Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arras (suite)

L’histoire

Capitale des Atrébates connue par César sous le nom de Nemotecenna, rebaptisée au iiie s. sous celui d’Atrebatum, Arras, bien située sur la route de Thérouanne à Trèves, doit sa prospérité à sa production de draps célèbre dans tout l’Empire à l’époque gallo-romaine. Ruinée et dépeuplée par l’invasion germanique du 31 décembre 406, la ville perd la direction de son évêché. Restauré en 499 au profit de saint Vaast, second fondateur d’Arras, le siège épiscopal est confié entre 554 (?) et 1093 (?) à l’évêque de Cambrai. Par contrecoup, la célèbre abbaye de Saint-Vaast, fondée au moins dès le milieu du viie s., devient le foyer essentiel de l’évangélisation régionale, et c’est autour d’elle et à côté de l’ancienne cité romaine, résidence épisodique de l’évêque de Cambrai, que naît dans la vallée du Crinchon la ville d’Arras. Dotée d’un atelier monétaire, celle-ci connaît un certain essor démographique. Incendiée par les Normands (883), elle est fortifiée entre 883 et 887, ce qui attire de nombreux immigrants. Occupée une première fois par le comte de Flandre Baudouin II au ixe s., Arras est intégrée pour trois siècles à la Flandre par le comte Arnoul Ier (918-964/5). La réforme de l’abbaye de Saint-Vaast au xe s. contribue à faire d’Arras un important foyer spirituel et intellectuel. En outre, bien placée sur la route qui unit l’Angleterre à la Champagne et à l’Italie, Arras reçoit des laines anglaises qui assurent alors la renaissance de la draperie. Exportée essentiellement vers l’Italie par des négociants de la péninsule qui fréquentent la ville au moins dès 1027, cette draperie assure le peuplement de la jeune agglomération, qui se développe entièrement sur le territoire abbatial.

Groupant probablement 7 000 à 8 000 habitants, dont la présence dans ses murs justifie la nomination d’un évêque résidant en 1093, Arras connaît une précoce et exceptionnelle expansion qui porte sa population à 20 000 habitants au temps de son apogée, à la fin du xiiie s. De cette expansion si rapide, la ville est d’abord redevable aux familles marchandes. Riches en terres et en biens immobiliers les bourgeois se font tour à tour prêteurs d’argent (1223), marchands d’étoffe vers 1300 et négociants en vins vers 1400.

Dotée dès le début du xie s. de deux vastes marchés ouverts (le Grand et le Petit), la ville apparaît d’abord comme l’une des plus grandes cités drapantes de l’Occident, cité dont la production tissée sur place est vendue aux marchands des pays du Midi, surtout italiens, qui, par Gênes, en assurent la réexportation vers l’Orient. Les Arrageois se rendent eux-mêmes dans cette place pour y écouler leurs étoffes et passent fréquemment en Angleterre pour y acheter des laines (ou du fromage) en échange de produits divers ; ils réinvestissent leurs gains soit dans des achats de terres, soit dans des opérations de prêts hautement rentables. Poursuivant d’ailleurs le recouvrement de leurs créances avec une âpreté exceptionnelle, les Crespin, les Louchard, contrairement aux Italiens, évitent la faillite et assurent à leur ville le rôle de « capitale de la banque du nord de la France et de la Flandre ».

Bien qu’ils diversifient avec habileté leurs placements, ces marchands banquiers ne peuvent pourtant pas échapper à la crise dont est victime la draperie flamande au xive s. Aussi lui substituent-ils une industrie d’art, la tapisserie, dont la production est contrôlée en particulier par les Croisettes, les Vaissel et surtout les Walois.

Avec le négoce du vin, la haute lisse contribue au maintien de la prospérité arrageoise jusqu’au milieu du xve s. et à sa reprise temporaire dans la première moitié du xvie s. En même temps, elle permet aux maîtres de l’économie locale d’assurer le maintien de leur fortune. Formant une véritable caste privilégiée — le patriciat —, fiers de leur ville, ils contribuent sans doute à l’édification de la première cathédrale d’Arras vers 1060. D’esprit curieux, ils s’intéressent à l’astronomie, à la géométrie, au calcul mental. S’associant en un « Pays d’Arras », dont le riche marchand Jehan Bretel est le prince, ils favorisent un genre littéraire nouveau, le jeu parti, et servent de mécènes à de nombreux poètes (Gautier d’Arras, Jean Bodel, etc.), qui font de leur ville la capitale de la poésie et le berceau du théâtre profane, illustré par le Jeu de la feuillée, attribué à Adam* de la Halle. Ils n’en sont pas pour autant épargnés par une juste satire.

Profitant de leurs richesses, ils accaparent en effet l’échevinage. Né sans doute d’une institution abbatiale bientôt contrôlée par le comte de Flandre, mais au sein de laquelle les patriciens arrageois s’arrogent de plus en plus de pouvoir, l’échevinage voit ses pouvoirs limités par Philippe d’Alsace entre 1168 et 1178, et son mécanisme électoral précisé par la charte donnée à Arras par Philippe II Auguste et étendue par lui à toutes les villes du Nord. Reposant sur un système électoral censitaire, assurant son renouvellement par cooptation tous les quatorze mois, l’échevinage reste pendant des siècles entre les mains des mêmes familles, qui s’en servent, en particulier, pour alléger leurs charges financières aux dépens des autres habitants de la ville, et pour faciliter par voie de justice le recouvrement de leurs créances aux dépens de leurs débiteurs ou de leurs ouvriers. Exercé de manière tyrannique, suscitant donc de nombreuses et sanglantes révoltes populaires (1285, 1355), ce pouvoir est en partie limité par la « commission des 24 » (8 représentants des métiers, 8 des drapiers et 8 bourgeois nommés par les seize premiers). Cette commission assure jusqu’en 1350 une meilleure gestion financière de la cité, mais elle ne peut empêcher les patriciens de se soustraire, en fait, aux rigueurs de la justice, et donc de s’opposer avec acuité au « commun ».

Victime à partir du xve s. des guerres franco-anglo-bourguignonnes, Arras est occupée le 4 mars 1477 par Louis XI. Ce souverain, qui craint une éventuelle révolte par fidélité bourguignonne, fait raser les fortifications et expulser la population au profit d’artisans venus de toutes les villes de France (lettres patentes du 2 juin 1479). Rebaptisée du nom de Franchise (1479-1482), Arras ne se relèvera jamais de cette épreuve. Restituée officiellement à la France (1482), pillée par les Espagnols (1492), occupée par les Français (1640), assiégée en vain par les Espagnols (1654), elle redevient officiellement française par le traité des Pyrénées (1659). Capitale du gouvernement de l’Artois (1765), chef-lieu du Pas-de-Calais (1791), administrée par le représentant en mission Joseph le Bon (1793-1794), la ville est victime de la Première Guerre mondiale.

P. T.