Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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philosophie (suite)

Les fondateurs de la philosophie

Face à la rationalité scientifique naissante, à l’impuissance tragique des Éléates, à l’empirisme des sophistes, qui expriment de trois manières différentes l’écroulement de la pensée traditionnelle, Platon va ouvrir une nouvelle voie, en même temps qu’il va fonder la philosophie.

• Platon* (v. 427-348/47 av. J.-C.). À la suite de son maître Socrate, Platon affirme la nécessité de soumettre la pensée à une exigence de vérité, inscrite dans l’ordre même du discours. Ainsi la parole, logos, est-elle plus qu’un simple « dire » : elle manifeste à travers ce qu’elle dit un ordre et une organisation. Le dialogue révèle, au-delà des opinions et des hypothèses, les idées, qui sont l’essence des choses. Le concept de logos traduit cette exigence d’un ordre du monde qui serait parallèle à celui de la pensée. Platon fonde la rationalité en affirmant, en face de la fausse vérité de l’expérience, la réalité de l’intelligible. La théorie des idées, illustrée par l’allégorie de la caverne (VIIe livre de la République), constitue la première théorie systématique de la connaissance : s’élevant par degrés des images fausses du monde sensible aux hypothèses des savants, puis des hypothèses aux idées qui les fondent, l’esprit parvient à la connaissance des choses « en elles-mêmes et pour elles-mêmes », qui est la possession des essences intelligibles. La rationalité s’exprime dans la science comme hypothèse d’explication ordonnée, dans la politique comme organisation juste, fondée sur la justice du cosmos, dans la pédagogie comme discours cherchant le vrai par l’examen dialectique. Mais ni la science, ni la politique, ni la pédagogie ne sont possibles sans ce « long détour » que représente la philosophie, discours de la légitimité et de la vérité.

Platon est un fondateur dans la mesure où il a déterminé les cadres conceptuels de la philosophie et défini ses objets ; rapport de la chose à l’idée, du sensible à l’intelligible, du faux savoir au vrai, de la science à la philosophie, de la politique à la philosophie... Mais, en même temps, il a légué une ou plutôt des conceptions du monde, dont les contradictions ne cesseront de « travailler », au sens que Hegel donnera plus tard à ces termes : d’une part, l’image d’un univers hiérarchisé, séparé et comme déjà ouvert sur la transcendance divine ; de l’autre, celle d’un univers unique, ordonné mathématiquement, animé d’un mouvement régulier et dont le centre, selon l’hypothèse de Pythagore, n’est pas la Terre, mais le rythme universel imprimé par le démiurge (mythe du Timée). Entre l’idéalisme et le rationalisme de Platon s’ouvre un débat qui subsiste jusqu’au xvie s.

• Aristote* (384-322 av. J.-C.). Avant de fonder sa propre école, le Lycée, dans l’Académie, Aristote subit l’influence des idées platoniciennes. Son œuvre est encyclopédique et représente un effort de réflexion synthétique sur le savoir hellénique : mathématiques, physique, biologie, rhétorique, politique... Comme Platon et contre les sophistes, Aristote affirme la nécessité d’une parole légitime, donc vraie, fondée par l’essence intelligible des choses. Mais, à la différence de Platon, dont il réfute la théorie des idées, il refuse de considérer les essences comme des choses singulières et séparées du monde sensible ; l’essence du sensible est dans le sensible. La parole ne révèle pas l’être, mais elle le dit, le signifie : « D’autant de façons l’être se dit, d’autant de façons il signifie. » Les modalités du « dire » sont les significations de « l’être » : la logique est la science des multiples façons de dire, d’affirmer quelque chose de quelque chose. Toute proposition est un jugement entre prédicat et attribut : elle est universelle ou particulière, affirmative ou négative ; tout jugement consiste à déterminer un sujet par un prédicat, selon qu’il est général ou particulier, nécessaire ou accidentel (topiques). Il s’agit ensuite de déterminer la signification des termes non par l’essence qu’ils révèlent, mais par les catégories de l’être auxquelles ils appartiennent : substance, temps, lieu, qualité, relation, situation, possession, action, passion (catégories). L’étude des propriétés du discours amène Aristote à la théorie du syllogisme, dont les règles permettent de définir à quelles conditions un raisonnement peut être vrai ou non.

La logique repose sur l’idée que l’être n’est pas connaissable par une vision de l’esprit, mais qu’il est scindé selon la pluralité de ses significations, de même que toute chose est scindée selon ce qu’elle est comme sujet et ce qu’elle est comme attribut. La métaphysique est la science de l’être « en tant qu’être, c’est-à-dire des principes et des causes de l’être et de ses attributs essentiels » (Métaphysique). Or, l’être n’est pas un genre suprême, car de l’être on ne peut rien dire, sinon qu’il est ; dans ce sens, la science de l’être est celles des « choses qui sont », c’est-à-dire des caractères communs à toutes les substances : la forme (essence de la substance), la matière (ce qui est mis en forme), la puissance (tension de la matière vers la forme), l’acte (réalisation de la forme).

La métaphysique implique à son tour une physique, qui prend naissance là où la définition de l’être en général comme matière + forme débouche sur l’étude de cette union. La recherche des causes est l’objet de la physique : causes matérielle, formelle, motrice et finale. C’est la cause finale qui est principe fondamental de l’union de la matière et de la forme. La physique et la biologie d’Aristote sont imprégnées de finalisme, comme son astronomie : c’est en vertu de sa nature que le ciel se meut ; l’astronomie mathématique de Platon fait place, chez Aristote, à une « théologie astrale », fondée sur les propriétés divines du ciel et non sur les lois du mouvement. Ainsi la philosophie s’achève-t-elle dans une théologie, science du « premier moteur immobile », qui est en acte ce que le ciel est en puissance.