Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Piero della Francesca (suite)

Le style et la pensée

Du début à la fin, on n’observe aucun changement radical, seulement quelques nuances d’une époque à l’autre. Le langage de Piero, l’un des plus personnels du quattrocento, dénote une connaissance profonde des règles mathématiques — formulées par le peintre lui-même dans ses deux traités — qui régissent la construction d’un univers idéal. L’organisation de l’espace par la perspective s’applique soit aux architectures, dessinées selon l’esprit de la Renaissance florentine, soit au paysage, où la nature est interprétée dans le sens de l’effet d’ampleur. La densité plastique des ligures et des objets va de pair avec la rigueur qui préside à leur mise en place. Tout paraît imbriqué dans ce monde qui serait minéral sans la palette transparente et douce dont Piero a le secret. C’est elle qui rend plus convaincante l’illusion du relief, qui baigne l’espace et les formes d’une lumière cristalline, qui parfait l’unité du panneau ou de la fresque.

Ce langage traduit une haute inspiration. L’art de Piero, en dépit de certains sujets, fait peu de concessions au genre narratif. Il exprime moins souvent l’action que la contemplation. À la grâce, à la tendresse ou à la douleur, il préfère une gravité paisible, qui confine à l’impassibilité. On y sent comme une robustesse terrienne, éprise cependant de rythmes solennels. L’univers de Piero semble soustrait à la loi du temps.

Cela n’a pas empêché le maître de montrer, sous l’influence probable de l’école flamande, un intérêt de plus en plus vif pour l’épiderme des formes ; le réalisme des portraits ducaux d’Urbino en témoigne avec éclat. Ce constructeur a aimé aussi les transparences de la fresque, la belle matière dans l’exécution de tableaux où la tempera sert de dessous à des glacis à l’huile.


L’influence et la « fortune critique »

Piero figure parmi les maîtres qui ont déterminé la marche de la peinture italienne. Les imitateurs ne lui ont pas manqué en Italie centrale, et son influence se reconnaît, en plus gracieux, chez le Florentin Alessio Baldovinetti (1425-1499). Ce qui compte davantage, c’est l’enseignement en profondeur que son exemple a pu transmettre à de grands constructeurs de l’espace et des volumes, ainsi Melozzo* da Forli, Signorelli*, les peintres de Ferrare*. La vision géométrique de Piero paraît avoir inspiré des architectes, comme Luciano Laurana à Urbino, et s’être répercutée sur les savantes compositions de bois découpés qui font la gloire de la tarsia italienne du quattrocento. L’autre aspect de son art, la sublimation des tons par la lumière, a produit une impression durable sur le Pérugin* et sur plusieurs peintres de Venise, notamment Giovanni Bellini*.

Le génie de Piero a été reconnu par ses contemporains italiens, qui semblent cependant avoir admiré en lui le théoricien de la perspective avant le peintre. Au xvie s., Vasari* — son compatriote, il est vrai — témoigne encore d’une vive admiration. Vient ensuite une longue période d’indifférence, sinon d’oubli. Il faut attendre notre siècle pour voir les études de Bernard Berenson, d’Adolfo Venturi et de Roberto Longhi rendre à Piero la place qui lui revient : l’une des premières parmi les grands pionniers de la Renaissance italienne.

B. de M.

 R. Longhi, Piero della Francesca (Rome, 1927 ; nouv. éd., Milan 1946 ; trad. fr., Crès, 1928). / K. Clark, Piero della Francesca (Londres, 1951). / H. Focillon, Piero della Francesca (A. Colin, 1952). / L. Venturi, Piero della Francesca (Skira, Genève, 1954). / L’Opera completa di Piero della Francesca (Milan, 1967 ; trad. fr. Tout l’œuvre peint de Piero della Francesca, Flammarion, 1968). / P. Hendy, Piero della Francesca and the Early Renaissance (Londres, 1968). / E. Battisti, Piero della Francesca (Milan, 1971).

Piéron (Henri)

Psychologue français (Paris 1881 - id. 1964).


Agrégé de philosophie, docteur ès sciences, professeur au Collège de France en 1923, où il occupait la chaire de physiologie des sensations, Henri Piéron fut un des pionniers de la psychologie scientifique en France. Il en créa les cadres d’enseignement et de recherche. Il fonda, en 1920, l’Institut de psychologie commun aux facultés des lettres et des sciences de Paris et, en 1928, l’Institut national d’orientation professionnelle. C’est grâce à lui que furent créés le certificat de psychophysiologie faisant partie de la licence de psychologie, le diplôme d’État de conseiller d’orientation professionnelle et le diplôme d’État de psychotechnicien. Successeur d’A. Binet* en 1912 à la direction du laboratoire de psychophysiologie de la Sorbonne, Henri Piéron a également contribué largement à la création en 1927, dans le cadre de l’École pratique des hautes études, du laboratoire de psychobiologie de l’enfant, dont la direction fut assurée par H. Wallon*, et du laboratoire de psychologie appliquée sous la direction de J. M. Lahy.

Cet effort d’organisation prend toute sa signification à une époque où la psychologie est encore mal dégagée de la philosophie. Henri Piéron est un partisan convaincu de la psychologie objective et de l’introduction des méthodes expérimentales. Mais il s’élève aussi contre certaine conception faussement objective de la psychologie qui en réduit le champ à l’étude des manifestations purement extérieures. Pour Piéron, la psychologie se fonde sur la physiologie, les mécanismes nerveux constituent la condition de base de tout comportement. À ces conditions organiques se superposent dans l’activité psychique de l’homme des conditions sociales, qui sont aussi déterminantes.

Cette conception de la psychologie a amené Henri Piéron à poursuivre des recherches dans des domaines multiples et variés : psychologie physiologique, psychologie animale, psychologie différentielle, dont la direction unique est « celle, dit-il, de l’analyse des comportements et de la découverte des mécanismes biologiques en jeu, mécanismes dont l’identité fondamentale apparaît dans toute la série des organismes, y compris des organismes humains qui doivent intégrer, parmi les actions extérieures, celles du milieu social sans lequel il ne saurait y avoir d’humanité ». C’est donc une perspective comparative et évolutionniste qui anime les recherches de Piéron. Certains titres qu’il donne à ses ouvrages sont à cet égard significatifs : De l’actinie à l’homme (1958-59), l’Homme, rien que l’homme. De l’anthropogenèse à l’hominisation (1967).