Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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protestantisme (suite)

Les traductions françaises

Dès lors, toute l’histoire protestante va être jalonnée par des traductions de la Bible en langue vulgaire, car il importe de la mettre entre les mains de tous les baptisés afin que le peuple de l’Église prenne ses responsabilités dans le témoignage qu’elle rend au monde. Il y a à la base du protestantisme un pari sur l’intelligibilité de l’Écriture pour la foi (Luther dira : « L’Écriture est par elle-même très certaine, facile, ouverte, elle est son propre interprète, prouvant, jugeant, éclairant tout pour tous ») et, par là même, un pari sur la majorité spirituelle des chrétiens. Dès 1521, Luther crée à la fois une langue et un texte de la Bible qui, aujourd’hui encore, constituent une des meilleures versions allemandes. En France, il y avait certes un certain nombre de Bibles en langue vulgaire parues avant l’invention de l’imprimerie, telles la traduction de l’université de Paris, publiée sous Louis IX entre 1226 et 1250, ou, au xive s., celles de Jean de Sy et de Raoul de Presles ; au xve s. paraît la première Bible imprimée, celle de Barthélemy Buyer (1477), mais c’est au xvie s. que Lefèvre d’Étaples publie une traduction de la Bible qui fait date et connaît une grande diffusion malgré ses erreurs et timidités, dues à sa trop grande dépendance de la Vulgate. C’est en 1535 que paraît la première traduction protestante, celle de Pierre Robert dit Olivétan (v. 1506-1538), cousin de Calvin : préfacée par Calvin, cette Bible, la première traduite en langue vulgaire à partir des originaux hébraïque et grec, accompagnée de nombreuses notes d’une étonnante érudition, est remarquable par un Ancien Testament d’une extraordinaire fidélité, moins excellente en ce qui concerne le Nouveau Testament, trop hâtivement traduit pour pouvoir être mis à la disposition des églises persécutées ; elle fut trois siècles durant la nourriture spirituelle des communautés protestantes de langue française ; elle servit de base en 1724 à la révision d’Ostervald (1663-1747), pasteur de Neuchâtel qui donna en deux ans un texte qui connut une fortune prodigieuse.

C’est à la fin du xixe s. que paraissent les traductions qui sont aujourd’hui encore la base de nos textes actuels, celle de Jean-Hugues Oltramare (1813-1891), pasteur de Genève, pour le Nouveau Testament (1872), celle de Louis Segond (1810-1885) pour l’Ancien Testament (1873) et pour l’ensemble de la Bible (1880), d’une grande exactitude sinon d’une grande vigueur de style. Le xixe s. avait vu dans le monde protestant la naissance de nombreuses sociétés bibliques, à la suite de la création à Londres, en 1792, de la Société biblique française. Ces sociétés avaient pour but non seulement la diffusion universelle du texte biblique, mais encore la mise au point de traductions ou révisions toujours plus adaptées aux temps modernes et aux contextes culturels dans lesquels elles devaient être lues. C’est en 1910 que paraît sous les auspices de la Société française la « version synodale », fruit d’un travail collectif prolongé et dont le texte, élégant plus que strictement exact, connaît actuellement une très grande faveur dans les communautés protestantes françaises. Signalons encore la très importante traduction, dite « Bible du Centenaire », parue sous la direction des éminents savants Adolphe Lods (1867-1948) et Maurice Goguel (1880-1955) pour la célébration du jubilé de la Société biblique de Paris, fondée en 1818, et qui est la première version protestante avec introduction et notes faisant le point de tous les travaux historiques et critiques de la science biblique contemporaine. Cette œuvre monumentale a malheureusement été éditée à un tirage si restreint et à un prix tel que sa diffusion a été très faible et n’a pas dépassé les cercles de spécialistes. Il est important de mentionner enfin la très importante participation protestante à l’Ancien Testament de la « Bible de la Pléiade », paru à la N. R. F. en 1956-1959.

Désormais, les hommes de langue française peuvent, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, bénéficier de l’extraordinaire avancée œcuménique dans le domaine biblique : la « traduction œcuménique de la Bible » (T. O. B.) — qui a débuté, en 1967, par la publication d’une version nouvelle de l’Épître aux Romains, introduite et annotée œcuméniquement (véritable événement : le texte de la division au xvie s. devenu celui de la rencontre au xxe s.) — s’est poursuivie par la publication du Nouveau Testament en 1972, l’ensemble de la Bible devant être offert au public en 1975. Ainsi se réalise le grand dessein, espoir des esprits chrétiens les plus généreux, depuis la rupture de l’unité de l’Église d’Occident : rendre aux chrétiens divisés un même texte, une même Écriture, afin que, par son existence, soit relativisée la cassure et soient aplanis les chemins de l’unité.


« Libéralisme » et « fondamentalisme »

Parce que l’Écriture est la règle de toute vérité, contenant « tout ce qui est nécessaire pour le service de Dieu et pour notre salut, il n’est pas loisible aux hommes, ni même aux anges, d’y ajouter, diminuer ou changer. D’où il suit que ni l’antiquité, ni les coutumes, ni la multitude, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les arrêts, ni les édits, ni les décrets, ni les conciles, ni les visions, ni les miracles ne doivent être opposés à cette écriture, mais au contraire toutes choses doivent être examinées, réglées et réformées selon elle. » Cette solennelle déclaration de l’article V de la Confession de foi « de La Rochelle » (1559), définissant l’Église comme toujours à réformer par l’Écriture, n’a pas été constamment prise au sérieux à l’intérieur même des églises de la Réforme. Cette attitude de foi et d’humble attente en face de l’œuvre de l’Esprit expliquant l’Écriture n’a pas toujours été tenue par les protestants eux-mêmes, qui ont parfois érigé leur conscience morale, leur sentiment religieux ou leur raison en juges de l’Écriture. Passée au crible, découpée en passages de valeurs diverses, réduite à l’état de morceaux choisis, celle-ci, au lieu d’être la référence fondamentale à laquelle il est nécessaire de toujours revenir, n’a parfois été considérée que comme un antique et vénérable document, dépassé par les intuitions et les audaces de l’esprit moderne. Dans la perspective du libéralisme moderniste, l’Écriture est soumise aux critères de la psychologie, de la culture, et de la science contemporaines, au lieu que soit recherché ce que l’Esprit, ce que le Christ vivant attesté par l’Écriture dit et fait à toute époque et pour tout homme. Ainsi a-t-on pu avoir des évangiles humanistes, romantiques, hégéliens, marxistes, positivistes ou existentialistes ; la liste n’est pas close, ni le courant épuisé de ces interprétations arbitraires et défigurantes du message apostolique.