Achéens (suite)
L’organisation du monde achéen
Les archéologues, en étudiant les palais, pouvaient déjà entrevoir ce qu’était l’organisation du monde achéen. Mais l’idée que l’on s’en fait s’est beaucoup clarifiée depuis que l’on a pu déchiffrer, en 1952, les tablettes d’argile découvertes dans les palais de Knossós, de Pylos et de Mycènes (les incendies, en les faisant cuire, les ont conservées) : le mérite de leur lecture revient à Michael Ventris, qui fut assez audacieux pour supposer que leur écriture, dérivée de l’écriture crétoise et à laquelle on a donné le nom de minoen linéaire B, transcrivait un grec archaïque, langue des Achéens, et non une langue méditerranéenne.
Les royaumes qui divisent le domaine achéen sont peu nombreux (Iôlkos, Thèbes, Athènes, Mycènes, qui domine Tirynthe, Pylos) ; ils sont donc forts et n’éprouvent que rarement le besoin de s’unir, comme ils le firent pour assiéger Troie. À leur tête est le roi, wa-na-ka, souverain absolu dont la personne est l’objet d’un respect religieux ; à ses côtés, le la-wa-ge-te semble avoir des responsabilités militaires, car il est le chef du « laos » (le peuple en armes) ; autour du roi se rassemblent des compagnons constituant une sorte d’aristocratie chargée d’argent et d’honneurs.
Dans les provinces du royaume se dispersent des petits villages, ou dèmes, vivant repliés sur eux-mêmes et dont les terres peuvent être cultivées collectivement par la communauté villageoise et ses esclaves ou laissées à telle ou telle famille à titre d’usufruit. Un conseil des anciens (gerousia) y regroupe les gens les plus puissants, et un basileus y est, au nom du roi, responsable de la perception de contributions en hommes ou en matériel.
Les tablettes mycéniennes (qui ne sont rien d’autre que des inventaires, des comptes) permettent de voir avec quelle minutie le roi contrôle la vie économique du pays, ainsi que l’activité de chacun des habitants : cela lui permet de lever exactement les impôts. D’autre part, aucun service ne s’échange dans le pays sans que le palais ait servi d’intermédiaire ; aussi, ce dernier devient-il un énorme entrepôt de richesses multiples et même le siège d’industries qui permettent au roi de jouer un grand rôle non seulement sur le continent, mais aussi outre-mer. Un tel système de gouvernement, dont l’efficacité est indiscutable, comme le prouve l’extraordinaire réussite des Achéens, ne pouvait subsister que dans la mesure où le roi s’appuyait sur des bureaucrates capables de lui donner une image exacte des ressources de son royaume. Il avait su trouver en Crète, où la tradition en ce domaine était ancienne, les scribes nécessaires ; ceux-ci s’adaptèrent à la langue de leurs nouveaux maîtres et les servirent sans jamais se mêler à la masse de la population qu’ils contrôlaient. Mais, quand cette caste eut été détruite, il fut impossible de continuer à faire vivre des monarchies aussi importantes, et les royaumes ne purent que rétrécir.
Durant le xiie et le xie s., des envahisseurs descendent du nord. Parmi eux se trouvent les Doriens. Ils s’emparent de Mycènes (1125), puis du reste du Péloponnèse, franchissent la mer à leur tour et prennent pied en Crète, dans les Cyclades. Les populations anciennes cèdent la place, et un bon nombre d’Achéens vont s’installer en Grèce d’Asie, après avoir passé par Athènes, relativement à l’écart des invasions. Ils s’établissent aussi à Chypre, où leur civilisation, protégée par l’éloignement, se perpétuera. Quant au continent, abandonné aux nouveaux venus, il tombe dans la barbarie ; le village devient l’unité politique de la Grèce pour le temps des « siècles obscurs ».
J.-M. B.
➙ Athènes / Crète / Grèce / Mycènes.
A. Severyns, Grèce et Proche-Orient avant Homère (Bruxelles, 1960, rééd. 1965).