Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Pasternak (Boris Leonidovitch)

Écrivain russe (Moscou 1890 - Peredelkino, près de Moscou, 1960).


Fils du peintre Leonid Ossipovitch Pasternak (1862-1945), Boris Pasternak passe une partie de son enfance à l’École des beaux-arts de Moscou, où son père enseigne le dessin. De sa mère, pianiste, il hérite des dons musicaux qui s’épanouissent sous l’influence de l’œuvre et de la personnalité de Scriabine. Cependant, il abandonne ses études musicales en entrant à l’université de Moscou (1909), où il se consacre à la philosophie ; en 1912, il passe un semestre à l’université de Marburg, où il suit les cours du néokantien Hermann Cohen.

Converti à la poésie sous l’influence de Blok et de Rilke, il publie ses premiers vers en 1913 dans l’almanach du groupe « Lirika », sous la marque duquel paraît en 1914 son premier recueil, Bliznets v toutchakh (Un jumeau dans les nuées). Cependant, dès la fin de l’année 1913, il s’est rallié, avec une partie du groupe « Lirika », rebaptisé « Tsentrifouga » (« Centrifuge »), à l’esthétique du futurisme, qu’il défend dans les essais polémiques Vassermanova reaktsia (la Réaction de Wassermann, 1914) et Tchernyï bokal (la Coupe noire, 1916). Ses premiers vers se rattachent aux tendances novatrices de la génération antisymboliste par le caractère recherché de leur structure sonore, de leurs rimes et de leurs images ; ils s’apparentent par là à ceux de Maïakovski*, à la fascination duquel Pasternak résiste cependant en prenant dans son deuxième recueil, Poverkh barierov (Par-dessus les obstacles, 1916), le contre-pied de l’attitude romantique, qui organise toute l’œuvre autour de l’image du « moi ». La nouvelle Pisma iz Touly (les Lettres de Toula, écrite en 1917), confession d’un poète dégoûté de l’image de lui-même que lui renvoie une troupe d’acteurs, illustre ce rejet de l’attitude romantique.

L’originalité de Pasternak s’affirme en 1917 avec Sestra moïa-jizn (Ma sœur, la vie, publié en 1922), recueil lyrique où le sentiment de la nature, l’amour ainsi que l’exaltation du moment historique s’expriment, grâce à la richesse du langage et à sa spontanéité métaphorique, par le relief et la nouveauté éblouissantes que prend l’image du monde sensible. Le bonheur de la forme, qui résulte de la rencontre d’une structure rythmique et phonique très recherchée ainsi que d’un langage (syntaxe et vocabulaire) très quotidien, fait de la poésie, telle que la conçoit Pasternak, un mode de participation à l’élan créateur de la vie et non une transposition réaliste ou symbolique du monde extérieur : c’est cette idée qu’exprime de façon allégorique la nouvelle Apellessova tcherta (le Trait d’Apelle, écrite en 1915), qui raconte comment le poète Heine, défié par un rival à une joute poétique, l’emporte en séduisant sa maîtresse. En même temps, Pasternak éprouve dans un roman qui restera inachevé (Detstvo Liouvers [l’Enfance de Luvers] écrit en 1917) les ressources que son langage métaphorique offre à l’investigation psychologique.

La révolution, indirectement présente dans Ma sœur, la vie, oriente l’œuvre de Pasternak vers la poésie épique ou narrative : les poèmes Vyssokaïa bolezn (Haute Maladie, 1923-1928), bilan des années de révolution et de guerre civile, Deviatsot piatyï god (l’An 1905, 1926) et Leïtenant Schmidt (l’Enseigne de vaisseau Schmidt, 1926-27), évocations jubilaires de la révolution de 1905, la nouvelle en vers Spektorski (1924-1930), que prolonge la nouvelle en prose Povest (le Récit, écrit en 1929), et enfin la nouvelle en prose Vozdouchnyïe pouti (les Voies aériennes, écrite en 1924) ont pour thème général l’opposition de deux types humains : celui du révolutionnaire et celui du poète. Également sensibles aux souffrances des hommes, et plus particulièrement à l’esclavage de la femme, également attirés par l’idée chrétienne du sacrifice, le poète et le révolutionnaire ont cependant une attitude diamétralement opposée devant la vie ; au volontarisme et à l’inflexible rigueur logique du révolutionnaire (Lénine dans Haute Maladie, le commissaire bolchevik Polivanov dans les Voies aériennes, l’héroïne révolutionnaire Olga dans Spektorski, Lemokh dans le Récit) s’oppose chez le poète un abandon coupable, mais irrésistible à la vie, ressentie comme une force impersonnelle et irrationnelle qui le dirige à sa guise et contre sa volonté (c’est l’image de la « haute maladie »).

Le conflit entre une volonté acquise à la cause de la révolution et une sensibilité rebelle aux impératifs idéologiques se retrouve au cœur du recueil lyrique Vtoroïe rojdenie (Seconde Naissance, 1930-31), inspiré en partie par la découverte de la Géorgie et par une passion qui aboutira à un second mariage. Le thème mélancolique de l’adieu au passé résonne en sourdine, couvert par une affirmation optimiste de confiance en l’avenir socialiste. Le ton du lyrisme de Pasternak se fait moins extatique et plus méditatif, les images se simplifient, la forme du vers gagne en pureté classique ce qu’elle perd en relief sonore.

Attiré en 1923 par Maïakovski au sein du groupe LEF, dont les adhérents veulent mettre une esthétique d’avant-garde au service de la révolution, Pasternak s’en sépare bientôt, rebuté par le dogmatisme rationaliste de ses théoriciens. « Compagnon de route », il est dénoncé comme idéaliste, individualiste et formaliste par les critiques « prolétariens » qui se réclament de l’orthodoxie marxiste. L’essai autobiographique Okhrannaïa gramota (Sauf-conduit, 1929), dédié à la mémoire de Rilke et où l’on trouve, à côté de ses souvenirs sur Maïakovski, une théorie « vitaliste » de l’art, est particulièrement attaqué. Cependant, la dissolution des associations d’écrivains prolétariens (1932) et la place faite aux « compagnons de route » dans la nouvelle Union des écrivains soviétiques apportent à Pasternak, au premier congrès de la nouvelle organisation (1934), une consécration officielle qui, si elle le met à l’abri des attaques, l’engage vis-à-vis du pouvoir à l’encontre de ses convictions profondes : il en résulte une crise morale qu’il ne surmontera qu’à la veille de la guerre.