Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

armée (suite)

Le plus important des problèmes à régler reste celui du recrutement* des troupes. Les besoins en effectifs augmentent, et, devant les difficultés soulevées par le recours aux milices, on fait appel aux mercenaires par l’« achat », de préférence « en gros », de régiments étrangers tout constitués. Ce sera en France la politique de Louis XV, dont l’armée comprendra près d’un tiers d’étrangers. Mais si cette solution correspond bien au cosmopolitisme de l’époque, elle est loin d’être admise par tous. Dans son article « Service militaire », l’Encyclopédie de Diderot (1751-1772) renvoie à ce sujet aux ouvrages de Charles Guillaume Loys de Bochat (1695-1754), professeur de droit et d’histoire à Lausanne, qui examine successivement « s’il est permis de se louer à un prince étranger sans s’embarrasser de la justice ou de l’injustice des guerres que ce prince peut avoir, si un prince peut vendre à un autre des régiments, si un souverain peut permettre la levée de troupes sur ses terres sans s’embarrasser de leur destination... ».

L’emploi des mercenaires est donc contesté, et, après bien des détours, on tend à revenir au système le plus simple, celui d’une armée permanente nationale telle qu’elle existe en Russie et en Prusse. Le maréchal de Saxe n’écrivait-il pas dans ses Rêveries (publiées après sa mort, en 1757) : « Ne vaudrait-il pas mieux établir par une loi que tout homme, de quelque condition qu’il fût, serait obligé de servir son prince et sa patrie pendant cinq ans ? »


Des armées révolutionnaires aux armées de métier

Avec la Révolution française, une dimension nouvelle s’inscrit dans le phénomène de la guerre : en passant du domaine réservé des gouvernements à celui des peuples, la guerre devient par là même idéologique et nationale, et marque les armées de ce double caractère. Naturellement, celui-ci s’affirme d’abord en France par la proclamation de la Patrie en danger, l’appel aux volontaires et leur réquisition, qui ne se transformera légalement en « conscription » que par la loi Jourdan de 1798.

Napoléon modifiera peu les institutions militaires républicaines, mais il leur donnera un style nouveau. La Grande Armée, qui compte des contingents fournis à l’Empereur par les peuples soumis (Allemands, Italiens, Polonais, Hollandais, etc.), sera en réalité la première armée de l’Europe.

Par un curieux retour des choses, les Français, qui ont fourni près de 3 millions d’hommes aux armées entre 1792 et 1815, sortiront de cette aventure aux cris de « à bas la conscription », tandis que le souffle révolutionnaire et national sera repris par leurs adversaires, et singulièrement par la Prusse... Avec les Discours à la nation allemande (1807) de Fichte s’affirme dans les « guerres de Libération » de 1813 un type nouveau de militarisme, synthèse du vieil esprit soldatesque germanique et de l’organisation prussienne, qui passera sur l’Europe jusqu’à l’écrasement du Reich hitlérien de 1945.

Au lendemain de Waterloo, les nations sont lasses et les États méfiants à l’égard de tout nouveau déchaînement militaire des forces populaires. Aussi voit-on partout en Europe se reconstituer des armées de métier peu nombreuses, dont le pouvoir politique attend surtout la protection de la société et de l’ordre établi à l’intérieur comme à l’extérieur.

Disciplinées et dévouées en apparence au pouvoir, limitées dans leur mission aux seuls objectifs immédiats de la politique, ces armées ne conservent de l’armée nationale que le principe du service obligatoire, qui est tempéré par de nombreuses exemptions et... par le budget, qui fixe en dernier ressort les effectifs à appeler sous les drapeaux.

L’Europe des traités de 1815 ne durera qu’une cinquantaine d’années, au cours desquelles, hormis les expéditions d’outre-mer, les armées ne seront engagées que dans des opérations locales, soit pour maintenir l’ordre intérieur, soit pour maîtriser les grands courants d’émancipation libérale et nationale issus des révolutions de 1848 ou des combats pour l’unité de l’Italie ou de l’Allemagne.


Armées nationales et nations armées (1871-1945)

C’est l’ascension prodigieuse de la Prusse et ses victoires sur l’Autriche et sur la France (1866-1870) qui vient bousculer le fragile édifice de l’équilibre européen. Cette évolution, qui fera de l’Allemagne d’après 1871 une des premières puissances européennes, est due, parmi bien d’autres facteurs, à la puissance de son armée et à l’intégration totale de son haut commandement dans la direction politique de l’État.

On conçoit que de tels événements aient conduit à une nouvelle refonte des systèmes militaires, qui aboutit à la course aux armements et à l’augmentation maximale des effectifs des armées. Cette refonte résulte d’une stricte application du service obligatoire et universel à court terme ainsi que d’un appel systématique aux réserves instruites.

C’est le système de la nation armée, qui sera adopté par tous les États à la in du xixe s. Ainsi, les armées, voyant passer dans leurs rangs la totalité de la jeunesse du pays, se sont-elles profondément démocratisées. Symboles de l’unité nationale, elles acquièrent en même temps un rôle important de contact, voire de brassage, sur le plan social et humain, que Lyautey sera l’un des premiers à souligner (Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel, 1891) et qui s’affirmera sur les champs de bataille de 1914 à 1918.

Par sa durée et par la violence de es combats, la Première Guerre mondiale dévora les effectifs des belligérants, qui durent consentir pour leurs armées un effort souvent à la limite de sur potentiel démographique. Cette guerre, pour laquelle près de 70 millions d’hommes furent mobilisés, fut donc par excellence celle des nations armées. Plus que toute autre, elle fut elle des combattants, dont les souffrances et les sacrifices resteront à jamais inscrits dans l’histoire des peuples. Mais la quantité et la technicité sans cesse croissantes des armements mis en œuvre firent aussi de cette immense lutte la première « guerre industrielle », soulignant à quel point la valeur et l’efficacité des armées étaient devenues tributaires du potentiel économique des États.