Rastrelli (Bartolomeo Francesco) (suite)
Bartolomeo Francesco est né à Paris, où son père, le comte Bartolomeo Carlo Rastrelli (v. 1675-1744), florentin d’origine et sculpteur, travaillait en l’église Saint-Merri au tombeau du marquis de Pomponne (auj. détruit). Venus tous deux dans un groupe d’artistes recrutés pour le compte du tsar en 1716, ils se fixent à Saint-Pétersbourg, où le père va bâtir et organiser le théâtre, et ouvrir un atelier de sculpture. Avec lui, la Russie orthodoxe, qui, jusque-là, acceptait tout au plus la peinture d’icônes et quelques reliefs, se trouve en face d’un art inspiré du Bernin* et d’Antoine Coysevox, dédié à la gloire laïque de Pierre le Grand (buste au musée de l’Ermitage, statue équestre de la place des Ingénieurs à Leningrad) et d’Anna Ivanovna (groupe au Musée national russe) ; cette galerie de portraits témoigne, jusqu’à la cruauté, de l’aventure pétrovienne.
La capitale impossible commence à peine à surgir du marais de la Neva ; face aux Danois, qui sont sa raison d’être, Saint-Pétersbourg (v. Leningrad) revêt l’aspect sévère des villes nordiques de la Réforme. Son premier architecte, Domenico Trezzini, n’a pas travaillé en vain à Copenhague, et ce n’est pas hasard si le Français. Alexandre Leblond doit d’abord tracer une « petite Hollande » dans l’île Vassilievski. Par bonheur, l’hostilité d’un A. D. Menchikov, favorable aux Allemands, entrave le projet ; cela permettra à la ville de s’étendre sur la rive gauche quand Pierre le Grand, après le voyage en France (1717), voudra avoir son Versailles. Tel est le climat de rivalités, de contradictions dans lequel Rastrelli doit apprendre son métier ; adolescent à son arrivée, il a pu s’assimiler facilement et repenser son art en fonction du génie russe. Avec lui, la magie moscovite du Kremlin, la rutilance des vieux monastères vont donner une vigueur nouvelle aux splendeurs figées d’un Boffrand*, d’un Neumann* ou d’un J. B. Fischer von Erlach (1656-1723). Son art est fastueux et l’illusoire y voisine avec le magnifique ; c’est exactement ce qui convient à la tsarine lorsqu’en 1741 elle donne à Rastrelli la haute main sur l’architecture. Rien, désormais, n’est construit sans l’accord de l’architecte, qui s’entoure de collaborateurs et forme des élèves.
Rastrelli se borne d’abord à des embellissements. À Peterhof (Petrodvorets), en 1747, il modifie le grand palais et la cascade ; à Tsarskoïe Selo (Pouchkine), après 1752, il multiplie galeries et salons, fabriques et grottes, surcharge les façades de dorures et de statues, de couleurs tranchées pour accuser les reliefs. De même à Kiev, donnant sur un plan baroquisant le projet de l’église Saint-André, revient-il à la tradition des coupoles dorées pour coiffer un volume vert rechampi de blanc. Sous un autre ciel, cette polychromie semblerait excessive ; ici, elle se justifie pour conserver aux volumes leur puissance d’expression sous le soleil comme dans l’étouffante blancheur hivernale. L’ensemble conventuel Smolnyï, à Saint-Pétersbourg, s’il n’avait pas été interrompu et modifié plus tard, serait son œuvre maîtresse ; la maquette de 1750, avec ses clochers bulbeux, permet de mesurer la distance parcourue depuis l’aiguille dorée de Trezzini jusqu’à la cathédrale Pierre-et-Paul, qui donnait à la forteresse un caractère si nordique. Aux masses imposantes de Smolnyï, les bleus dominent ; sur l’épure précise, aux contours simples, un peu écrasés, du palais d’Hiver (1754-1762), l’animation est donnée par deux étages de colonnes et des frontons contournés tranchant sur un fond vert ainsi que par une forêt de statues.
Synthèse originale, équilibrée, l’œuvre de Rastrelli ne pourra se poursuivre sous le règne de Catherine II, en dépit — ou peut-être en raison — de son caractère éblouissant. Avec l’arrivée (dès 1758) d’une nouvelle génération d’immigrants et la création, en 1757, d’une académie des Beaux-Arts, qui reçoit ses statuts définitifs en 1764, le néo-classicisme va désormais imposer sa discipline.
H. P.
D. Arkin, Rastrelli (en russe, Moscou, 1954).