Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe IV le Bel

(Fontainebleau 1268 - id. 1314), fils de Philippe III le Hardi et d’Isabelle d’Aragon, roi de France de 1285-1314.



L’homme

Il devait son surnom à sa haute stature, à ses traits réguliers, à sa chevelure blonde ; les contemporains parlent avec éloge de sa piété et de sa douceur indulgente ; aux mauvais jours du règne, ils lui reprocheront seulement d’abandonner le pouvoir à de mauvais conseillers. Mais son ennemi déclaré, l’évêque Bernard Saisset, le comparait « au plus beau et au plus vil des oiseaux », le duc, assurant qu’il ne répondait pas quand on lui parlait et ne savait que regarder fixement : « Ni un homme ni une bête, une statue. » L’historien voit en lui une énigme : a-t-il gouverné lui-même ou a-t-il préféré à tout la chasse en laissant faire ces « chevaliers ès lois » que nous appelons les légistes ?

La tendance actuelle serait de tenir compte de la persistance extraordinaire, dans les buts et les moyens, de sa politique, et de refuser de croire qu’une telle continuité puisse exister sans la présence d’un chef autoritaire qui sait où il veut aller.

Il y eut des légistes avant Philippe le Bel, mais, avec ce roi aux contours indistincts, ils prennent un relief inhabituel. S’il est difficile de faire une juste part à leurs initiatives, nous connaissons du moins leurs origines. Comme ils font figure de parvenus, on les croit d’humble naissance ; en fait, ils étaient issus des patriciats urbains, des écoles de droit. Cette formation, à base de droit romain, a imprimé sa marque sur leur manière, formaliste, vétilleuse. Ils brandissent sans trêve les Pandectes, et le règne se passe en procès : on est loin des aspirations chrétiennes de Saint Louis ! Au début du règne, ils viennent surtout des pays au sud de la Loire : Pierre Flote, né dans le Languedoc, « un petit avocat borgne » dira Boniface VIII, éloquent, d’esprit délié, fut le premier laïque à recevoir la garde du sceau ; Guillaume de Nogaret, Toulousain et petit-fils de Patarin, avait été professeur de droit à Montpellier et juge royal à Beaucaire avant de devenir « la hache » du roi ; son bras droit, Guillaume de Plaisians, né dans le Dauphiné, était aussi un ancien juge à Beaucaire ; un Florentin, Musciatto de’ Franzesi, « Mgr Mouche », était spécialiste des affaires italiennes et des finances. À la fin du règne, la confiance royale est entièrement acquise à un Normand, Enguerrand de Marigny. On ne sait rien du cheminement de ces hommes jusqu’au roi ; ils ont plu peut-être parce qu’ils n’étaient pas des bureaucrates, mais des hommes d’action ; Pierre Flote mourut en soldat à Courtrai, Nogaret prit de grands risques dans son aventure italienne.


La politique extérieure du roi

Le premier soin du roi fut de renoncer aux aventures extérieures. Dès 1286, une trêve le délivra de la chimère aragonaise et du soutien aux Capétiens-Anjou du royaume de Naples ; la paix définitive demanda encore dix ans de palabres ainsi que les bons offices du roi d’Angleterre, Édouard Ier, des papes Nicolas IV et Boniface VIII. Les problèmes importants se situaient du côté des grands vassaux comme le comte de Flandre et le duc de Guyenne, qui était en même temps le roi d’Angleterre. Celui-ci avait prêté hommage au roi avec empressement, car il combattait les Gallois et les Écossais ; son intérêt commandait de maintenir la paix avec la France, qui durait depuis 1259 et qui était confirmée par l’accord de Paris par lequel Philippe IV lui cédait la Saintonge du sud de la Charente en 1286. Mais à Paris on vit sans déplaisir les incidents se multiplier entre marins et marchands normands, anglais, rochelais, bayonnais. On usa d’une procédure sournoise, mais éprouvée : citer Édouard Ier devant le tribunal royal, qui le déclarait déchu de ses fiefs en France. La ruse échoua et la guerre commença en 1294. Parmi les alliés du roi d’Angleterre figuraient la Bretagne et l’Empire, parmi ceux de Philippe, des Bourguignons et les Écossais (alliance qui dura trois siècles). La Guyenne était presque conquise lorsque l’intervention en 1297 de Gui de Dampierre, comte de Flandre, détermina Philippe le Bel à s’en remettre en 1298 à l’arbitrage de Boniface VIII : ce fut le retour au statu quo, confirmé par la paix de Paris du 20 mai 1303. D’autre part, par le traité de Montreuil-sur-Mer du 19 juin 1299, le roi de France mariait sa sœur Marguerite à Édouard Ier, et sa fille aînée, Isabelle, se fiançait au futur Édouard II, qu’elle épousa en 1308. Cet accord se justifiait par une appréciation réaliste du nouvel ennemi, la Flandre, riche et peuplée. Cependant, le roi de France y avait des partisans dans la grande bourgeoisie, les leliaerts (gens des lis), qui l’aidèrent à vaincre à Furnes. Philippe le Bel nomma Jacques de Châtillon gouverneur du pays, qui paraissait conquis. La brutalité de son administration provoqua une formidable insurrection du « peuple des métiers », qui avait jusque-là gardé le silence : au cours des « Matines de Bruges », il massacra près de 3 500 Français (18 mai 1302). Quand Philippe le Bel voulut en tirer vengeance, sa chevalerie se lança follement contre la piétaille flamande, habilement retranchée à Courtrai, derrière un canal : la ruée finit en désastre, il n’y eut pas de prisonniers et les vainqueurs ramassèrent 700 paires d’éperons d’or (11 juill. 1302) ; la leçon ne servit à rien, car on revit le même aveuglement et le même carnage dès le début de la guerre de Cent* Ans ! Philippe le Bel ne pouvait rester sur un tel affront ; le 18 août 1304, à Mons-en-Pévèle, il prit sa revanche à grand-peine, en risquant sa vie dans la mêlée. Cependant, comme il tenait en otage le fils de Gui de Dampierre, mort entre-temps, il se trouvait en situation assez forte pour traiter. La paix d’Athis-sur-Orge (23 juin 1305) imposa aux villes flamandes une lourde indemnité, la démolition de leurs murailles et le départ en pèlerinage, pour expier les Matines, de 3 000 Brugeois. On discuta longtemps encore ces conditions sévères ; finalement, l’arrangement de Pontoise (11 juill. 1312) stipula que le comte serait libéré et qu’il y aurait « transport de Flandre », c’est-à-dire la cession au roi de Lille, Douai et Béthune, enlevées aux pays wallons.