Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

personnalité de base (suite)

Personnalité de base et personnalité de statut

Décrire les phénomènes culturels en termes psychologiques ou psychanalytiques revient à dire que la culture est d’abord la série des conduites et des attitudes données à voir par les individus d’une société donnée. C’est ce que montre l’ouvrage de Ralph Linton le Fondement culturel de la personnalité (The Cultural Background of Personality, 1945). Pour cet auteur, la culture induit des attitudes individuelles ; elle suscite des dispositions à agir et à réagir d’une manière particulière, c’est-à-dire à répondre d’une façon identique à des situations « perçues comme équivalentes ». En effet, toute réponse à une situation implique d’une part des besoins fondamentaux et d’autre part des conditions objectives de leur satisfaction. Si certaines réponses sont « émergentes », c’est-à-dire en train de se développer et de se structurer, la plupart d’entre elles sont établies et parfaitement organisées ; ces réponses se généralisent et interviennent dans le plus grand nombre de situations, perçues comme identiques. « C’est ainsi que certaines attitudes sont provoquées par tant de situations qu’elles finissent par influencer l’ensemble du comportement individuel. » Ces systèmes « valeurs-attitudes » agissent de façon automatique et inconsciente, et forment les éléments de la personnalité de base d’un groupe. Lorsqu’un comportement, individuel ou collectif, contredit un système déjà établi, il suscite spontanément, dans le groupe et chez les individus, des jugements critiques ou des réactions hostiles. La valeur sociale attribuée par le groupe à l’attitude établie permet à l’individu de la préférer, même lorsque ses intérêts sont menacés : ainsi s’explique, par exemple, la supériorité immédiatement reconnue dans toutes les sociétés aux attitudes courageuses.

Cependant, si ce schéma explique la formation de la personnalité de base, il ne tient pas compte du fait que la plupart des sociétés sont hiérarchisées, et que, même dans les sociétés primitives, il existe des modèles de comportement différents. Certes, hommes et femmes, adultes et enfants sont, dans une société donnée, susceptibles de réagir de façon identique à certaines situations et de partager les valeurs du groupe ; il en est ainsi de l’attitude à tenir devant la mort, pour prendre un exemple. Mais la culture commune, et donc la personnalité de base, ne sont pas « le commun dénominateur des activités, idées et attitudes des membres composant une société ». Chacun ne participe pas de la même manière à la totalité de la culture ; selon la position de l’individu dans la société, un statut particulier lui est dévolu, qui fixe le rôle qu’il aura à tenir. Ainsi, à côté de la personnalité de base, existe une personnalité de statut, qui tient à la place de l’individu dans la hiérarchie sociale. Les réactions d’un adulte ne sont pas exactement les mêmes que celles d’un adolescent, celles d’un homme diffèrent de celles d’une femme, comme celles d’un maître diffèrent de celles d’un esclave. La personnalité statutaire est en général intégrée à la personnalité de base, et les « systèmes valeurs-attitudes », spécifiques à un groupe, sont en général connus et acceptés par l’ensemble du groupe ; ainsi, les attitudes féminines sont encouragées par l’ensemble de la société, comme le sont les attitudes masculines ou enfantines. Dans The Tree of Culture (1957), Linton précise et approfondit sa conception de la personnalité statutaire. Il propose de distinguer le statut d’âge et de sexe d’une part, et le statut de caste ou de classe d’autre part. Si le groupe des enfants et des femmes ne constitue pas une « sous-culture », en revanche les groupes des esclaves, des chefs ou des prêtres présentent des attitudes nettement spécifiques. De plus, un même individu doit adopter plusieurs attitudes et plusieurs rôles : certains sont inévitables et tiennent à la personnalité de base, d’autres tiennent à la position sociale et sont permanents, d’autres encore sont occasionnels.

Chaque société « a son propre type de personnalité de base et sa propre gamme de personnalités de statut, lesquels diffèrent toujours en quelque manière de ce qu’ils sont dans une autre société » (le Fondement culturel de la personnalité). C’est pourquoi l’éducation joue le rôle culturel fondamental de préparer l’enfant à assumer les divers rôles qui seront les siens. Elle est un important facteur de stabilité sociale, car c’est par elle que la culture crée et façonne la personnalité, soit en agissant directement sur l’enfant, soit en lui proposant des modèles et des exemples. En définitive, « les membres normaux de n’importe quelle société doivent beaucoup moins la configuration de leur personnalité à leurs gènes qu’à leurs nourrices ».

N. D.

➙ Anthropologie / Culturalisme.

 M. Mead, Coming Age in Samoa (New York, 1928) ; Growing up in New Guinea (New York, 1930) ; Sex and Temperament in Three Primitive Societies (New York, 1935 ; trad. fr. Mœurs et sexualité en Océanie, Plon, 1963). / R. Benedict, Patterns of Culture (Boston, 1934 ; trad. fr. Échantillons de civilisation, Gallimard, 1950). / E. Fromm, Escape from Freedom (New York, 1941) ; Man for Himself (New York, 1947). / G. Bateson et M. Mead, The Balinese Character (New York, 1942). / C. A. Du Bois, The People of Alor (Minneapolis, 1944). / D. Leighton et C. Kluckhohn, Children of the People (Cambridge, Mass., 1947 ; nouv. éd., New York, 1970). / C. Kluckhohn, Mirror for Man (New York, 1949) ; Culture and Behaviour (New York, 1962). / M. Dufrenne, la Personnalité de base (P. U. F., 1953). / C. Kluckhohn et H. Murray, Personnality in Nature, Society and Culture (New York, 1953).


Deux biographies complémentaires


Abram Kardiner

(New York 1891). Après avoir suivi l’enseignement de Freud de 1921 à 1922, il enseigne à la faculté de l’Institut psychanalytique de New York de 1922 à 1944, en même temps qu’à l’université Cornell (de 1923 à 1955) et à l’université Columbia ; c’est là qu’il rencontre Ralph Linton et l’invite à suivre les travaux de son séminaire. De 1955 à 1961, il est directeur de la clinique psychanalytique de Columbia et professeur de psychiatrie à l’université Emory. Il a écrit notamment The Individual and his Society (en collaboration avec Ralph Linton, 1939) ; Sex and Morality (1954) ; They Studied Men (en collaboration avec E. Preble, 1961).


Ralph Linton