Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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photographie (suite)

Ce souci de perfection et d’objectivité devient le trait dominant des grands reporters avec la création, en 1935, aux États-Unis, d’un organisme qui prend en 1937 le nom de Farm Security Administration et dont le but est de révéler au public la misère dans laquelle stagnent bon nombre de citoyens américains et d’émigrés. Ce n’est plus l’art seul qui est en jeu, mais la signification immédiate du sujet. De tels documentaires sociaux sont publiés par la presse. Cette époque connaît une pléiade de remarquables techniciens non dépourvus de sensibilité. Ceux-ci restent dans la trace de leur précurseur, Lewis W. Hine (1874-1940), qui abandonne l’enseignement en 1905 pour se consacrer à la photographie en tant que document social. C’est en partie grâce à son intervention et au témoignage atroce de ses photographies que le travail des enfants sera soumis à des lois au début du siècle. Les plus importants des photographes travaillant pour la FSA sont Dorothea Lange, Walker Evans et Arthur Rothstein (né en 1915). Le peintre de la protestation sociale, Ben Shahn (1898-1969), fait également partie de l’équipe ; il est du reste l’un des premiers artistes « engagés » de l’école américaine. Chez Walker Evans (1903-1975) se marque l’influence d’Atget, qu’il a découvert lors d’un voyage en Europe. Sa vision du monde est statique ; rien n’est superflu. Ses images, d’une rude vérité, décrivent les chômeurs ou les fermiers qu’il rencontre. Dorothea Lange (1895-1965) a une approche du monde différente. Elle considère les déshérités avec une émotion contenue, sans exagération. Margaret Bourke-White (1904-1971) ne travaille pas pour un organisme officiel, mais, en 1934, elle est chargée par le magazine Fortune de photographier les vapeurs industrielles qui planent sur les villes. Après avoir été free lance (indépendante), elle entre au magazine Life en 1936. Elle réalise en 1937, avec le romancier Erskine Caldwell, un voyage dans le sud des États-Unis. Tous deux publient You have seen their Faces, ouvrage illustré par de tragiques photographies. On ne peut manquer de signaler à cette époque l’influence de la littérature sur la photographie. Les grands magazines, comme Life, jouent un rôle primordial. Les reportages d’Eisenstaedt, de Smith ou d’Arthur Felling Weegee (1900-1971) en sont la meilleure preuve. Alfred Eisenstaedt (né en 1898), avant de devenir en 1935 l’un des photographes vedettes de Life, avait travaillé en Allemagne. Les prises de vue d’une grande perfection technique réalisées pendant un voyage à Genève du ministre du IIIe Reich Joseph Goebbels sont des constats objectifs : l’opérateur ne se permet aucune interprétation. Cette théorie va du reste influencer longtemps l’équipe de Life. William Eugène Smith (né en 1918), lui, ne reste pas impartial : il n’hésite pas à dramatiser son sujet. Mais ce lyrisme est tempéré par une grande rigueur et une profonde honnêteté. Les thèmes que Smith choisit sont multiples ; la guerre du Pacifique, un village espagnol ou la vie d’une sage-femme noire.

• L’escalade de la violence et le reportage contemporain. En Amérique, comme en Europe, l’impression de la photographie est devenue courante, et la grande presse se montre de plus en plus avide d’images « à sensation ». Un monde sépare les témoignages de l’Allemand Erich Salomon (1886-1944) de ceux de Capa, de Seymour, de Bischof ou, plus récemment, de Larry Burrows (1926-1971) ou de Gilles Caron (1939-1970), qui seront tués en mission. Salomon assiste aux conférences internationales à l’époque d’Aristide Briand ; grâce à des instantanés, il réalise les premières photographies indiscrètes. Originaire de Hongrie, Robert Capa (1913-1954) étudie en Allemagne, puis vient à Paris. Ses photographies de guerre le rendent célèbre. Après avoir laissé des clichés inoubliables de la guerre d’Espagne, il montre Londres sous les bombardements, le débarquement en Normandie et la campagne d’Indochine, où il est tué. Ses reportages intègres sont réalisés avec une sûreté et une parfaite maîtrise du langage de l’image. De cette même génération et également originaire de l’Europe de l’Est, David Chim Seymour (1911-1956) fixe sur la pellicule l’Europe dévastée et le sort tragique des populations civiles. Il meurt pendant la campagne du Sinaï. Tous ces photographes se sentent concernés par leur temps et espèrent, grâce à leurs œuvres, éveiller la conscience du public. C’est dans cet esprit que Capa, Seymour, George Rodger et Henri Cartier-Bresson fondent en 1947 l’agence Magnum qui réunit des talents aussi divers que ceux du Suisse Werner Bischof ou de la Française Gisèle Freund (qui fait partie du Magnum jusqu’en 1954). Bischof (1916-1954) modèle ses images en utilisant mieux les subtilités des gammes de gris que les variations chromatiques de la couleur. Gisèle Freund (née en 1912), en revanche, utilise la couleur dès 1938. Elle fait de grands reportages sur l’Amérique latine et entreprend une collection de portraits d’écrivains.

Henri Cartier-Bresson (né en 1908) écrit : « J’ai vu Pékin en petites sections d’un centième de seconde. » Ces quelques mots définissent parfaitement son œuvre. Toujours améliorée, la technique fixe la fraction de seconde. Le reporter passe inaperçu ; il « mitraille » le monde, mais choisit aussi le « moment décisif » (titre de l’un de ses albums). Les œuvres de Cartier-Bresson sont d’une pureté rigoureuse, qui n’exclut pas un profond sens de l’humain.

• L’image : poésie et rêve. En Tchécoslovaquie, deux tendances se manifestent : celle de František Drtikol (1878-1961), qui d’abord portraitiste, s’intéresse ensuite presque exclusivement aux nus et dont l’œuvre, peu connue, est fortement influencée par l’expressionnisme tchèque des années 25 ; celle de Josef Sudek (né en 1896), qui garde une vision poétique, mais précise de ses sujets. Avant la Seconde Guerre mondiale, l’arrivée des Hongrois en France représente un apport de sang neuf. Leur vision est totalement différente de celle de l’école anglo-saxonne. L’étrangeté des choses les attire. Gyula Halasz Brassai (né en 1899) voit le monde avec une arrière-pensée surréaliste. Fasciné par la poésie des lieux, il est l’un des premiers à photographier de nuit. L’un de ses albums, de 1961, Graffiti (langage invisible des murs lépreux), révèle sa passion de l’insolite. André Kertész (né en 1893) rencontre Brassai à Paris en 1926. Lui aussi cherche l’aspect inattendu de l’objet. En 1928, il découvre le petit format, qui lui permet de conserver sa minutie, mais qui accroît sa mobilité.