Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aristote (suite)

• Dans cette dernière catégorie se trouvent les ouvrages d’ordre moral et politique. La Morale d’Eudème est certainement l’œuvre d’Eudème, qui rédigea ce traité à la suite des leçons d’Aristote. L’Éthique à Nicomaque (du nom du fils d’Aristote) a été publiée à partir de documents hâtivement rédigés. De nombreux commentateurs (Léon Robin, G. Rodier) ont souligné les contradictions de cet ouvrage malgré la valeur de nombre de ses analyses. Par son état de « métèque », Aristote est en position d’observateur objectif et désintéressé, et n’accède aux affaires de l’État que par les études historiques. Il décrira ainsi les Constitutions d’une centaine de villes (dont seule la Constitution d’Athènes a été retrouvée), pour s’exercer à partir de là à l’œuvre critique. La Politique trahit cette double inspiration, puisque les livres G et H contiennent la théorie de l’État idéal et que les livres D, E et F recouvrent des préoccupations historiques.

Dans cette dernière partie, on ajoutera les Problèmes et la Grande Morale, qui sont le résultat du travail collectif de l’École.


La logique

Si l’on retient l’interprétation proposée par Jan Łukasiewicz, la logique d’Aristote peut être dite « formelle » sans être formaliste. Elle est formelle, car le contenu de la logique se réduit aux lois syllogistiques, qui ne contiennent aucun terme concret, mais seulement des « emplacements » (marqués par des symboles littéraux) pour de tels termes. La logique d’Aristote est dite « formelle » en rapport avec la notion philosophique de forme opposée à celle de matière. Elle n’est cependant pas formaliste, car elle n’est pas un calcul. Toujours préoccupé du signifié à travers le signifiant, Aristote s’autorise des substitutions qui ne sont guère qu’intuitivement justifiées (substitut et substitué « veulent dire la même chose ») sans être démontrées à partir de règles adéquates. Du fait de son caractère formel, la logique d’Aristote a été considérée comme un instrument (organon) de la philosophie et non comme une de ses parties. Les termes qui apparaissent dans les exemples proposés par Aristote sont des termes généraux communs. Cependant, la syllogistique d’Aristote ne se compose pas d’exemples, mais de schémas dans lesquels les variables prennent la place des termes.

Dans les Premiers Analytiques, Aristote propose la définition suivante : « Le syllogisme est un discours dans lequel, certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement par le seul fait de ces données. » Le syllogisme se compose de trois propositions, dont les deux premières sont les prémisses — intégrant une majeure et une mineure — et la troisième la conclusion : « Si tout A est B, et tout C est B, alors nécessairement tout C est A. » Cette syllogistique ne se confond pas avec une science des concepts (alors que le concept vaut pour lui-même, le terme [ou la variable] ne prend tout son sens que par référence à la place qu’il occupe dans la proposition) ni même avec une science de la pensée (les Premiers Analytiques ne contiennent aucune préoccupation psychologique).

Aristote distingue trois sortes de propositions — composées d’un sujet et d’un attribut ou d’un prédicat — selon les modalités de l’attribution : propositions « assertoriques » (jugement de réalité), propositions « apodictiques » (jugement de nécessité), propositions « problématiques » (jugement de possibilité). Le philosophe ne développera tout d’abord que la syllogistique des seules propositions assertoriques et distinguera quatre figures selon la place du moyen terme : dans la première figure, le moyen terme est le sujet de la majeure et l’attribut de la mineure ; dans la deuxième, il est attribut dans les deux prémisses ; dans la troisième, il est sujet dans les deux prémisses ; dans la quatrième, il est l’attribut de la majeure et le sujet de la mineure (inverse de la première figure).

Aristote privilégie les « syllogismes parfaits », qui « n’ont besoin de rien autre chose que ce qui est posé dans les prémisses pour que la nécessité de la conclusion soit évidente » (Premiers Analytiques). Ce sont les quatre modes fondamentaux de la première figure, auxquels les scolastiques ont donné les noms suivants : Barbara, Celarent, Darii et Ferio (a désigne la proposition universelle affirmative, e la proposition universelle négative, i la proposition particulière affirmative et o la proposition particulière négative). Le syllogisme désigné par Barbara se compose de trois propositions universelles affirmatives (a — a — a —), tandis que celui qui est symbolisé par Ferio se compose respectivement d’une universelle négative (e), d’une particulière affirmative (i) [pour les prémisses] et d’une particulière négative (o) [pour conclusion]. Aristote réduira finalement le nombre des « syllogismes parfaits » aux deux premiers (Barbara, Celarent), puisque les deux derniers peuvent en être déduits.

Pour fonder les « syllogismes imparfaits », Aristote se réfère à trois méthodes :

• Méthode de la conversion. Soit la démonstration de Festino (nom scolastique du troisième mode de la deuxième figure) en fonction de Ferio de la première figure.
Ferio : si nul B n’est A et quelque C est B, alors quelque C n’est pas A.
Festino : si nul A n’est B et quelque C est B, alors quelque C n’est pas A.

Ces deux modes ne diffèrent que par leur majeure : celle du second étant l’inversion complète de celle du premier. Aussi suffit-il de la remplacer par l’autre !

• Méthode dite « de réduction de l’absurde ». Soit la démonstration de Baroco de la deuxième figure à partir de Barbara de la première figure.
Barbara : si tout B est A et tout C est B, alors tout C est A.
Baroco : si tout B est A et quelque C n’est pas A, alors quelque C n’est pas B.

Aristote nous prévient que, lorsque la conclusion a été contredite et que l’une des prémisses est conservée, il est nécessaire que la prémisse restante soit rejetée (Premiers Analytiques, iv, 8). Or, la mineure de Baroco est en contradiction avec la conclusion de Barbara, ce qui est conforme avec le principe énoncé.

• Méthode dite « de l’ecthèse ». Soit la démonstration de Darapti (nom scolastique du premier mode de la troisième figure).
Darapti : si tout B est A et tout B est C, alors quelque C est A, soit B, appartenant à B.

Si les prémisses sont correctes, il est juste d’affirmer que B1 est A et que B1 est C. C’est dire que B1 est à la fois A et C ; quelque chose qui est C est à la fois quelque chose qui est A, soit quelque C est A.