Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pouchkine (Aleksandr Sergueïevitch)

Écrivain russe (Moscou 1799 - Saint-Pétersbourg 1837).



Introduction

C’est le héros de la lumière et de l’allégresse. Il a la démarche dansante, les lèvres épaisses et gourmandes, l’œil clair, ensoleillé par une flamme intérieure. Nuit et jour, il court les fêtes et le plaisir. Dans ses veines bouillonnent quelques gouttes de sang nègre. Ce jeune dandy insolent de santé s’appelle Pouchkine et, d’un coup d’aile, il s’élève aux sommets de la perfection littéraire.

Rien ne le retient dans son envol, ni la cage dorée des salons, ni l’étreinte des femmes, ni la pesante protection d’un tsar. Libertin, libertaire, espiègle et frondeur, Pouchkine aime le risque et le désordre, mais les principes de son art sont austères et l’harmonie de son œuvre est acquise au prix d’une contrainte. Avec une justesse innée, Pouchkine débarrasse la langue russe de ses lourdeurs archaïques et des afféteries empruntées à l’Europe : nul clinquant, nul artifice, mais un style simple comme la plaine, qui célèbre en vers diaprés ou en prose limpide la saveur des plaisirs et la grandeur d’un peuple.

Écrivain si lumineux, si classique, si serein dans sa maturité qu’il déconcerte. Où sont les débordements chers à l’âme slave ? Traduisant la Dame de pique et autres récits, Gide s’avoue étonné par leur « non-étrangeté ». Pouchkine ne se laisse pas aisément enfermer dans le cadre convenu de la « Sainte Russie », riche de confessions et de désordres, de justes souffrants, de saintes prostituées. Et, pourtant, nul ne lui refusera le titre du plus national des écrivains russes. Le plus national, le plus universel aussi, selon Dostoïevski, parce que, doué de « compréhension universelle », Pouchkine a assimilé les leçons de l’Europe et offert en une suprême harmonie un idéal de sagesse active et de passion maîtrisée.

Sur cet être radieux planent aussi des ombres : il y a en lui une nostalgie du temps qui passe, le pressentiment d’un monde bientôt bouleversé, le malaise devant une élite coupée du peuple, enfin la conscience aiguë de l’absurdité du destin. Pour un tour de valse de trop, Lenski est tué par son ami Onéguine ; pour un méchant ragot, Pouchkine succombera aux coups d’un insipide petit officier français.


« Laid descendant des nègres »

L’apparition fulgurante de Pouchkine au zénith de la littérature russe recèle quelque chose de mystérieux. Avant lui, quelques étoiles isolées. Après lui, une pléiade de noms célèbres qui brillent d’un rare éclat. Une vie d’homme, une courte vie de trente-huit ans, a suffi à rajeunir les traditions et à ensemencer la littérature.

Ce miracle doit beaucoup à la culture européenne. Dès sa jeunesse, Pouchkine s’imprègne des littératures étrangères, et la langue française, à la mode dans la haute société, lui sert de langue maternelle. Il nomme Molière et Voltaire ses maîtres ; il traduit Anacréon, Xénophon, Horace. Puis il paye son tribut à l’Angleterre, à Byron, à Scott, à Shakespeare. C’est d’ailleurs tout à fait conscient de ses dons d’assimilation qu’il emprunte les thèmes littéraires de la vieille Europe afin de les rajeunir : du vin neuf dans de vieilles outres.

Cette extraordinaire disponibilité s’explique peut-être par ses origines familiales et par son éducation. Par sa mère, Pouchkine descend d’Hannibal, « le nègre de Pierre le Grand », Éthiopien nommé général de l’armée russe. Par son père, il appartient à une famille de vieille lignée, appauvrie. Son enfance se déroule dans une cocasse atmosphère de tradition, d’exotisme et de galanterie française, entre une maison de campagne vermoulue, Mikhaïlovskoïe, et un hôtel délabré à Moscou. Son père, criblé de dettes, amateur de belles-lettres et de belles femmes, court de réception en réception. Sa mère, surnommée « la Créole », irascible, excentrique, terrorise la maisonnée par ses colères et ses écarts de langage. Dénué de sens pratique, le couple se désintéresse de l’éducation de ses trois enfants (Aleksandr a un frère et une sœur), pour ne penser qu’aux toilettes et aux moyens d’échapper aux créanciers.

Plante sauvage, Pouchkine s’élève librement, confié aux soins d’une nourrice dévouée, qui lui raconte des histoires en russe. Taciturne, paresseux, violent, il reste des heures dans la bibliothèque paternelle, dans l’intimité des classiques français et des poètes licencieux. Ces lectures échauffent son sang ardent : elles lui inspireront les poèmes érotiques les plus osés, peut-être, de la littérature russe. Ainsi, d’ailleurs, l’adolescent se décrit-il : « Étourdi, toujours oisif / Laid descendant des nègres / Élevé dans une simplicité sauvage / Ignorant des souffrances de l’amour / Je plais à la jeune beauté par la fureur impudique du désir ! »

Le sensuel Parny, Chénier, Voltaire, tels sont ses premiers maîtres. Voltaire surtout : chez lui, Pouchkine puise l’ironie, le libertinage, le goût de la satire, la limpidité du style, enfin un authentique amour de l’humanité. Comme Voltaire, il finira dans la peau d’un historien. En pleine époque romantique, il restera toujours, en profondeur, un homme du xviiie s.


« J’ai survécu à mes désirs »

De Pouchkine adolescent, il y a peu à dire, sinon qu’il se montre également précoce dans les jeux de l’amour et dans les jeux littéraires. Si ses professeurs du lycée de Tsarskoïe Selo le jugent seulement « brillant et superficiel », déjà de grands maîtres, Derjavine, Joukovski, Karamzine, admirent la fluidité de ses vers, son aisance technique, la sûreté de sa touche. D’émotion, nulle trace dans ces poèmes de potache : Pouchkine préfère la grivoiserie, l’ironie ou les élans sensuels aux sentiments !

En 1817, il entre au département des Affaires étrangères, à Saint-Pétersbourg. Sinécure, ou presque : il passe ses journées à discuter de politique et ses nuits dans les bals, les cabarets ou les tripots, à l’affût de quelque bonne fortune. La haute société, qui n’aime ni les insolences, ni les blasons dédorés, lui réserve un accueil plutôt froid.