Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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policier (film) (suite)

Passé la Première Guerre mondiale, le cinéma policier américain connaît une nouvelle jeunesse. En 1927 Josef von Sternberg réalise les Nuits de Chicago (Underworld) sur un scénario de Ben Hecht. Comme dans les Carrefours de la ville (City Streets de R. Mamoulian), tourné quatre ans plus tard, les personnages sont encore habités d’un certain romantisme, le courage du bandit n’est pas à mettre en doute, et sa lutte contre la prohibition en fait un héros de révolte. Le Petit César (Little Caesar de M. Le Roy, 1930), l’Ennemi public (The Public Enemy de W. A. Wellman, 1931) et surtout Scarface (de H. Hawks, 1932) nous proposent une autre vision des bas-fonds américains. La légende du crime est en train de naître, mais nous sommes délibérément du côté de la police. C’est la période où l’on assiste aux grandeurs et aux décadences de gangsters divers qui ont les traits de James Cagney (l’Ennemi public), d’Edward G. Robinson (le Petit César), de Paul Muni (Scarface). Parallèlement au film de gangsters, le policier humoristique poursuit une carrière allègre, notamment avec l’Introuvable (The Thin Man de W. S. Van Dyke, 1934), inspiré de Dashiell Hammett.

En 1935, un nouveau changement s’opère. L’agent du FBI succède au gangster en tête d’affiche et devient la figure centrale de nombreuses productions, parmi lesquelles G-Men (de W. Keighley, 1935), où l’on retrouve J. Cagney, cette fois, du côté de la loi, et Bullets or Ballots du même Keighley (1936), qui réunit E. G. Robinson et un jeune acteur qui n’est pas encore passé dans la légende, Humphrey Bogart, aperçu l’année précédente aux côtés de L. Howard et de B. Davis dans la Forêt pétrifiée (The Petrified Forest d’A. Mayo, 1935), un mélodrame noir.

Après un bref retour au romantisme avec J’ai le droit de vivre (You only live once de F. Lang, 1937), dont les préoccupations sociales font un film charnière, le policier se lance dans la morale et expose à longueur de films toutes sortes de théories sociales relatives aux crimes et aux criminels. Rue sans issue (Dead End de W. Wyler, 1937), l’École du crime (Crime School de L. Seiler, 1938) et surtout les Anges aux figures sales (Angels with Dirty Faces de M. Curtiz, 1938) nous démontrent que la misère mène fatalement au crime la jeunesse vouée à la rue. Souvent brillants par leur interprétation, leur photographie et leur mise en scène, ces films n’évitent pas toujours les pièges du prêche moralisateur et marquent le point limite d’un genre qui se doit, pour survivre, d’évoluer considérablement. Les années 30 ont vécu. Aux États-Unis, elles laissent surtout le souvenir d’acteurs exceptionnels. Il est difficile d’oublier J. Cagney, E. G. Robinson, P. Muni ou la Bette Davis de Femme marquée (Marked Woman de L. Bacon, 1937). En France, l’entre-deux-guerres a vu le genre policier prendre les chemins de l’exotisme avec Pépé le Moko (1937) de J. Duvivier ou de l’expressionnisme poétique avec Le jour se lève (1939) de M. Carné, tandis que l’enquête policière traditionnelle inspire des cinéastes comme M. L’Herbier (le Parfum de la dame en noir, 1931, d’après G. Leroux), J. Tarride (le Chien jaune, 1932), J. Renoir (la Nuit du carrefour, 1932), P. Chenal (Alibi, 1937), Christian-Jaque (les Disparus de Saint-Agil, 1938) ou Robert Siodmak (Pièges, 1939).

En 1941, le film policier connaît aux États-Unis une nouvelle métamorphose. La guerre des gangs n’est plus qu’un souvenir illustré par les caracolantes Roaring Twenties (1939) de R. Walsh. Le film noir fait son apparition, et, avec lui, c’est l’ère du détective privé qui débute, dans une atmosphère d’intrigues compliquées, de violence nocturne et de psychanalyse. Le Faucon maltais (The Maltese Falcon de J. Huston, 1941), Tueur à gages (This Gun for Hire de F. Tuttle, 1942, d’après G. Greene), Assurance sur la mort (Double Indemnity de B. Wilder, 1944, d’après J. Cain) véhiculent le mythe tout neuf de la femme fatale : Veronica Lake dans Tueur à gages, Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort, mais aussi la Gene Tierney de Laura (de O. Preminger, 1944), la Claire Trevor d’Adieu, ma belle (Murder my Sweet de E. Dmytryk, 1944), film dans lequel s’approfondit le mythe du détective privé, dû à la foisonnante imagination de R. Chandler. Le personnage de Philip Marlowe, d’abord interprété par Dick Powell dans le film de Dmytryk, le sera ensuite par Robert Montgomery dans la Dame du lac (Lady in the Lake de R. Montgomery, 1946) et par Humphrey Bogart dans le Grand Sommeil (The Big Sleep de H. Hawks, 1946), qui constitue l’apothéose du film noir avec ses péripéties difficilement compréhensibles et sa photo en clair obscur très sensuelle. Les amants poursuivis de la Grande Évasion (High Sierra de R. Walsh, 1941) le sont encore dans les Amants de la nuit (They live by Night de N. Ray, 1948) et les Amants traqués (Kiss the Blood off my Hands de N. Foster, 1949). L’humour, même dans le crime, ne perd pas ses droits : A. Hitchcock le prouve avec l’Ombre d’un doute (Shadow of a Doubt, 1943), un de ses films les plus réussis. Peu à peu, le genre connaît un nouveau changement, s’alourdit de démonstrations (le Poison [Lost Weekend de B. Wilder, 1945] se sert d’un schéma policier pour faire campagne contre l’alcoolisme) et s’oriente vers la violence quasi systématique. L’Impasse tragique (The Dark Corner de H. Hathaway, 1946), les Tueurs (The Killers de R. Siodmak, 1946, d’après E. Hemingway), les Démons de la liberté (Brute Force de J. Dassin, 1947) illustrent ce parti pris, auquel vient s’opposer le semi-documentaire policier, dont le spécialiste est H. Hathaway, avec notamment la Maison de la 92e rue (The House on 92nd Street, 1945), Appelez Nord 777 (Call Northside 777, 1948), qui sont à l’origine du tournage en extérieurs des films du genre. Indépendamment de l’incursion de plus en plus insistante de la psychanalyse dans la dramaturgie du film noir, comme en témoignent L’enfer est à lui (White Heat de R. Walsh, 1949) ou la Fin d’un tueur (The Dark Past de R. Maté, 1949), il faut noter qu’entre 1945 et 1950 un certain nombre de cinéastes de gauche ont utilisé le « thriller » comme support d’une analyse critique et synthétique de la plupart des troubles sociaux qu’ils avaient à cœur de dénoncer. A. Polonsky donne une vision terrible de l’Enfer de la corruption (Force of Evil, 1949), R. Rossen stigmatise une société à l’Heure du crime (Johnny O’Clock, 1947), J. Losey décrit les Haines (The Lawless, 1949) raciales, F. Dmytryk dénonce l’antisémitisme sous les Feux croisés (Crossfire, 1947) de ses caméras, E. Kazan fait de même dans le Mur invisible (Gentleman’s Agreement, 1947), J. Huston peint la fascination de l’argent Quand la ville dort (Asphalt Jungle, 1950), J. Dassin filme la Cité sans voiles (Naked City, 1948) ou les Bas-Fonds de Frisco (Thieves’ Highway, 1949).