Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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populaire (littérature) et populiste (littérature) (suite)

Du roman criminel au roman policier

Faut-il faire d’Edgar Poe* le fondateur du roman policier à énigme avec le Double Assassinat de la rue Morgue, la Lettre volée et le Mystère de Marie Rogêt ? Faut-il rattacher la naissance du roman policier au développement des grandes villes modernes, avec leur sous-prolétariat, et à la création de la police moderne, munie de moyens d’enquête scientifiques ? Ce n’est qu’en partie vrai.

Le folklore comporte, en effet, de nombreuses histoires de voleurs qui ne vont pas parfois sans témoigner d’admiration pour les filous habiles. Même dans les contes merveilleux, les héros, bien souvent, ne font rien d’autre que « rouler » des puissants, ogres, géants, magiciens, rois ou princesses à l’aide de divers subterfuges, ce qui est bien dans l’esprit d’une certaine finauderie paysanne.

Puis, avant que naisse le roman policier, il existe toute une littérature criminelle populaire. Sans compter la Vie généreuse des mercelots, qui est le premier et le plus ancien récit d’exploits de truands, gueux et bohémiens, le colportage diffusait déjà Robert le Diable, qui pendant plusieurs siècles a fait trembler les chaumières en rapportant les exactions et crimes d’un brigand de haut lignage, sur un thème à la fois de légende et de conte populaire. Au xviiie s., les vies de Cartouche et de Mandrin sont aussi diffusées par le colportage, et Mandrin fait ligure de héros justicier. Le roman-feuilleton par son intrigue criminelle n’a donc fait que suivre une tradition profondément populaire.

Parallèlement à ce courant, le roman policier a puisé dans un courant plus « littéraire » avec les romans de terreur et d’épouvanté d’Horace Walpole, de Mrs. Radcliffe et de M. G. Lewis, qui ont inspiré tout le roman-feuilleton, soit directement, soit par l’intermédiaire de Ducray-Duminil, comme nous l’avons signalé. Et il ne faut pas oublier Une ténébreuse affaire de Balzac, qui est déjà un roman policier, et même Splendeurs et misères des courtisanes.

Bien entendu, parce qu’il y a des secrets, des crimes, des déguisements et des pistes mystérieuses, même des duels entre policiers et criminels dans Ducray-Duminil, Eugène Sue ou Ponson du Terrail, il ne s’ensuit pas que ces auteurs ont créé le roman policier, mais le matériel est en train de s’élaborer, tandis que les protagonistes se dessinent de mieux en mieux, pour devenir des types mythiques caractérisés.

Lorsque va naître le roman policier, ses auteurs n’auront plus qu’à rassembler tout cela, à le lier sous forme d’un récit uniquement consacré à l’enquête criminelle.


Du roman d’aventure au roman d’espionnage

Des commentateurs ont voulu voir dans la vogue actuelle du roman d’espionnage le produit de la guerre froide. C’est simplement oublier l’Espion de Fenimore Cooper*, paru en 1821 en Amérique. C’est oublier que la collection « le Masque », vers les années 1930, publiait de véritables romans d’espionnage traduits de l’anglais.

Le personnage du « Vieux », chef des services d’espionnage ou de contre-espionnage, que l’on trouve à peu près obligatoirement dans tous les romans d’espionnage, des aventures de James Bond à celles du Gorille, n’a même pas été créé par Peter Cheyney, vers la fin de la dernière guerre, ni même par Dashiell Hammett dans certains de ses romans policiers. Il suffit de relire les Trois Mousquetaires pour se rendre compte que tous les traits caractéristiques du Vieux sont déjà réunis dans la peinture qu’Alexandre Dumas* fait de Richelieu.

Qui plus est, c’est le vieux roi des contes merveilleux qui lance le jeune héros dans des aventures lointaines, hérissées de pièges apparemment insurmontables pour accomplir des tâches réputées impossibles telles que dérober les trésors d’un ogre, les trois poils d’or du diable, interroger le Soleil ou découvrir des énigmes, alors qu’en même temps il doit fournir des réponses valables à des questions formulées par ceux qu’il rencontre s’il ne veut pas être leur victime comme l’ont été ses prédécesseurs dans la quête aventureuse.

Il est probable que le Vieux représente la puissance paternelle. C’est très souvent le cas dans le conte populaire, bien que l’on ait voulu généraliser abusivement et voir trop systématiquement dans le personnage du roi un substitut du père. Le personnage du « Vieux », comme celui de l’empereur ou du roi des contes, symbolise aussi l’autorité au sens le plus large, celle de la société en tant qu’extension de la puissance paternelle.

L’aventure, les exploits extraordinaires ressemblent singulièrement à ces rites initiatiques de passage de l’adolescence à l’âge adulte de certaines sociétés primitives, mais qui seraient vécus symboliquement au lieu d’être réels. On relève le défi lancé par le père. Il faut en être digne, sinon le dépasser. On peut se révolter un instant contre lui, ou tout au moins enfreindre ses ordres, mener l’affaire à sa guise et la terminer à son gré, mais on ne peut le supplanter ou détruire sa puissance. Il y a en lui quelque chose qui tient de l’autorité de droit divin. La révolte contre le père est alors sublimée et déviée vers un ennemi extérieur.

Cependant, le roman d’espionnage vient plus directement du roman-feuilleton historique, et le maître du genre reste Alexandre Dumas. Parmi ses successeurs on ne saurait sous-estimer Michel Zévaco (1860-1918), créateur de Pardaillan, qui a su accélérer le mouvement du récit pour lui donner à peu de chose près sa forme moderne avec son rythme rapide, haletant, et jusqu’à ce fond de sadisme devenu quasi obligatoire. Les aventures de Pardaillan commencent comme un roman historique à la Dumas, avec panache, bravoure et coups d’épée, mais l’auteur se laisse aller à son imagination, il dépasse bientôt le roman historique classique et nous entraîne dans une épopée fabuleuse. Pardaillan ne se contente plus en bon redresseur de torts de réunir des amoureux persécutés et séparés. Il se lance dans la haute politique nationale et internationale. Il assure le trône d’Henri IV. Il déjoue une intrigue de cardinaux et d’évêques qui veulent proclamer papesse l’aventurière Fausta. Le grand duel Pardaillan et Fausta (1913) commence par des intrigues dignes en tout point d’un roman d’espionnage, entre la cour de France, la cour des papes et celle d’Espagne.