Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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population (suite)

La Russie était un pays de la forêt mixte. Depuis le xvie s., son économie dépendait largement des marchés européens, auxquels elle était reliée par Arkhangelsk et la mer Blanche, puis par Saint-Pétersbourg et les ports de la mer Baltique. La puissance russe s’était édifiée sur un peuplement surtout dense au nord et à l’ouest. Dans le courant du xixe s., le Sud, ouvert sur l’Europe depuis que la mer Noire est devenue russe sur sa face septentrionale, devient la grande zone agricole du pays, avant d’offrir aux industries modernes les facilités qu’elles trouvent mal dans les régions de l’ancienne Russie ou des pays baltes, mal pourvues en énergie. Progressivement, au cours du siècle, le peuplement gagne vers le sud-est, le long de la Volga, et vers l’est, en Sibérie ; ainsi se prépare un équilibre régional très différent de celui des époques précédentes.

À passer ainsi les continents en revue, on s’aperçoit que les grandes configurations de peuplements sont restées assez stables, mais que des nuances existent. La croissance rapide des foyers littoraux du Nouveau Monde doit beaucoup aux migrations intercontinentales, qui ont porté sur quarante millions de personnes au xixe s., alors que, presque partout ailleurs, le mouvement naturel est plus significatif. Dans le monde latino-américain, en Afrique, dans l’Asie de la mousson, les principes de répartition ne varient guère jusqu’à une date récente. La plus grande partie de la population demeure rurale, liée aux zones cultivables que l’on exploite depuis longtemps et que l’on sait mettre en valeur dans les meilleures conditions. Les villes apparaissent comme des marchés ou des centres politiques au milieu de régions paysannes ; il arrive qu’elles soient absentes ou ne jouent qu’un rôle très modeste, comme en Afrique au sud du Sahara, sans que les caractères généraux de la répartition de population soient différents.

En Europe, à la fin du xviiie s., la situation était très semblable : la densité est plus uniforme que dans la plupart des régions agricoles du monde intertropical, car les techniques agricoles trouvent dans ce milieu humide la possibilité de s’exercer presque partout. Mais que l’eau devienne rare, les sols divers, le relief heurté, comme autour de la Méditerranée, et les contrastes de densités rurales, qui sont si fréquents en Amérique latine, en Afrique ou en Asie des moussons, réapparaissent. En Europe occidentale, les cloisons qui isolaient à l’origine les foyers de peuplement, comme dans la plupart des pays demeurés ruraux aujourd’hui, avaient mis longtemps à disparaître ; elles ont laissé des traces durables dans l’organisation régionale qu’elles ont préparée, souvent déterminée.


Les types nouveaux de formations de densité

Depuis un siècle et demi, le sens de l’évolution est profondément altéré : il est dominé par l’urbanisation. Celle-ci se fixe d’abord sur les bassins houillers ou dans les régions humides dont les eaux fournissent l’énergie. Elle transforme les estuaires en conurbations grouillantes de cheminées d’usines et d’industries. Elle se traduit en même temps par la poussée vigoureuse des bourgs, des villes, des cités, par leur organisation en une hiérarchie dominée par de grandes métropoles. Les plus actives dépassent déjà le million d’habitants à la fin du xixe s. Les bouleversements de la structure régionale de la répartition tiennent en Europe au développement des agglomérations beaucoup plus qu’à la poursuite de la croissance séculaire des zones rurales.

Les pays d’Amérique du Nord avaient vu se créer au cours des xviie et xviiie s. des campagnes à la manière de l’Europe : il n’y avait pas de grande ville dans les colonies anglaises au moment de la guerre d’Indépendance ; Philadelphie, la plus puissante, n’excédait pas 40 000 habitants ; plus de 90 p. 100 de la population étaient ruraux : on estime la fraction urbaine, si on prend comme limite inférieure des cités 8 000 habitants, à 3,5 p. 100 en 1750, à 5 p. 100 au début du xixe s. On n’atteint 20 p. 100 qu’au moment de la guerre de Sécession.

Dès le début du xixe s., pourtant, les conditions de mise en place du peuplement se modifient : l’économie rurale est déjà commerciale ; la productivité du travail augmente d’autant plus que la terre est abondante. La ville devient le point d’accrochage de la réalité sociale et économique américaine avant même de se gonfler beaucoup. Avec l’avènement de la grande industrie dans le dernier quart du siècle, l’Amérique subit une évolution semblable à celle de l’Europe ; dans l’Ouest, dont la mise en valeur se fait alors, le semis humain est dès l’origine très différent de ceux qui sont hérités d’une longue histoire rurale. Avec le temps, la tendance à la concentration perceptible dès la fin du siècle se précise : 96 p. 100 de la population américaine vivent dans les zones urbaines ou dans les auréoles d’où l’on peut facilement avoir accès aux services qu’elles offrent. Les zones métropolitaines se pressent dans les secteurs favorisés par le climat, l’histoire, les communications, donnant naissance à des mégalopolis dont le prototype est constitué par la façade atlantique de Boston à Washington, mais qui trouvent d’autres exemples sur les rives des Grands Lacs, de Chicago à Cleveland, et de là à Pittsburgh et sur la côte Pacifique, entre San Francisco et San Diego. Dans la Californie, plus de la moitié de la population n’est-elle pas concentrée dans les deux zones métropolitaines principales, celle de la baie de San Francisco et celle de Los Angeles ?

L’Australie et, dans une moindre mesure, l’Argentine et le sud du Brésil connaissent aussi ces types nouveaux de répartition. Dans les vieux pays d’Europe occidentale, le réseau urbain est progressivement modelé dans un sens voisin, comme c’est le cas aussi du Japon : les métropoles, les mégalopoles y tiennent une place croissante.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays restés jusqu’alors dominés par une masse de population rurale connaissent à leur tour une urbanisation frénétique, mais les villes ne groupent encore qu’une fraction assez faible de la population (en Afrique surtout, ou en Asie ; l’Amérique latine est plus urbaine, et depuis plus longtemps). La croissance se fait le plus souvent au profit d’agglomérations dont le gigantisme étonne dans des pays sans tradition industrielle, sans expérience de la grande cité.