Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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poliomyélite (suite)

Le virus

Le poliovirus fait partie, avec les virus coxsackie et ECHO, de la famille des entérovirus. C’est un virus de très petite taille (de 20 à 30 mμ), qui peut être extrait à l’état pur à partir d’une culture de tissus. Il se présente en microscopie électronique comme une sphère. Il cristallise à + 4 °C pour un pH de 5,9 en donnant des cristaux rhomboédriques. C’est un A. R. N. virus dans la mesure où il contient de l’acide ribonucléique. Le singe est la seule espèce animale chez laquelle les poliovirus soient régulièrement pathogènes. La pénétration du virus se fait chez l’homme par les voies aériennes ou digestives. Il se multiplierait d’abord dans les amygdales pour infester secondairement ensuite l’intestin et, de là, gagner les systèmes nerveux par voie sanguine. On estime que 1 p. 100 seulement des infections à poliovirus ont chez l’homme des conséquences neurologiques, dont le déterminisme, d’ailleurs, est mal connu. Dans la grande majorité des cas, en effet, la pénétration du virus n’est suivie d’aucune manifestation clinique et n’entraîne qu’un bref épisode fébrile ou diarrhéique. Cette pénétration du virus a pourtant une conséquence importante : c’est l’apparition rapide d’anticorps sériques. Ceux-ci assurent une protection du sujet concerné contre d’éventuelles conséquences neurologiques d’une nouvelle contamination, qui ne fera alors que relancer la production d’anticorps ; à défaut de telles stimulations, ceux-ci disparaissent progressivement.

L’homme constitue le réservoir essentiel de ce virus, qui n’est trouvé que très occasionnellement chez d’autres êtres vivants. Les sujets infestés, malades ou non, peuvent garder le virus plusieurs semaines, l’éliminant par les selles. Il résiste remarquablement dans les milieux extérieurs (l’eau par exemple), notamment aux fermentations anaérobies qui caractérisent l’épuration biologique. Le paradoxe que représentait avant la vaccination l’importance croissante des épidémies dans les pays ayant le niveau de vie plus élevé (ceux où, a priori, l’hygiène est le plus développé) n’est qu’apparent : le haut niveau de vie s’accompagne, certes, d’une diminution des poliovirus dans l’environnement, mais, parallèlement, diminue le nombre de sujets ayant eu l’occasion de développer des anticorps et de les maintenir à un taux élevé, ce qui rend possible le brusque développement d’épidémies importantes dès lors que la vaccination ne les protège pas. De la même façon, on comprend que le risque de contracter une poliomyélite soit particulièrement élevé chez les non-vaccinés issus de ces pays lorsqu’ils sont amenés à séjourner dans une contrée où, pour des raisons inverses, la maladie ne procède pas par grandes épidémies et frappe surtout des enfants jeunes.


Aspects cliniques

Le tableau le plus caractéristique est fait d’une fièvre élevée d’installation brutale, de douleurs musculaires et de paralysies assez particulières. L’apparition des paralysies est brusque, et leur topographie anarchique. Le déficit moteur porte sur n’importe quel muscle, de façon asymétrique et inégale. Il s’y associe une abolition des réflexes ostéotendineux et une tendance rapide à l’atrophie musculaire. Ces paralysies ont également une tendance régressive assez rapide (ce qui ne signifie nullement qu’elle doive être complète). Un point important est qu’il n’existe jamais dans cette maladie de troubles de la sensibilité. Le syndrome méningé clinique peut manquer, mais toujours il existe dans le liquide céphalo-rachidien une augmentation des cellules avec généralement un accroissement de l’albumine, qui aura tendance à augmenter alors même que la réaction cellulaire aura déjà disparu. Le pronostic vital peut être mis en jeu par l’existence de paralysies des muscles respiratoires, mais aussi par des éléments témoignant d’une diffusion de la maladie au bulbe rachidien et au tronc cérébral, avec, en particulier, des troubles de la commande respiratoire (que les muscles soient paralysés ou non) et des dérèglements neurovégétatifs. Ces troubles bulbaires, extrêmement graves dans l’immédiat, sont, à la différence de la paralysie musculo-respiratoire, totalement réversibles passé la phase aiguë.

La maladie peut encore se présenter sous l’aspect d’une méningite aiguë lymphocytaire pure, sans paralysie ni troubles de la conscience : le pronostic en est excellent. Des formes encéphalitiques s’observent plus rarement. Dans ces cas surtout, la contribution diagnostique de l’enquête virologique est importante. Le virus peut être isolé à partir des selles et des sécrétions bucco-pharyngées (culture sur milieux cellulaires). Il faut y associer la mise en évidence d’une élévation du taux des anticorps correspondants (deux prélèvements de sang à quelques jours d’intervalle).

Les séquelles de la poliomyélite sont d’importance très variable. La gravité en est accrue si la maladie touche des enfants. La croissance sera en effet l’occasion de déformations (notamment de la colonne vertébrale) qui viendront aggraver le retentissement fonctionnel des séquelles préexistantes.


Traitement et prévention

Le traitement comporte à la phase aiguë un repos strict, des antalgiques et des mesures préventives vis-à-vis d’éventuelles déformations. Les formes respiratoires de la maladie sont justiciables d’une ventilation assistée endotrachéale (v. respiration* artificielle) qui permettra de passer le cap aigu dans une proportion importante de cas. Ultérieurement, la rééducation fonctionnelle constitue l’essentiel du traitement avec ses implications de kinésithérapie et d’orthopédie chirurgicale ou non, et ce généralement pendant de nombreuses années.

Le traitement préventif, en dehors des mesures d’hygiène générale en cas de menace d’épidémie (isolement, fermeture d’établissements scolaires, stérilisation des eaux avec addition de chlore, etc.), est dominé par la vaccination. Depuis son application, le nombre des cas annuels est passé par exemple aux États-Unis de 57 540 cas (dont 6 000 décès) en 1950 à 431 cas en 1963. En France, il y eut 4 109 cas en 1957 et 290 en 1965. Ces chiffres témoignent de la valeur de cette vaccination et justifient les dispositions légales dont elle est l’objet. Deux types de vaccins sont utilisables : soit un vaccin inactivé (virus tué) du type de celui de l’Institut Pasteur (mis au point par le Français Pierre Lépine), qui doit être injecté par voie sous-cutanée (trois injections à trois semaines ou à un mois d’intervalle avec une injection de rappel un an plus tard, puis tous les cinq ans) ; soit un vaccin vivant atténué (mis au point par l’Américain Albert Bruce Sabin), qui s’administre par voie orale (vaccination en trois prises, à six ou huit semaines d’intervalle, qu’il convient de renouveler tous les ans au début, en espaçant ensuite).

J. E.

 Biology of Poliomyelitis (New York, 1955). / R. Debré, D. Duncan, J. F. Enders et M. J. Freyche, la Poliomyélite (Masson, 1955). / A. Neveu, Comment prévenir et guérir la poliomyélite (Dangles, 1968).