Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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pèlerinage (suite)

Le départ

L’islām comme le catholicisme en voient le prototype dans la vocation d’Abraham. « Dieu dit à Abram : Va-t-en de ton pays et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai [...], Abram s’en alla donc, comme Dieu le lui avait dit [...]. Il traversa le pays de Chanaan jusqu’au chêne de Moré. Dieu apparut à Abram et dit : À ta race je donnerai ce pays. Il y bâtit un autel à Dieu qui lui était apparu » (Genèse, 12).

Le départ est donc un ordre de Dieu, et l’islām prescrit le pèlerinage à La Mecque comme acte d’obéissance. Mais c’est au prix d’un arrachement : « Va-t-en, sors, quitte ta maison et ta parenté. » Nous nous installerions si volontiers dans notre maigre confort, nous aurions si vite fait d’oublier notre destinée, nos remises en question demeurent souvent si verbales : faisons-le en acte, et partons !


Le cheminement

Son rôle n’est pas moindre. Il a fleuri, entre les deux guerres, dans les milieux du scoutisme en particulier, une « spiritualité de la route », emprunte de poésie. Certes ! Et il y a une liberté retrouvée de l’homme qui est dans l’« entre-deux » : dégagé qu’il est de sa vie sédentaire et trop bien organisée, donc prise dans tous les engrenages de la vie individuelle, familiale, professionnelle et sociale.

La longueur de la route est fondamentale dans le pèlerinage. On l’allongerait plutôt. Le petit sanctuaire local, même très fréquenté, ne présente pas le même attrait que Lourdes, qui est comme par bonheur tout au bout de la France. Est-ce que, d’autre part, sa position de « Finis Terrae » n’a pas joué en faveur de Compostelle, dont la popularité n’aurait sans doute pas été si grande s’il n’y avait eu ces « chemins de Saint-Jacques* » qui s’allongent sur la moitié de la France pour drainer les pèlerins vers l’unique route d’Espagne, non moins interminable, jusqu’au fond de la lointaine Galice ? Et que dire de Jérusalem*, elle aussi à la pointe avancée de l’Occident chrétien vers l’Orient islamique ?

Il est vrai qu’à présent les moyens de transport se jouent des distances. On dit même qu’il y a en Inde un train spécial pour faire le tour des lieux les plus révérés. Ceux-ci sont nombreux, surtout dans l’Inde du Nord-Est, autour du Gange et de ses affluents : Gayā, Kāśī (Bénarès), Prayāg (Allāhābād), Hardwār Kedarnāth etc. Lourdes a bien son aérodrome ! Mais à Fátima, encore les deux tiers des centaines de milliers de pèlerins venant pour le 13 mai arrivent à pied, si fatigués d’un cheminement qui dépasse couramment les 100 et même 200 km que les soins, ici, consistent avant tout à panser les pieds blessés. Comme si cela ne suffisait pas, quelques-uns ne traversent qu’à genoux l’esplanade, plus vaste que celle de Saint-Pierre de Rome. De même, en Inde, certains n’avancent qu’en s’étendant au sol après chaque pas, accompagnant cette prostration de nombreuses invocations. C’est que la route est une ascèse qui fait partie intégrante du pèlerinage : par la fatigue, la faim et la soif, sous un soleil parfois ardent ; par la patience et la persévérance, où C. Spicq voit la « vertu des pérégrinants » ; par la pauvreté aussi, qui poussait beaucoup de pèlerins à demander l’aumône du repas ou du gîte. C’était plus rude école encore au Moyen Âge, où les routes restaient peu sûres et les règles du jeu unanimement suivies, même par les riches, qui se faisaient pauvres à l’occasion. Mais, pour nos contemporains, si peu accoutumés aux longues marches, est-ce qu’un moindre trajet ne demande pas un effort proportionnellement bien plus considérable ? Ainsi des étudiants qui, à l’exemple de Charles Péguy*, font à pied la route de Chartres.


Le terme du pèlerinage

Si importants que soient le départ et la route, ce n’est rien auprès du lieu saint. Car, si le cheminement symbolise la vie terrestre, le séjour à Jérusalem, à Compostelle ou bien à Lourdes préfigure le ciel, ni plus ni moins.

D’où ce lieu tient-il sa sainteté pour le croyant ? De ce qu’un jour le ciel et la terre s’y sont rencontrés, entrelacés, de sorte que ces lieux sanctifiés restent des axes où, semble-t-il, notre existence mobile et temporelle communique mieux avec le « centre » éternel. Mircea Eliade a relevé cette symbolique dans les religions les plus primitives. On la retrouve dans les temps les plus reculés, que ce soit en Égypte ancienne, en Chine ou dans l’Amérique précolombienne.

Il est vrai que certains lieux semblent prédestinés par leur configuration même, comme Sion-Vaudémont, la « colline inspirée » de M. Barrès : on dirait qu’ils communiquent plus directement avec les puissances chthoniennes. À Delphes*, les séismes ont fendu le calcaire, et il en sort non seulement les célèbres vapeurs où s’inspire la pythie, mais aussi l’eau purificatrice. Or, un peu partout, on retrouve l’association de la pierre (ou de la grotte), de la source et de l’arbre. À l’origine des lieux de culte hindous, il y a d’ordinaire un ou plusieurs tīrtha, c’est-à-dire ces gués de rivière où le bain rituel symbolise la traversée de l’« océan des existences ». Mais, le plus souvent, les grands sanctuaires se fondent sur le contact entre ciel et terre, établi de façon permanente par le passage, l’action ou la tombe d’un « Homme de Dieu ».

C’est ainsi que se trouvent déterminés les quatre grands pèlerinages bouddhiques : « Il y a quatre places, ô Ānanda, qu’un fils de famille croyant doit visiter avec une profonde émotion. [Celles où il peut dire] c’est ici que le Prédestiné (Bouddha) est né (Kapilavastu, aujourd’hui Rummindei, à la frontière du Népal) [...]. C’est ici que le Prédestiné a atteint le suprême et parfait éveil (Bodh-Gayā, à côté de Gayā, déjà nommé) [...]. C’est ici que le Prédestiné a fait tourner la roue de sa Loi (Sārnāth, près de Bénarès) [...]. C’est ici que le Prédestiné est entré dans le nirvāna sans reste ni retour (Kuśīnagara, au nord de Bénarès) [...]. Et là, ô Ānanda, viendront tous les croyants, moines et nonnes, zélateurs et zélatrices [...]. » (Vie du Bouddha.)