Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Piłsudski (Józef) (suite)

La lutte armée pour l’indépendance : 1908-1918

Attentif à la course aux armements, il décela l’immense occasion de reconquérir l’indépendance. Dans une nation habituée à voir l’occupant dans le soldat, il entreprit de ressusciter l’« esprit militaire » pour lui « conférer une certaine valeur sur le marché politique européen » où « le rôle décisif revient à la force armée ». Il prit pour base d’action la Galicie et y regagna sur sa droite les forces perdues sur sa gauche. « Commandant » de l’« Union pour la lutte active » créée à Lwów en 1908 et subordonnée au PPS-Fraction, il organisa, sous le couvert des « sociétés de tir » légales, une véritable préparation militaire dirigée contre la Russie avec la tolérance de Vienne.

Décidé dès 1914 à manœuvrer entre les vainqueurs successifs, il misait sur la double défaite de la Russie et de l’Allemagne. Autorisé par l’Autriche à mobiliser ses tireurs (2 août), il tenta d’en faire une force armée indépendante en entrant de son propre chef en Pologne russe (Kielce) pour y susciter une insurrection populaire : calcul déjoué par la haine des Allemands et les promesses tsaristes. Acculé à se ranger aux côtés du Conseil national suprême de Cracovie (NKN), austrophile, il dut lui subordonner ses troupes dans le cadre des « Légions polonaises » créées par l’Autriche.

Commandant leur 1re brigade, Piłsudski fit preuve de qualité réelles de soldat et de chef, enthousiasmant la jeunesse fascinée par sa légende. Dès octobre 1914, il créait l’Organisation militaire polonaise (POW), société secrète de renseignements et de diversion sur le front russe, atout politique dans la lutte subtile et risquée qu’il entamait contre les Empires centraux, ses alliés de l’heure. Il s’opposa à l’emploi des Légions hors du territoire polonais, se heurtant violemment à W. Sikorski, chef du département militaire du NKN, qu’il contrecarra à partir d’août 1915 en entravant par la POW le recrutement des Légions.

Piłsudski réorganisa la POW en instrument de lutte clandestine contre les Allemands, démissionna des Légions (sept. 1916), se replongea dans la conspiration et tenta de se mettre en relation avec les Alliés. Il accepta d’entrer au Conseil d’État provisoire concédé par les Allemands, pour empêcher l’organisation de l’armée polonaise exigée par l’occupant en quête de « chair à canon ». Démissionné, il ordonna aux Légions de refuser le serment militaire exigé par les Allemands, qui l’internèrent à Magdeburg (22 juill. 1917). La révolution allemande le délivra quinze mois après : le 10 novembre 1918, il rentrait à Varsovie.


Chef d’État et maréchal de Pologne : 1918-1923

Son prestige, l’emprise de la POW sur la nation, l’appui des socialistes firent de Piłsudski le maître du pays. La Diète constituante le confirma le 20 février 1919 à l’unanimité dans ses fonctions de chef de l’État, qu’il garda jusqu’en décembre 1922, et de commandant suprême de l’armée. La haine de la droite (Roman Dmowski) lui avait aliéné l’Entente : accusé de germanophilie et de collusion avec les bolcheviks, il ne surmonta jamais ces préventions. Piłsudski irrita les Alliés par ses méthodes secrètes et autoritaires, son refus d’aider Denikine et Wrangel, qu’il jugeait dangereux pour la Pologne et la poursuite obstinée d’une politique fédéraliste en Russie, au mépris de la ligne Curzon. Maréchal de Pologne, il mena dans cette perspective la guerre polono-soviétique (1919-20) [marche sur Kiev] et brisa sous Varsovie, avec le concours de la mission Weygand, la contre-offensive de l’armée rouge et ses espoirs d’exporter la révolution (16-18 août 1920), puis obligea les Alliés à reconnaître Wilno — sa patrie — à la Pologne. La droite usa de tous les moyens légaux pour réduire son pouvoir, mais ne put l’enfermer dans le rôle purement représentatif de président de la République, qu’il refusa, ne conservant que ses fonctions militaires, pour défendre sa conception de l’armée ; puis il abandonna toute vie publique (2 juill. 1923) et se retira à Sulejówek près de Varsovie. La droite ne cessait de le dénigrer, mais son ascendant sur les partis de gauche restait intact. De tendances diverses, mais unis par un dévouement fanatique au « Commandant », les anciens des Légions et de la POW perpétuaient le culte du « héros national ». Dans sa retraite, Piłsudski avait repris la plume de l’écrivain (l’Année 1920) et du publiciste ; il flétrissait l’instabilité parlementaire et la gestion de ses ennemis. Les masses attendaient son intervention contre un régime discrédité, ses partisans le pressaient d’agir. Une grève générale lancée par les socialistes soutint son coup d’État (12-14 mai 1926), qui fut momentanément approuvé par les communistes.


Le dictateur : 1926-1935

Piłsudski surprit ses alliés comme ses ennemis par la façon dont il usa du pouvoir conquis : « en conformité avec la Constitution, bien qu’il pût la fouler aux pieds ». Il refusa à la gauche la dissolution espérée et interpréta son élection à la présidence de la République par une forte majorité comme la légalisation du coup d’État ; mais il refusa cette dignité représentative et proposa son ami I. Mościcki à sa place : « Je ne puis vivre sans travailler directement. » Il plaça sa personne et le gouvernement fort confié à ses fidèles « au-dessus des partis et des classes sociales », au service de l’« assainissement moral » de la vie publique qui gagna au « bloc sans parti de collaboration avec le gouvernement » un large soutien dans le pays, surtout au sein de l’intelligentsia. Au temps des dictatures ostentatoires, il ne concentra entre ses mains que le minimum d’autorité nécessaire pour assurer l’efficacité du pouvoir, en dissimulant encore cette concentration.

Piłsudski entra dans la lice comme président du Conseil (1926-1928, 1930). Officiellement, il ne fut en permanence, jusqu’à la fin de sa vie, que ministre de la Guerre et inspecteur général des armées ; en réalité, il était le maître de la politique intérieure et extérieure, dictée à des exécutants. Déçus, les partis de gauche passèrent peu à peu dans l’opposition, ce qui rejeta le maréchal vers les conservateurs, en particulier vers les grands propriétaires terriens : Piłsudski s’interdit donc toute réforme agraire radicale. L’adhésion de principe à sa personne et à l’idée de la Pologne qu’il incarnait contrastait avec la vitalité de l’opposition relancée par les algarades pittoresques du vieux lutteur.