Pigalle (Jean-Baptiste) (suite)
Mais il pratique en effet le plus souvent un art viril dont témoignent plusieurs réalisations importantes. Le monument de Louis XV pour la place royale de Reims (1758-1765) illustre un thème original probablement emprunté à Voltaire et en tout cas conforme à l’esprit pacifiste des encyclopédistes, car, au lieu des esclaves enchaînés et des trophées guerriers traditionnels, le socle est décoré de figures qui symbolisent la Douceur du gouvernement et la Félicité du peuple, cette dernière allégorie illustrée par le « citoyen » nu, assis sur des ballots de marchandises, qui reproduit les traits du sculpteur. Les critiques de Grimm et de Diderot à l’encontre de ce « citoyen portefaix » n’empêchent pas Bouchardon*, vieilli et malade, de confier à Pigalle l’achèvement de la statue équestre du roi qu’il exécutait pour la place Louis-XV de Paris.
Dans ce domaine de la sculpture iconique, on ne peut nier que le réalisme sans concession de Pigalle le conduit parfois à des outrances, dont le Voltaire (1770-1776, Louvre) représenté dans une nudité héroïque particulièrement mal adaptée au modèle fournit un exemple, sauvé pourtant par sa qualité d’exécution.
De ses œuvres religieuses ne subsistent que la Vierge à l’Enfant (église Saint-Eustache, Paris), commandée en 1745 pour remplacer au dôme des Invalides une statue de plâtre du xviie s., et l’Immaculée Conception (Saint-Sulpice, Paris), toutes deux remarquables par leur silhouette sinueuse et l’arrangement savant de leur drapé généreux.
La sculpture funéraire permet à Pigalle d’exprimer les tendances néobaroques qui se manifestent au milieu du xviiie s., sous l’influence des Slodtz*. Le mausolée du maréchal de Saxe (1753-1776 ; Saint-Thomas, Strasbourg) montre le vainqueur de Fontenoy descendant avec décision vers son cercueil ouvert, entouré d’un foisonnement d’allégories et d’étendards qui donne à l’ensemble un caractère à la fois funéraire et national. Le tombeau du comte d’Harcourt (Notre-Dame, Paris), qui symbolise la réunion dans la mort du comte défunt et de son inconsolable épouse, frappe par la qualité réaliste du corps décharné du défunt.
C’est aussi le réalisme qui permet à Pigalle de créer un type d’« enfant Pigalle », statuettes traduisant avec bonheur les chairs molles et les proportions courtaudes de la petite enfance (l’Enfant à la cage, l’Enfant à l’oiseau, Louvre).
Ses bustes, enfin, relativement peu nombreux, s’imposent par un accent de vérité sans complaisance. Ce sont pour la plupart des portraits masculins, ni officiels ni mondains, dont le sculpteur choisit les modèles dans son entourage, tels Desfriches et le Nègre Paul (musée des Beaux-Arts, Orléans), pleins d’une saveur familière.
L’art de Pigalle illustre l’équilibre qui s’établit au milieu du siècle entre baroque et classicisme. Procédant du sentiment dramatique de l’un et de la retenue de l’autre, l’artiste ouvre la voie, par la personnalité des sculpteurs, parents ou élèves, dont il facilitera la carrière — Christophe Gabriel Allegrain (1710-1795), Louis Philippe Mouchy (1734-1801), Jean Guillaume Moitte (1747-1810) —, à cette réaction contre les excès de l’art rocaille qui imposera à la fin du siècle le retour à l’antique.
M. L.
L. Réau, Pigalle (Tisné, 1951).