clarinette.

Trio en la (1914), piano, violon et violoncelle.

Musique vocale

1. Théâtre.
L’Heure espagnole (1907), comédie musicale en un acte, livret de Franc-Nohain.
L’Enfant et les sortilèges (1920-1925), fantaisie lyrique en deux parties, livret de Colette.

2. Chant et orchestre.
Schéhérazade (1903), poème de Tristan Klingsor : « Asie », « la Flûte enchantée », « l’Indifférent ».