Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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parenté (suite)

Un tel système est pratiqué en Australie par les Karieras, les Arandas (ou Aruntas) et les Kumbaingeris. Le mariage kariera s’effectue entre parents classificatoires (certains parents plus éloignés que les cousins croisés réels sont classés comme tels, devenant ainsi conjoints potentiels). Arandas et Kumbaingeris excluent un certain nombre de ces possibilités matrimoniales. Un exemple est fourni par le mariage de type kariera (fig. 4).

Le système met en jeu deux (ou un multiple de deux) groupes de filiation locaux et correspond au type d’organisation dualiste ou bipartite : la société globale est divisée en deux moitiés ou phratries agnatiques ou utérines, qui peuvent — mais ce n’est pas toujours le cas — se subdiviser en unités plus restreintes. Lorsque les moitiés sont exogamiques, les subdivisions le sont en conséquence ; lorsque les moitiés sont endogames, les subdivisions exogames sont reliées deux à deux — relation qui inclut, outre l’échange simultané des femmes, une réciprocité des services entre les parties.

Lévi-Strauss estime que l’organisation dualiste doit être conçue comme un cas particulier de l’échange généralisé. Elle n’apparaît jamais à l’état « pur », mais toujours couplée avec une organisation tripartite. Ainsi, chez les Apinayes, les Bororos, les Cherentes, les Tapirapes et les Timbiras du Brésil, l’organisation conçue en termes de moitiés exogamiques — et décrite comme telle par les indigènes — recouvre une division réelle tripartite dont le rôle dans la réglementation des mariages est seul effectif. Chez les Bororos, deux moitiés exogamiques matrilinéaires se subdivisent chacune en quatre clans exogamiques, eux-mêmes recouvrant trois fractions — supérieure, moyenne et inférieure. Dans la mesure où un membre d’une fraction supérieure ne peut épouser, dans l’autre moitié, qu’un membre d’une fraction supérieure (de même pour moyens et inférieurs), l’organisation dualiste exogamique n’est qu’apparente ; le mode de fonctionnement réel correspond à une structure tripartite : supérieurs, moyens, inférieurs — chaque groupe n’ayant aucun lien de parenté avec les deux autres — constituent trois groupes endogames.


Échange généralisé. Organisation tripartite

La différenciation des deux types de cousins croisés s’accompagne nécessairement d’une structure tripartite : groupe d’ego, groupe de ses cousins croisés matrilatéraux, groupe de ses cousins croisés patrilatéraux.

• Mariage asymétrique (patrilatéral) des cousins croisés
Exemple type : le mariage trobriandais (filiation utérine ; cependant, ce type de mariage peut exister également en cas de filiation agnatique).

Le modèle idéal du système kariera n’est plus concevable ici, puisque le mariage d’ego avec sa cousine croisée matrilatérale est prohibé.

Les groupes de filiation locaux sont reliés deux à deux, mais l’échange des femmes n’est plus simultané : l’équilibre n’est établi qu’après un délai d’une génération. E. Leach a fait le schéma du mariage de type trobriandais (fig. 5).
— Première génération ascendante d’ego : les femmes des groupes A et B se marient respectivement en B et C. Les rapports deux à deux sont :
A/B et B/C → donneur de femmes / preneur de femmes.
— Génération d’ego : les femmes des groupes C et B se marient respectivement en B et A. Les rapports deux à deux s’inversent : A/B et B/C → preneur / donneur.
— Première génération descendante d’ego : les rapports A/B et B/C → donneur / preneur réapparaissent.

À ce système correspond une terminologie de parenté alternative : identification des générations alternées (par exemple, grand-père et petit-fils désignés par un terme unique).

• Mariage asymétrique (matrilatéral) des cousins croisés
Exemple type : le mariage kachin (Birmanie) union préférentielle d’ego (masculin) avec sa cousine croisée matrilatérale.

Forme développée de l’échange, ce type de mariage suppose une modalité différente de réciprocité : les groupes ne sont plus reliés deux à deux ; aucun groupe ne reçoit de femmes de celui auquel il en donne. Le système existe aussi bien en société matrilinéaire qu’en société patrilinéaire ; il s’accompagne fréquemment d’un arrangement circulaire entre plusieurs groupes : A donne des femmes à B, qui en donne à C, qui en donne à A. Un tel système constitue une structure ouverte capable d’intégrer, sans se modifier, un nombre croissant de groupes (d’où le terme d’échange généralisé — sous sa forme la plus riche — employé par Lévi-Strauss). L’exemple kachin correspond à un principe de filiation agnatique, et le système n’y est pas circulaire. Leach a fait le schéma du mariage de type kachin (fig. 6).

Selon lui, ce type de mariage « inclut le type australien karadjeri et le système murngin, qui a fait l’objet de tant de discussions. Il faut, cependant, remarquer qu’en général les systèmes de type kachin sont dépourvus des traits qui rendent le type karadjeri caractéristiquement australien, par exemple la différence formelle des groupes de filiation locaux en sections composées de générations alternées ».

À ce dernier système correspond une terminologie de parenté : le rapport établi entre les groupes de filiation n’étant pas inversé d’une génération à l’autre, la différenciation des niveaux de génération devient secondaire par rapport à celle des groupes donneurs et preneurs de femmes.

Seront désignés par un même terme par exemple : la fille de la sœur du père (a2) et la sœur du père (b1) ; la fille de la fille (a4, si la deuxième génération descendante d’ego était représentée sur le diagramme) et la fille de la sœur (a3) ; le fils de la sœur du père (A2) et le père (B1) ; le fils du frère de la mère (C2) et le fils du frère (non représenté sur le diagramme de la figure 6) [pour ego masculin].


Système murngin

Décrit pour la première fois par W. L. Warner en 1930 le système murngin (Australie, région de la terre d’Arnhem) comporte, selon lui, sept lignées de filiation. W. E. Lawrence et G. P. Murdock (1949) considèrent ces lignées comme des groupes réels de la société et en déduisent un arrangement circulaire (incluant un huitième groupe — qui ferme le cercle —, que Warner n’aurait pas décelé ; ces huit groupes se subdivisent en trente-deux classes matrimoniales). Radcliffe-Brown* s’oppose (en 1951) à cette interprétation. L’analyse de Lévi-Strauss (1949) — quatre lignées, dont une ambiguë — est reprise par Leach sous la forme suivante : quatre groupes de filiation locaux (groupes réels) répartis en deux moitiés. « Le groupe local B d’ego est allié au groupe CC du frère de la mère de la mère d’ego (Mari) ; il est en opposition avec une paire analogue de groupes locaux liés, celui du frère de la mère (Gawel) et celui du fils du frère de la mère de la mère de la mère (Nati-Elker). » Warner (fig. 7) et Leach (fig. 8) ont donné chacun un schéma décrivant cette structure.