Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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puniques (guerres) (suite)

Entre deux guerres

Les événements des années suivantes devaient à la fois consolider la position de Rome et envenimer les rapports. Carthage se trouva aux prises avec une révolte, de ses mercenaires, qui se manifesta aussi bien en Sardaigne qu’en Afrique (241-237). Les révoltés de Sardaigne, presque maîtres de l’île, offrirent celle-ci aux Romains, qui ne voulurent pas traiter avec des mercenaires rebelles et interdirent même le commerce avec eux. Mais les Carthaginois coulaient des navires italiques qui les ravitaillaient en contrebande, et les préparatifs puniques de reconquête de l’île finirent par inquiéter les Romains, qui sommèrent Carthage de céder la Sardaigne et la Corse (238-237). Cession symbolique, car les Romains se heurtèrent à leur tour à la résistance des indigènes, qui devait se prolonger très longtemps.

Carthage, épuisée par ses difficultés, œuvrait en vue d’une restauration pacifique de sa prospérité passée ; mais, autour d’Hamilcar Barca, le principal général de la première guerre, se regroupaient les revanchards adversaires inconditionnels de Rome. Hamilcar entreprit en 237 la conquête de l’Espagne, vers laquelle Rome ne jetait pas encore ses regards et dont le commerce avait déjà ouvert les ports. Les progrès de cette conquête inquiétèrent Marseille, qui avait colonisé le nord de l’Espagne, puis Rome, qui, par traité, obtint que la limite de l’expansion punique fût fixée à l’Èbre (226).


La deuxième guerre (218-201)

Le traité fut violé par la prise de Sagonte en 219 par Hannibal*, un des fils d’Hamilcar, qui avait été élevé dans la haine des Romains. Dès l’Antiquité, on discutait des responsabilités dans l’initiative de la guerre. Les Romains faisaient état de la violation du traité, alors que Carthage contestait et les termes et la validité de celui-ci. Il est certain que Rome devait surveiller attentivement les progrès de Carthage, que Marseille, alliée de Rome, s’en inquiétait vivement et que les intentions d’Hannibal étaient équivoques. Comme s’il avait prévu la rupture, le chef carthaginois était prêt, avec une forte armée, pour entreprendre l’expédition terrestre qui allait le mener en Italie et lui permettre, au passage, de recruter des renforts gaulois. Ses victoires successives du Tessin, de la Trébie (218), de Trasimène (217) lui ouvrirent la route de Rome. Hannibal n’attaqua pas Rome même, évoluant à travers l’Italie centrale, cherchant à susciter des défections chez les Italiens. Il trouva un adversaire également disposé aux tergiversations, le dictateur Fabius Maximus Verrucosus, dit Cunctator (« le Temporisateur »), qui estimait que l’on ne devait combattre que lorsqu’on ne pouvait pas faire autrement. Mais l’impatience d’un nouveau consul, C. Terentius Varro, rendit inévitable la bataille de Cannes (216), qui fut un désastre malgré l’ampleur des effectifs romains engagés. La moitié de ceux-ci auraient été perdus. Ce fut le signal des défections en Italie méridionale. Les Samnites, les Campaniens, les Bruttiens adhérèrent au parti d’Hannibal. Mais celui-ci se trouvait bloqué dans cette région, ne recevant jamais les renforts espérés de Carthage. Pour débloquer Capoue assiégée, il fit une marche sur Rome et campa devant la porte Colline (211), puis battit en retraite, tandis que Capoue capitulait et subissait le sévère châtiment de la trahison.

En Sicile, la mort de Hiéron II fut un rude coup pour les Romains (215). Son successeur, Hiéronymos, s’allia à Carthage, qui admit ses prétentions sur la Sicile entière. Assassiné en 214, il laissa le champ libre aux querelles intérieures entre les deux partis. Les maladresses du consul Marcus Claudius Marcellus rétablirent vite l’unité des Siciliens contre Rome. Mais celui-ci assiégea Syracuse (213-212) sans que les secours carthaginois se soient révélés efficaces. Syracuse prise, Rome poursuivit la conquête de la Sicile (212-210), que pacifia le consul Marcus Valerius Laevinus (210-205).

La situation d’Hannibal avait grandement empiré du fait du retour en Italie des troupes de Sicile et de la défaite, sur la Métaure, de son frère Hasdrubal, venu d’Espagne (207).

En Espagne, la guerre s’était poursuivie parallèlement depuis 218. Cneus et Publius Cornelius Scipio se rendirent maîtres du nord-est de la Péninsule grâce à l’aide de Marseille sur mer et d’alliés indigènes (Celtibères) à l’intérieur, grâce aussi à l’éclipse des troupes carthaginoises d’Espagne, qui avaient dû aller réprimer la révolte du roi numide Syphax (214-213). À leur retour en Espagne, ces troupes anéantirent les armées romaines (211). Le fils et homonyme de Publius Scipio, nommé proconsul pour l’Espagne (210), prit Carthagène (209), conquit la Bétique et occupa Gades (206). Revenu d’Espagne en 206, il gouverna quelque temps la Sicile, puis obtint du sénat l’autorisation d’attaquer l’Afrique. Il avait déjà préparé diplomatiquement sa campagne en prenant contact avec les princes numides Syphax et Masinissa, et il avait obtenu l’alliance de ce dernier. Il débarqua près d’Utique (204). Carthage, effrayée et insuffisamment défendue, chercha à négocier ; mais, après la défaite de son allié Syphax (203), elle rappela Hannibal, sur qui Scipion remporta la victoire décisive de Zama (202), malgré l’infériorité numérique de son armée. Carthage traita, cédant l’Espagne, livrant ses éléphants — dont Rome ne tira pas parti —, sa flotte et promettant de verser une indemnité. Sa puissance paraissait effondrée.

Rome avait mené cette longue guerre au milieu des difficultés financières : il avait souvent fallu faire appel à la générosité des riches particuliers, qui sacrifiaient leurs bijoux à la cause de l’État. C’est cette défense valeureuse du territoire et cette solidité de l’esprit guerrier, contrastant avec l’esprit mercantile et rusé de la décadence carthaginoise, qui firent le succès de Rome.

Panique et superstition à Rome devant la menace ennemie

De 218 à 203, à Rome, l’inquiétude était légitime du fait des succès d’Hannibal et de sa présence en Italie. À la réalité des faits, on ajoutait d’autres sujets de terreur : Tite-Live se fait généreusement l’écho des prodiges dont on parlait alors. La statue de Mars située près de la porte Capène avait sué. Au marché aux bœufs, un animal était monté jusqu’au troisième étage et s’était jeté par la fenêtre. La foudre avait frappé le temple de l’Espérance. Alors, on purifiait solennellement la ville. On consacrait des temples, on en reconstruisait (temples de la Foi, de l’Espérance, de la Fortune [Primigenia], de la Raison [Mens], de la Vénus d’Éryx). On tremblait avant Cannes, colportant oracles, présages, prodiges : les dieux restant sourds aux prières, la bataille fut perdue. Et on ne put célébrer les fêtes de Cérès parce qu’il était interdit de pleurer ce jour-là et qu’on ne trouvait aucune femme qui ne fût en larmes. Cette année-là, on enterra vivantes deux vestales qui avaient violé leurs vœux, et le même supplice fut infligé, suivant un vieux rite étrusque, à un Gaulois et à une Gauloise, à un Grec et à une Grecque.