Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Art nouveau (suite)

Transformation des arts graphiques

Les répercussions de l’Art nouveau sur l’art du livre constituent un de ses aspects les plus passionnants. Il est significatif à cet égard que les historiens datent du frontispice dessiné par Mackmurdo pour son livre Wren’s City Churches (1883) l’origine effective du mouvement. Non seulement l’époque abonde en livres illustrés remarquables, mais c’est la conception même du rapport texte-illustration qui se voit bouleversée, tandis qu’apparaissent de nouveaux caractères typographiques. Parmi les illustrateurs de premier ordre, il faut au moins signaler, en Grande-Bretagne, après Walter Crane (1845-1915), Aubrey Beardsley (1872-1898), Frank Brangwyn (1867-1956), Edmund Dulac (1882-1953), Arthur Rackham (1867-1939), en Belgique Georges Lemmen (1865-1916), en France Eugène Grasset (1845-1917), en Allemagne Peter Behrens (1868-1940), Melchior Lechter (1865-1937), Thomas Theodor Heine (1867-1948), en Italie Alberto Martini (1876-1954), en Russie Ivan Bilibine (1876-1942). À la suite de William Morris, qui crée en 1890 son célèbre Golden Type, Georges Auriol et Grasset à Paris, Koloman Moser (1868-1918) à Vienne et surtout Otto Eckmann (1865-1902) à Munich vont révolutionner la typographie. La reliure est surtout représentée par le Néerlandais Carel Adolph Lion Cachet (1864-1945) et le Nancéien René Wiener (1856-1939). L’affiche* Art nouveau, de son côté, est d’une somptuosité et d’une efficacité rarement atteintes depuis, avec ses maîtres incontestés, Mucha et Bradley, et aussi Beardsley, Grasset, G. de Feure, Moser... Enfin, c’est à l’Art nouveau qu’un genre à ses débuts, la bande* dessinée, doit son chef-d’œuvre : Little Nemo in Slumberland, de l’Américain Winsor McCay (1889-1934).


La peinture électrisée

Dans une large mesure, la peinture de l’Art nouveau et la peinture symboliste* se confondent. En effet, l’une et l’autre reçoivent l’héritage préraphaélite* et ses thèmes de prédilection, l’exaltation (maléfique ou bénéfique) de la femme en premier lieu. Mais si la sensibilité est la même, une différence très nette s’établit au niveau de l’expression, par exemple lorsqu’on compare l’Autrichien Gustav Klimt (1862-1918) au Français Gustave Moreau (1826-1898). Aux réflexions sur les mythes du second, les compositions du premier s’opposent comme un cri à une méditation. L’électricité propre à l’Art nouveau fait que les tableaux qu’il a produits (de même que les tapisseries, les vitraux) doivent se lire d’un coup, afin de communiquer leur tension, beaucoup plus qu’ils n’invitent, comme ceux de Böcklin*, de Moreau* ou de Puvis de Chavannes (1824-1898), à une approche lente et silencieuse. Par là, ils sont en un sens plus superficiels, mais aussi plus proprement plastiques, la communication s’établissant grâce à l’intensité de l’arabesque et à la hauteur des tons en aplat. C’est dire à quel point le « synthétisme » de Gauguin codifie magistralement l’esthétique Art nouveau. Par conséquent, on ne s’étonnera pas de trouver parmi les nabis et les peintres de Pont-Aven, tous disciples de Gauguin, maint témoignage de cette esthétique, comme Coup de vent sur le Pont-Neuf de Louis Anquetin (1861-1932), les peintures de Maillol, les tapisseries de Paul Ranson (1864-1909), les Fleurs du mal d’Armand Séguin (1869-1903), les gravures sur bois de Vallotton* ou les étranges peintures-sculptures du Danois Jens Ferdinand Willumsen (1863-1958). Mais, Gauguin et Munch* exceptés, qui le débordent en tous sens, les peintres qui incarnent le mieux l’Art nouveau sont : en Angleterre, Walter Crane ; en Suisse, Ferdinand Hodler (1853-1918) ; en Belgique, Fernand Khnopff (1858-1921) ; en Autriche, Gustav Klimt ; en Italie, Giovanni Segantini (1858-1899) ; aux Pays-Bas, Johan Thorn Prikker (1868-1932) et Jan Toorop (1858-1928).


La sculpture sublimée

La sculpture demeure plus traditionnelle de facture, moins docile à se plier aux impératifs de la subjectivité. Et, bien que les grands sculpteurs de l’époque, comme Rodin* ou Medardo Rosso*, n’échappent pas à l’empreinte de l’Art nouveau, on peut se demander si la contribution la plus spécifique ne vient pas des décorateurs ou des fabricants de petits bronzes à bon marché. En outre, bon nombre de sculpteurs de la période se situent à mi-chemin du symbolisme et de l’expressionnisme, au point qu’il est difficile de les retenir plutôt d’un côté que de l’autre. Tel est le cas de l’Allemand Ernst Barlach (1870-1938), du Tchèque František Bílek (1872-1941), du Français Georges Lacombe (1868-1916), du Belge Georges Minne (1866-1941), du Finlandais Carl Wilhelm Vallgren (1855-1940), du Norvégien Gustav Vigeland (1869-1943). Si l’on tentait de dégager un esprit commun de la diversité de leurs tempéraments, ce serait plutôt une sublimation des passions et des souffrances humaines qui s’imposerait. En fait, le plus grand sculpteur de l’Art nouveau est peut-être tout simplement Gaudí* ; celui chez qui les formes en trois dimensions se métamorphosent le mieux en dynamisme, c’est Hermann Obrist, avec lequel on débouche dans une sorte d’abstraction organique.


Lendemains de l’Art nouveau

En même temps que la nervosité de l’arabesque, bientôt livrée à sa seule griserie, conduit, au-delà du futurisme, aux rythmes libres de l’abstraction* lyrique, la principale réaction contre l’Art nouveau prend le visage du cubisme* et de ses dérivés, l’abstraction géométrique et le purisme. La courbe devient bientôt aussi criminelle que l’ornement ; pourtant, vers 1925, le style Arts déco dissimule mal, sous un masque très superficiellement cubiste, de nettes persistances... Et le surréalisme* commence déjà à choyer le style le plus décrié qui fût jamais, qu’un article retentissant de Salvador Dalí dans Minotaure, en 1933, remet au premier plan des préoccupations esthétiques. Les historiens d’art, comme d’ordinaire, suivent. Aujourd’hui, l’art dit « psychédélique » et ses posters retrouvent, pour magnifier les idoles de la « pop music », les accents exacts de l’Art nouveau. Est-ce un simple phénomène culturel, ou l’art 1900 aurait-il vraiment découvert le secret du style jeunesse ?

J. P.

➙ Décoratifs (arts) / Symbolisme.