Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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pédagogie (suite)

L’approche institutionaliste en France se partage en deux écoles, l’une prolongeant les techniques encore organisationnelles de Freinet* pour les nourrir des apports de la psychanalyse de J. Lacan* et de la critique marxiste (F. Oury, A. Vasquez), l’autre plus essentiellement orientée vers l’expérimentation de l’autogestion (G. Lapassade, M. Lobrot, R. Lourau). Mais, dans les deux cas, on aboutit à une critique fondamentale de la société établie. Ce sont l’environnement et la culture qui sont mis en cause. Le sous-jacent institutionnel dans les relations sociales se livre aussi à l’analyse. Aussi faut-il forger un nouvel instrument approprié, l’analyse institutionnelle (R. Lourau), et plus encore une méthodologie. Il convient d’utiliser des « analyseurs naturels » (G. Lapassade) ou d’inventer des « dispositifs analyseurs ». R. Lourau appelle analyseur « ce qui permet de révéler la structure de l’institution, de la provoquer, de la forcer à parler ». Ces instances permettent l’analyse non seulement de ce qui est « voilé » ou « détourné », comme dans l’hypothèse psychanalytique, mais aussi de ce qui est politiquement dérobé : c’est la socianalyse.

Ainsi que l’écrit F. Guattari, « le rôle de l’analyseur de groupe consisterait à mettre en lumière telles situations et à amener l’ensemble du groupe à ne pas pouvoir se dérober, à trop bon compte, à sa vérité ». On doit donc distinguer l’analyseur (le dispositif qui provoque, permet et facilite l’analyse) et l’analyste ou l’analysant (qui pratique l’analyse).


Problématique et finalités de la relation pédagogique

À travers l’impact des différentes tendances que l’on vient d’évoquer, la relation pédagogique se trouve, de toutes parts, fondamentalement remise en question. Au sein même des théories et des écoles de pensée, comme dans les établissements scolaires, le modèle linéaire traditionnel, la rationalité tranquille de l’enseignant « à l’abri de son savoir » se trouvent dénoncés, suspectés. Les différents types d’analyse nous mettent en demeure d’assumer l’ambiguïté irrémédiable d’un maître-enseignant associant à un savoir, que l’on voudrait objectif et positif, la subjectivité foncière de la relation qui doit permettre la communication et l’évolution. Cette ambiguïté elle-même annonce d’autres ambiguïtés. Quels sont les fondements non élucidés, inavoués de l’« intention d’instruire » ? Comme le déclare D. Hameline, « Que fabrique le professeur quand il prétend fabriquer des élèves ? » Quels sont les pièges personnels, interpersonnels, culturels de la relation entre les parents et les enfants, entre les maîtres et les élèves ? La relation pédagogique apparaît, au terme d’une telle succession d’analyses, comme une réalité mouvante, stratifiée, ambivalente, se déroulant et se scandant simultanément à différents niveaux (personnalités conscientes, inconscients, interrelations, groupes, organisations, institutions). Si l’on ne perd pas de vue, comme cela s’est produit pendant plus d’un siècle, les valeurs qui sous-tendent l’intention pédagogique et la prise en charge de la relation que celle-ci suppose, il faut bien revenir aux finalités et, par conséquent, à la problématique de l’éducation. Celle-ci, lorsqu’elle ne trahit pas son dessein fondamental, est autant recherche d’intégration et de participation qu’habilitation du pouvoir de contestation. Dans Malaise dans la civilisation, Freud a montré qu’il ne pouvait y avoir de société sans une répression initiale des instincts. L’initiation est toujours renoncement, donc acceptation d’une certaine castration, mais elle doit encore ouvrir à des transgressions possibles dans le futur, sans quoi il n’y aurait pas progrès. Pour H. Marcuse il y a possibilité d’une sur-répression abusive, aux côtés d’une répression nécessaire. L’éducation est entreprise de désaliénation : elle vise la conquête progressive d’une autonomie et d’une indépendance relatives, intégrant toutefois le caractère inéluctable de l’interdépendance. C’est donc la, médiation difficile, et toujours, à refaire, entre le déterminisme de l’histoire personnelle et culturelle et l’invention d’un projet personnel et social. Cela souligne encore le caractère dialectique de la relation pédagogique subordonnée à de telles fins.

