Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Paris (suite)

Les nouvelles institutions parisiennes

La Révolution modifie profondément l’administration locale par la loi du 21 mai 1790. Paris a désormais un corps municipal, avec un bureau et 32 magistrats élus ; un conseil général de la Commune, qui groupe le corps municipal et des notabilités au nombre de 96, avec un procureur et ses deux substituts. En fait, Paris se voit subordonné à l’administration du département de Paris, élue par les électeurs de la capitale et des cantons de Saint-Denis et de Sceaux, et qui dispose seule du droit de convoquer le conseil général. C’est l’amorce d’une opposition entre les tendances autonomistes, d’inspiration démocratique, et les tendances centralisatrices, inquiètes devant les poussées populaires. Des sections, au nombre de 48, remplacent les 60 districts électoraux. En janvier-février 1791, les paroisses parisiennes seront réorganisées à leur tour, adaptées au nouveau régime administratif et religieux. De grandes paroisses, Saint-Sulpice, Saint-Eustache, sont démembrées, tandis que des succursales sont promues, comme Notre-Dame-de-Lorette, pour répondre aux besoins des nouveaux îlots de peuplement. La Révolution consacre enfin la déchéance des antiques paroisses de la Cité, Saint-Landry, Saint-Pierre-des-Arcis, prélude à la destruction qu’achèvera Haussmann.


Paris capitale de la Révolution

À travers les différentes phases de l’histoire de la Révolution, l’activisme politique privilégie certains quartiers, qui s’identifient bientôt à tel ou tel courant. À l’aube des événements, les premiers foyers révolutionnaires avaient été les lieux de résidence de la bourgeoisie à talents, Saint-Roch sur la rive droite, mais surtout Saint-Germain-des-Prés, les Cordeliers, Saint-Étienne-du-Mont. Dans cette phase bourgeoise et libérale de la Révolution, la rive gauche joue un rôle de premier plan. Les faubourgs populaires de l’est n’ont alors qu’un rôle d’appoint, de masse de manœuvre. La crise des subsistances, l’échec de la monarchie constitutionnelle et la guerre vont faire apparaître de nouveaux clivages. La montée du mouvement sans-culotte et l’essor des clubs démocratiques se traduisent par les multiples « journées », qui, prenant appui sur les faubourgs de l’est, imposent à la ville de l’ouest, aux quartiers du gouvernement et des assemblées, les modifications nécessaires. En toile de fond de ce tableau, il y a la crise économique et la montée des prix. Dès l’automne de 1789, on avait dû ouvrir des ateliers de charité à Grenelle, Vaugirard, Reuilly, bientôt Montmartre. À cette date, on comptait 20 000 chômeurs. Au printemps de 1791, ils sont au nombre de 30 000. Les branches industrielles et commerciales travaillant pour la Cour, l’aristocratie et le clergé sont ruinées. Faute d’argent, on suspend les travaux publics (le pont Louis-XV, les barrières). En octobre, on recense plusieurs dizaines de milliers d’indigents dans les faubourgs. Paris devient le champ clos où s’affrontent révolutionnaires et modérés ; et la direction des cortèges et des « journées », à dominante est-ouest, traduit la pression constante des classes populaires, largement majoritaires dans les quartiers à l’est d’une ligne rue Saint-Denis - rue Saint-Jacques. Après l’illusoire concorde de la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, le Champ-de-Mars est le théâtre de la sanglante fusillade du 17 juillet 1791, qui marque la rupture du bloc des Patriotes. La prise des Tuileries, le 10 août 1792, consacre la revanche du mouvement démocratique et, parallèlement à la chute de la royauté, le triomphe de la Commune insurrectionnelle, émanation des forces révolutionnaires de la capitale. Le rôle de Paris est désormais prépondérant.

L’orientation du gouvernement de la République va être dictée notamment par les rapports de forces à l’intérieur de la ville. À chaque crise des approvisionnements, à chaque flambée des prix et à chaque défaite, les sections sans-culottes, maîtresses de la rue, imposent taxations, réquisitions, arrestations. Cette prépondérance de la capitale se traduit de manière éclatante dans la crise de mai-juin 1793 qui oppose Montagnards et Girondins. Ces derniers s’appuient sur les sections des quartiers aisés, Mail, Le Peletier, la Butte des Moulins ; la Montagne, sur le faubourg Saint-Antoine et la rive gauche (Unité, Croix-Rouge). Le choc entre la démocratie autoritaire jacobine et le fédéralisme privilégie le rôle de Paris. Isnard situe l’enjeu : « S’il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale [...], Paris serait anéanti ; bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. » Robespierre réplique : « Le faubourg Saint-Antoine écrasera la section du Mail. »

La victoire de la Montagne établit la dictature de Paris. Mais la montée du mouvement des Enragés aboutit à une redistribution des forces révolutionnaires qui va se traduire dans la topographie politique. Les Montagnards ont conquis le centre-rive droite, les Gravilliers, les Arcis, Mail. Les Enragés dominent les quartiers populaires et pauvres de l’est, les sections du Finistère (ex-Gobelins), de Marseille (ex-Théâtre-Français), du Panthéon, l’ensemble du faubourg Saint-Marceau. En fait, coups de force et épurations successives vont dénaturer le rôle des sections. Elles perdent leur caractère de cadres neufs, où s’exerçait spontanément la démocratie populaire directe, pour n’être plus que le champ clos d’un activisme minoritaire et stérile. La rançon du pouvoir absolu de Paris était l’étouffement de sa propre expression. La ville offre sous la Terreur un spectacle sinistre. L’activité économique traditionnelle disparue a cédé la place aux fabrications de matériel de guerre. Hôtels et couvents sont affectés aux forges et ateliers, qui emploient environ 5 000 ouvriers. Les rues mal éclairées sont sillonnées de patrouilles car l’insécurité grandit.


De Thermidor au Directoire : Paris en tutelle

Avec la chute de Robespierre (9 thermidor an II), la capitale perd sa prééminence. La géographie politique bascule, c’est la revanche de l’ouest, la mise au pas des faubourgs, qui vivent l’échec de leurs dernières journées. L’état de siège et l’intervention de l’armée ont raison du faubourg Saint-Antoine, dont la capitulation (journée du 1er prairial an III [20 mai 1795]) est un symbole. Les ultimes loyers démocratiques s’éteignent avec la fermeture des clubs des Jacobins et des Cordeliers.