Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Philippines (suite)

Les paysans philippins sont de petits exploitants comme tous leurs voisins (l’exploitation moyenne est de 4 ha, et la plupart des rizières ont moins de 2 ha). Mais 40 p. 100 au moins des exploitants sont métayers, et la proportion de ceux-ci s’élève à 90 p. 100 à Pampanga. Une partie importante des terres cultivées (surtout des rizières, des champs de canne et d’abaca, des cocoteraies) appartient à de grands propriétaires (caciques) ; dans la plaine de Luçon, moins de 1 p. 100 des propriétaires possèdent 80 p. 100 des terres. Les haciendas ont une origine complexe ; le plus grand nombre, cependant, résultent de l’accaparement des terres par les citadins à l’époque américaine (les métayers ne représentaient que 18 p. 100 des paysans en 1903). Les métayers (qui versent, en principe, 30 p. 100 de la récolte au cacique) et nombre de petits propriétaires, les uns et les autres endettés auprès des caciques, sont misérables.


Les mines et l’industrie

Les richesse minières sont importantes : or dans la région de Baguio (huitième producteur mondial), chrome dans la sierra de Zambales (troisième producteur mondial), manganèse, cuivre, fer (plus de 1 Mt de minerai dans la presqu’île de Bicol et à Samar ; exporté au Japon). Les ressources hydro-électriques sont considérables, mais encore faiblement exploitées. Une industrie de transformation a été créée depuis 1945 : elle ne comporte guère que des industries légères et est concentrée à Manille. L’industrie ne représente encore que 19 p. 100 du produit national brut.

Cependant, la population urbaine dépasse 25 p. 100 du total : neuf villes ont plus de 100 000 habitants ; l’agglomération Manille-Quezon City a plus de 2 millions d’habitants. Reconstruit après 1945, cet ensemble cosmopolite, qui a attiré des immigrants de tout l’archipel, qui a connu un développement industriel certain et qui est un port important, vit surtout d’un secteur tertiaire pléthorique et présente dans un site admirable le spectacle quelque peu inquiétant d’un développement ultra-rapide et désordonné. L’archipel compterait 1 million de chômeurs intellectuels en dépit d’une importante « fuite des cerveaux » vers les États-Unis.

J. D.


L’histoire


Des origines à la chute du régime espagnol

Pendant longtemps, on a fait commencer l’« histoire » des îles Philippines, — ainsi nommées en l’honneur de l’infant Philippe (futur Philippe II*) — avec la conquête espagnole (xvie s.), mais de nombreuses fouilles préhistoriques, l’analyse d’une riche tradition orale et la multiplication des enquêtes ethnographiques ont permis de restituer les éléments d’un long passé « préhispanique ». Situé à proximité de la grande route maritime qui reliait la Chine, à l’océan Indien, l’archipel philippin a toujours été un lieu de passage et un carrefour d’influences. Sur un substrat ancien plusieurs cultures lointaines sont venues marquer leur empreinte. La Chine a eu très tôt des échanges commerciaux avec Luçon, et de petites communautés d’émigrants chinois étaient installées dans les îles dès le xve s. Quant à l’Inde, elle a fait sentir son influence par le relais de l’Indonésie, notamment dans le vocabulaire, qui comprend beaucoup de mots d’origine sanskrite, ainsi que dans le système d’écriture traditionnelle, qui était emprunté d’un modèle indien (ce type d’écriture a pratiquement disparu de nos jours, sauf en quelques points de Palauan). La population était alors regroupée en petites communautés de trente à cent familles, appelées Barangay, sous l’autorité de chefs, tel le célèbre Sumakwel de Panay ; ces communautés arrivaient parfois à constituer de véritables confédérations. On a conservé quelques vestiges du droit qui était alors en vigueur (code attribué à Kalantiao de Panay) ainsi que de nombreux mythes et épopées, transmis oralement.

L’influence la plus importante fut sans doute celle de l’islām, qui, venu de Sumatra ou de la péninsule malaise, pénétra surtout dans les îles du Sud à partir du xve s. Vers 1450, Sayid Abu Bakar organisa le sultanat des Sulu, et la nouvelle religion gagna peu à peu Mindanao et même Luçon, où un petit sultanat était installé dans la baie de Manille lorsque les Espagnols débarquèrent.

Le premier Européen à débarquer aux Philippines est Magellan, qui, arrivé par la route du Pacifique, repère les montagnes de l’île de Samar le 16 mars 1521. Continuant sur Cebu (où la première messe est dite), Magellan arrive à Mactan, où il se heurte à l’opposition du chef local Lapu-Lapu. Il est tué, et ses compagnons sont obligés de se retirer. Les Espagnols ne s’en tiennent pas là et envoient de nouvelles expéditions (Gareía Jofre de Loaysa, 1525-26 ; Saavedra Cerón 1527-28 ; Ruy López de Villalobos, 1542-43) ; en 1565, Miguel López de Legazpi débarque à Cebu, puis à Panay ; en 1571, son lieutenant Martin de Goiti s’empare de Manille, qui devient bientôt le centre de la présence espagnole dans l’archipel. L’île de Luçon est conquise assez vite, mais la résistance durera jusqu’au xixe s. dans les îles du Sud.

Dès la fin du xvie s., une liaison régulière est établie avec le Mexique (Acapulco) par les célèbres « galions » qui apportent les hommes (soldats et religieux, notamment augustiniens et dominicains) ainsi que l’argent du Nouveau Monde et remportent les produits d’Extrême-Orient, notamment les soieries de Chine. En 1593, Philippe II prohibe le commerce direct avec l’Espagne et contingente les marchandises susceptibles d’être emportées par les galions ; le chargement est divisé en 4 000 boletas, ou « parts » (un quart an roi, un quart aux ordres religieux, le reste attribué aux commerçants). Parallèlement, les missionnaires entreprennent la conversion des Philippins et créent de grands domaines latifundiaires dont ils se réservent les bénéfices.

Les Espagnols ont affaire pourtant à plusieurs sortes de concurrents : d’abord aux Portugais, que la réunion des deux couronnes (de 1580 à 1640) ne parvient pas à rasséréner, puis aux Hollandais, qui s’installent à Batavia et à Formose, et qui tentent à plusieurs reprises de s’emparer de Manille (bataille navale de Bataan en 1600 contre la flotte de l’amiral Olivier Van Noort ; autres tentatives hollandaises en 1606, en 1610, en 1617 et en 1646). Ils doivent aussi faire face aux Chinois ainsi qu’aux Japonais. Dès 1574, le chef chinois Limahong tente de reprendre Manille avec 4 000 hommes ; repoussé, il fonde une petite colonie à Pangasinan. Les Chinois de Manille sont regroupés dans un quartier spécial (parian), régulièrement taxés, parfois expulsés ou même massacrés (1603, 1639, 1662, 1762), mais ils parviennent à se maintenir et jouent un rôle de plus en plus important dans la vie économique. Les Japonais s’installent pareillement à Dilao (près de Manille), à San Miguel (Bulacan), à Cagayan ; en 1582, on est obligé d’envoyer une expédition contre le « pirate » Tayfusa, qui contrôle le nord de Luçon. En 1608, le quartier japonais de Dilao est détruit.