Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aride (domaine) (suite)

Mais si les apports détritiques sont abondants, la déflation ne parvient à en exporter qu’une partie, et le niveau de la dépression s’élève. La playa tend donc à gagner sur les pédiments. Dans les déserts froids, en Asie centrale par exemple, la gélifraction est si intense que les oueds, fortement chargés, remblaient dès le débouché des montagnes et construisent de vastes plaines d’ennoyage. C’est aussi la forte activité du gel au-dessus de 4 000 m dans les Andes qui explique les énormes accumulations de piémont qui flanquent cette chaîne, même aux latitudes tropicales.


Le modelé éolien

L’image du désert est souvent associée pour le profane à celle des dunes. De fait, c’est bien dans les régions arides que les champs dunaires, les ergs, atteignent les plus vastes dimensions et la plus grande richesse de formes. Tantôt ce sont des accumulations modestes plus ou moins isolées : telles sont les nebkas et rebdous, accrochées à des touffes de végétation, et les barkhanes, dunes libres en forme de croissant, dont la convexité, en pente douce, est tournée face au vent. Mais, le plus souvent, les dunes sont groupées de façon plus ou moins complexe : les barkhanes juxtaposées forment des cordons en W orientés transversalement au vent ; par étirement d’une extrémité, les barkhanes finissent par constituer des dunes longitudinales ourlées de concavités. Ces cordons acérés et plus ou moins sinueux sont appelés siouf (sing. sif) au Sahara. Ils se compliquent souvent de crêtes secondaires divergeant à partir de pyramides à flancs raides, les ghourd, qui peuvent dépasser 300 m de commandement. Des couloirs, les feidj, ou gassi, séparent les dunes : lorsqu’ils sont larges, comme dans le Ténéré, ils facilitent la circulation ; mais souvent des siouf latéraux les cloisonnent en alvéoles, comme dans le Dacht-i Lūt iranien. Dans certains cas, l’accumulation dunaire est irrégulière, confuse, sans orientation dominante : tels sont les aklé de Mauritanie.

La morphologie dunaire a inspiré une abondante littérature. Les barkhanes ne donnent pas lieu à discussion : le sable, entraîné par le vent sur la pente douce de la convexité, retombe dans le creux de la concavité ; ainsi la dune se déplace dans le sens du vent dominant, de quelques dizaines de mètres par an en moyenne. L’interprétation des champs dunaires, en revanche, reste controversée : suivant L. Aufrère, les dunes longitudinales sont des reliefs résiduels, le vent dominant creusant par déflation des couloirs dans la masse sableuse, tandis que les vents secondaires modèlent les crêtes obliques. Pour R. A. Bagnold, les dunes longitudinales sont au contraire construites : les vents dominants édifient des barkhanes, que les vents forts occasionnels et orientés différemment déforment en allongeant une corne. En fait, il semble que le vent agisse à la fois par déflation et accumulation suivant le détail du modelé dunaire lui-même, qui provoque de multiples convergences et divergences des filets d’air. De plus, le relief du soubassement n’est pas sans effet : certains couloirs correspondent à d’anciennes vallées, et les plus grandes dunes ont peut-être une armature rocheuse.

Quoi qu’il en soit tous les auteurs s’accordent à reconnaître que le modelé dunaire des ergs n’est qu’un remaniement sur place de vastes épandages sableux : le vent s’épuise à remodeler indéfiniment des dunes qu’il ne parvient pas à déplacer.

L’origine des sables dunaires est variée : pour une part, ils proviennent de la déflation, dont le rôle n’est pas négligeable. En prenant en charge des débris fins, le vent contribue à nettoyer les anfractuosités des parois rocheuses des produits de leur désagrégation ; avec l’aide du ruissellement, il creuse des cuvettes hydro-éoliennes autour des sebkhas ; il assure un triage des épandages et des sols squelettiques des surfaces planes, qu’il transforme en étendues caillouteuses, ou regs. Pour une autre part, le sable dunaire est le résultat de la corrasion, exercée par le vent armé de grains de sable. Peu efficace sur les roches cohérentes, qu’elle parvient seulement à strier ou à polir, cette action peut creuser des alvéoles dans les roches faiblement résistantes, et ronger le pied de rochers en leur donnant une forme de champignon ; mais c’est surtout dans les roches tendres, les argiles en particulier, que l’on a décrit les formes les plus évidentes de l’érosion éolienne : les yardangs, sillons qui peuvent être profonds, allongés dans le sens du vent et séparés par de petites buttes au profil aérodynamique.

Mais l’essentiel du sable des ergs provient d’épandages fluviatiles hérités de phases climatiques plus humides. De nombreux indices témoignent en effet de modifications climatiques répétées dans l’évolution récente des déserts. C’est ainsi que bien des éboulis qui tapissent le pied des parois rocheuses sahariennes ont été mis en place sous un climat à la fois plus frais et plus humide, ayant permis une gélifraction plus active qu’actuellement. C’est ainsi également que les grands chotts du Sud tunisien ont connu deux épisodes lagunaires au cours du Quaternaire, par suite d’une suralimentation des glands appareils artésiens auxquels ils sont liés (et non, comme on l’a longtemps prétendu, par une invasion marine du bas Sahara). C’est encore par des alternances climatiques que s’expliquent les glacis d’érosion étagés, que l’on a signalés en particulier en Afrique du Nord : des phases de planation, correspondant à des « pluviaux » relativement frais et humides, et des phases plus arides de creusement se sont succédé à plusieurs reprises au cours du Quaternaire.

Ainsi, c’est pendant les phases humides que la morphogenèse a été la plus active. Les déserts hyperarides actuels évoluent si lentement qu’ils sont comme figés. Dans les régions semi-arides, l’efficacité des processus est plus grande, d’autant plus grande que les averses sont plus concentrées et plus brutales, et que le gel est plus fréquent. Car c’est bien l’eau qui est l’agent essentiel du modelé des régions arides.

R. L.