Poliakoff (Serge) (suite)
En 1945, il expose ses œuvres abstraites de la période 1942-1945 à la galerie « l’Esquisse », avec une préface de François Châtelet, qui insiste sur la richesse de sa pâte. Il possède alors les moyens essentiels de son art et va désormais construire une œuvre d’une homogénéité rare, mais que seul un observateur pressé pourrait croire uniforme. Il prend part en 1946 au Salon de mai et au Salon des surin-dépendants. Redoutant une tendance décorative — Charles Estienne a jugé ses toiles « aussi agréablement bariolées qu’un tapis de Boukhara ou de Samarkand » —, il assombrit momentanément sa palette et se limite souvent à des jeux de camaïeu.
Progressivement, dans les années 1949-1951, il abandonne la ligne et le cerne : seules la matière et la couleur raffinée suscitent l’espace, organisées en une sorte de puzzle aux formes souplement anguleuses. Vers 1952 (année où un contrat avec la galerie Bing lui permet d’abandonner son métier de musicien de cabaret), ses compositions, de moyen format, isolent des motifs en leur centre. En 1958, Poliakoff opte pour de plus grandes surfaces et, dans les années 60, ses formes imbriquées sur elles-mêmes s’élargissent jusqu’au bord de la toile, s’ouvrant à l’espace extérieur. Poliakoff attache une grande importance à la vibration de la matière, notamment depuis qu’il a eu l’occasion de voir, en 1952, le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch*. En 1968, pourtant, il s’éloigne de ces effets de matière (touches, superpositions de couleurs, densité) pour élaborer des « formes plates » à la géométrie plus stricte, aux couleurs moins élaborées ; ses toutes dernières œuvres sont marquées par le chromatisme des fresques de Giotto qu’il a admirées dans la chapelle des Scrovegni à Padoue.
La rigueur de la dernière phase de son évolution fait songer à certains aspects de l’abstraction « minimale » (hard-edge), mais Poliakoff en diffère profondément par une sensibilité subtile, par la conception d’un art prenant « appui sur des poussées intérieures en perpétuel déplacement » (selon les termes de Christian Zervos) et finalement par une exigence de mettre dans le tableau, comme il l’écrit dans un de ses cahiers intimes, « plus d’âme que d’intelligence ».
Ses expositions se sont succédé à partir de 1958 dans les musées étrangers et les grandes manifestations internationales. En 1962, une salle du pavillon français lui était consacrée à la Biennale de Venise. Enfin, une importante rétrospective de son œuvre a été organisée en 1970 par le musée national d’Art moderne de Paris.
F. D.
M. Ragon, Poliakoff (Falaize, 1956). / D. Vallier, Serge Poliakoff (Cahiers d’art, 1959). / J. Cassou, Poliakoff (Fischbacher, 1963) ; Serge Poliakoff, peintures récentes (la Galerie de France, 1965). / Cahier Serge Poliakoff (Erker, 1973).