J. A.

➙ Éducation.

 E. Durkheim, Éducation et sociologie (Alcan, 1926 ; nouv. éd., P. U. F., 1966). / S. Freud, Das Unbehagen in der Kultur (Vienne, 1930 ; trad. fr. Malaise dans la civilisation, Denoël et Steel, 1934, nouv. éd., P. U. F., 1971). / J. L. Moreno, Who shall survive (New York 1933 ; trad. fr. Fondements de la sociométrie, P. U. F., 1954). / H. Marcuse, Eros and Civilization (Londres, 1956 ; 2e éd., Boston, 1966 ; trad. fr. Eros et civilisation, Éd. de Minuit, 1963). / A. S. Neill, Summerhill (New York, 1960 ; trad. fr. Libres Enfants de Summerhill, Maspero, 1970). / C. R. Rogers, On becoming a Person (New York, 1961 ; trad. fr. le Développement de la personne, Dunod, 1966). / G. Gusdorf, Pourquoi des professeurs ? (Payot, 1963). / G. Lapassade, l’Entrée dans la vie (Éd. de Minuit, 1963) ; Groupes, organisations et institutions (Gauthier-Villars, 1967) ; le Procès de l’Université (Belfond, 1969) ; l’Autogestion pédagogique (Gauthier-Villars, 1971) ; l’Analyseur et l’analyste (Gauthier-Villars, 1971). / P. Bourdieu et J.-C. Passeron, les Héritiers ; les étudiants et la culture (Éd. de Minuit, 1964). / L. P. Bradford, J. R. Gibb et R. D. Benne, T. Group Theory and Laboratory Method (New York, 1964). / Pédagogie et psychologie des groupes (Éd. de l’Épi, 1964 ; nouv. éd. 1969). / J. Ardoino, Propos actuels sur l’éducation (Gauthiers-Villars, 1965) ; Management ou commandement (Fayard et Mame, 1970) ; « Misère de l’éducation », dans G. Tarrab, Mythes et symboles en dynamique de groupe (Bordas, 1971). / M. Pagès, l’Orientation non directive en psychothérapie et psychologie sociale (Dunod, 1965) ; la Vie affective des groupes (Dunod, 1968). / M. Lobrot, la Pédagogie institutionnelle, l’école vers l’autogestion (Gauthier-Villars, 1966). / G. Mialaret, M. Chenon-Thivet, A. Fabre et C. F. Unger, Éducation nouvelle et monde moderne (P. U. F., 1966). / A. de Peretti, Libertés et relations humaines, ou l’Inspiration non directive (Éd. de l’Épi, 1966) ; les Contradictions de la culture et de la pédagogie (Éd. de l’Épi, 1969). / D. Hameline et M. J. Dardelin, la Liberté d’apprendre (Éd. ouvrières, 1967). / G. Mauco, Psychanalyse et éducation (Aubier, 1967). / F. Oury et A. Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle (Maspero, 1967 ; nouv. éd., 1971) ; la Psychothérapie institutionnelle et l’école (Maspero, 1971). / R. Lourau, l’Instituant contre l’institué (Anthropos, 1969) ; l’Illusion pédagogique (Éd. de l’Épi, 1969) ; l’Analyse institutionnelle (Éd. de Minuit, 1970). / D. Hameline, Du savoir et des hommes (Gauthier-Villars, 1971). / F. Guattari, Psychanalyse et transversalité (Maspero, 1972). / F. Oury et J. Pain, Chronique de l’école-caserne (Maspero, 1972). / M. Salines, Pédagogie et éducation (Mouton, 1973). / La Pédagogie (Denoël, 1973). / A. Bonboir et coll., Une pédagogie pour demain (P. U. F., 1974). / J. Filloux, Du contrat pédagogique (Dunod, 1974). / S. Mollo, l’École dans la société (Dunod, 1974). / G. Avanzini (sous la dir. de), la Pédagogie au xxe siècle (Privat, Toulouse, 1975).