Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

artillerie (suite)

Le système Gribeauval

Les leçons de la guerre de Sept Ans ne furent pas perdues en France, grâce à l’intelligence et à l’énergie de Gribeauval. Pour améliorer le système Vallière, il fit raccourcir et alléger les pièces, adopter le caisson, munir de hausse les bouches à feu et généraliser l’emploi des gargousses et des cartouches à boulet ensaboté. Distinguant nettement l’artillerie de campagne (canons de 4, 8 et 12 livres, obusier de 6 pouces), de l’artillerie de siège ou de place (canons de 8, 12, 16 et 24 livres, obusier de 8 pouces), le système Gribeauval équipa les armées françaises durant toutes les guerres de la Révolution et de l’Empire.

Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval, premier inspecteur général de l’artillerie

Celui qui allait faire de l’artillerie française la première d’Europe était né à Amiens en 1715.

Incorporé au Royal Artillerie en 1732, il connaît, après un début de carrière obscur, une destinée fort mouvementée. Au moment où sévit la querelle entre les « rouges », partisans du système Vallière (« plus une pièce est lourde, plus on y met de poudre, plus grande est sa portée »), et les « bleus », qui militent pour la mobilité et la légèreté des canons, Gribeauval est envoyé par le ministre René de Voyer d’Argenson étudier en Prusse les progrès de l’artillerie. En 1757, il passe au service de l’Autriche et s’illustre pendant la guerre de Sept Ans dans la défense de Schweidnitz contre les Prussiens. Rentré en France en 1763, il est nommé par Choiseul premier inspecteur général de l’artillerie en 1764. C’est alors qu’il donne toute sa mesure et crée le système d’artillerie auquel il laissera son nom, et qui est défini par l’ordonnance du 13 août 1765. Sa mise en œuvre sera laborieuse, car les partisans de Vallière, soutenus par le ministre Monteynard, s’y opposèrent par tous les moyens, amenant même Gribeauval à se retirer en 1771 dans sa terre de Beauvel. Il fallut les instances des maréchaux de Broglie et de Soubise pour que, à l’appel du ministre Saint-Germain, il accepte en 1776 de reprendre sa charge de premier inspecteur général, qu’il conservera jusqu’à sa mort, en 1789. « Le caractère de Gribeauval, écrit le marquis de Ségur, était digne de son génie... Une fermeté noble lui faisait soutenir avec tranquillité les revers et les contrariétés. »


Militarisation des conducteurs

Les effectifs de l’artillerie avaient été fixés par un décret de 1790 à 7 régiments de canonniers, 6 régiments de mineurs et 10 compagnies d’ouvriers, soit 9 000 hommes en temps de paix, 15 600 en temps de guerre. Son organisation présentait pourtant encore une grande lacune : c’étaient en effet des charretiers de réquisition ou des entrepreneurs de transport qui avaient la charge de traîner les pièces d’artillerie. Dès que les balles sifflaient, ils avançaient avec une extrême prudence, sinon plus du tout, et c’étaient les malheureux canonniers qui s’attelaient à la bricole pour faire le reste du chemin au combat à la place des chevaux absents. En 1800, Bonaparte, pour remédier à cette situation, décida de remplacer les charretiers par des soldats formant un nouveau corps, appelé le train d’artillerie. La qualité de ses matériels permit à l’Empereur de rechercher avec son artillerie des effets de masse : à Wagram (1809), c’est la grande batterie de cent pièces commandée par Lauriston qui emporta la décision. Mais les portées sont encore limitées : 500 à 800 m en tir à ricochet ; 1 500 à 2 000 m en tir courbe, plus imprécis et moins efficace.


1829, création de la batterie

Les compagnies d’artillerie à 4 ou 6 pièces et les compagnies du train chargées de leur transport n’étaient réunies que de façon temporaire pour le service en campagne. Pour simplifier le commandement de l’ensemble, le comte Sylvain Charles Valée (1773-1846), inspecteur général, décida en 1829 de réunir sous les ordres d’un seul capitaine, en une unité organique appelée batterie, les servants de six canons et le personnel conduisant leurs attelages. Cette réforme, qui créait l’élément de base de l’artillerie moderne, mettait un terme au lent et très pragmatique développement de l’arme, inaugurée par Louvois cent cinquante ans plus tôt.

Les grandes écoles de l’artillerie française

À la veille de la Révolution, sept écoles, sises à Auxonne, Douai, La Fère, Grenoble, Metz, Strasbourg et Valence, forment les officiers d’artillerie. L’ancêtre de l’actuelle École d’application est créée à Châlons-sur-Marne en 1791 : Laplace y enseigna. En 1802, les écoles d’artillerie et du génie fusionnent à Metz, où elles resteront jusqu’à leur implantation, en 1872, à Fontainebleau. C’est là que s’affirmera la grande renommée de cette école, fille de Polytechnique, qui formera toute une lignée d’artilleurs célèbres, parmi lesquels les maréchaux Maunoury, Fayolle et Foch.

Repliée en 1940 à Nîmes, elle y est dissoute en 1942, et rouvre ses portes trois ans plus tard en Allemagne, à Idar-Oberstein, où elle bénéficie du vaste champ de tir de Baumholder. En 1953, elle est réinstallée à Châlons-sur-Marne, sa « garnison d’origine », à proximité des grands camps de la Champagne. Héritière de l’école créée à Versailles en 1884 pour la formation des sous-lieutenants issus des sous-officiers, une École militaire de l’artillerie a fonctionné à Poitiers de 1929 à 1940.


1850-1914 : perfectionnements techniques et fabrications en série

À partir de 1840 s’accélèrent les découvertes scientifiques, que de jeunes officiers comme Antoine Treuille de Beaulieu et François Tamisier appliquent à l’artillerie. Son efficacité va être singulièrement accrue par l’apparition des tubes rayés et l’emploi de projectiles oblongs pouvant être munis de fusées à détonateurs, percutantes ou fusantes. C’est en Prusse que ces progrès sont d’abord réalisés. En 1870, l’artillerie prussienne est équipée de canons en acier de 6 et 9 cm, dont le tube rayé est doté d’une culasse se chargeant par l’arrière. Tirant à 3 500 m des projectiles de 4 et 6 kg, ses canons sont très supérieurs aux pièces françaises de 4 et de 12 en bronze, d’une portée moindre, et qui se chargeaient par la bouche. Quant aux obus français, ils étaient munis de fusées à détonateurs, mais, dans un dessein de simplification, celles-ci ne pouvaient être réglées que pour les deux distances de 1 500 et 2 800 m. À cette date, les Français avaient toutefois conçu un matériel nouveau, le canon à balle de Reffye, qui, mal connu, fut très mal employé (sauf à Gravelotte, 1870), mais demeure l’ancêtre de la mitrailleuse*. Après la défaite de 1870-1871, la France adopte à son tour le tube rayé en acier et la culasse. De 1877 à 1881, un système complet d’artillerie est mis au point par le colonel Charles Ragon de Bange : il comprend une gamme de canons de montagne, de campagne, de siège et de côte dont les calibres s’étagent de 80 à 270 mm.