Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Paraguay (suite)

Le traité des limites (1750). Première guerre guarani

En 1750, le groupe de pression colonial hostile aux réductions obtint de Madrid la cession au Brésil de sept réductions sises sur la rive gauche de l’Uruguay. En échange, le Portugal abandonnait à l’Espagne la colonie d’El Sacramento, face à Buenos Aires. Excellente affaire pour le Brésil, ce marché désavantageux permettait de s’en prendre aux Jésuites. Ceux-ci évitèrent le piège tendu en se soumettant, mais condamnèrent ainsi les sept réductions orientales, attaquées à la fois par les Portugais et les Espagnols, et isolées de l’autre moitié de la république. Les Indiens refusèrent d’abandonner leur territoire et, forts de l’extraordinaire entraînement militaire que leur avaient donné les pères, résistèrent farouchement jusqu’en 1756, infligeant plusieurs défaites aux assaillants et les obligeant à demander des armistices, aussitôt rompus. Puis ils évacuèrent la rive gauche après en avoir fait une terre brûlée.


Expulsion des Jésuites, destruction de l’ordre et des réductions

La résistance des Guaranis vint précipiter le cours des événements en Europe, où les Jésuites étaient, depuis des années, en conflit avec le despotisme éclairé de France, d’Espagne et de Portugal. Expulsée du Portugal en 1759 par Pombal*, la Compagnie de Jésus* fut supprimée en France en 1762, expulsée d’Amérique en 1767, enfin abolie par Rome en 1773.

Les Espagnols accoururent en foule dès lors qu’étaient tombées les frontières d’un pays qui leur avait toujours été interdit. Ils suivaient leurs troupes, qui se conduisaient comme en pays conquis. Le pillage pouvait se faire impunément, les Guaranis ayant été désarmés au préalable. La fuite fut la seule réponse possible d’un peuple dont les cités furent saccagées et rasées et les terres confisquées. Au lieu d’améliorer la situation, l’indépendance vint ruiner définitivement les réductions, qui furent partagées entre le Paraguay, l’Uruguay et l’Argentine.


Le xixe siècle : les hommes forts

La République guarani avait été victime d’un génocide entamé en 1750 et poursuivi jusqu’en 1817 par le Brésil, l’Argentine et les dirigeants d’un nouveau pays, le Paraguay. Depuis 1812, le maître du Paraguay s’appelait José Gaspar Rodríguez de Francia (1766-1840) : admirateur de Robespierre et de Napoléon, il imposa une dictature de fer pour isoler le Paraguay des pays voisins, dont il redoutait l’expansionnisme à juste titre. Son administration fut bénéfique pour l’économie et, à plus d’un titre, retrouva des pratiques du temps des Jésuites. La société métissée, sans grands besoins, fonctionnait sans avoir recours aux importations. La faiblesse de l’aristocratie blanche, jugulée par le dictateur, permit au pays de faire l’économie d’une dépendance coûteuse et de se passer des cultures d’exportation, indispensables partout ailleurs pour financer les importations. Le règne de Francia sauvegarda l’indépendance du Paraguay, menacé par l’Argentine, et se traduisit par le bien-être populaire, les cultures vivrières n’étant pas concurrencées par l’agriculture de plantations.

Les successeurs de Francia furent Carlos Antonio López (de 1844 à 1862), puis son fils Francisco Solano López (de 1862 à 1870). Ils maintinrent le rigoureux autoritarisme de leur prédécesseur et les options fondamentales de son programme économique et politique. Carlos Antonio López travailla à la modernisation technique de l’économie et à l’ouverture progressive au monde extérieur. L’exportation du tabac et du maté appartint à l’État, tandis que les propriétés du domaine public et les plantations travaillèrent sous le contrôle étatique.


La Triple Alliance (1865-1870)

Le jeune et fougueux Francisco Solano López abandonna la prudence diplomatique de Francia et de son père pour, à l’occasion des guerres du Río de la Plata, récupérer des territoires guaranis sur la frontière brésilienne. Il fit alors entrer son pays dans le conflit en appuyant une faction uruguayenne contre une autre, qui était alliée au Brésil. Fort d’une excellente armée de 50 000 hommes qui avait hérité des qualités militaires des Guaranis, il mena durant cinq ans une guerre incroyable contre le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay ; ces trois pays s’étaient réconciliés dans la Triple Alliance, dirigée contre un peuple métis et indien que l’on voulait exterminer afin de s’en partager le territoire. L’héroïsme paraguayen étonna le monde par sa volonté désespérée ; les armées paraguayennes furent même capables un temps d’envahir le Brésil et l’Argentine avant d’être acculées à la résistance sur les bords du río Paraguay. L’invasion, la chute de la capitale, rien ne put mettre fin à la guerre, sinon la mort de López sur le champ de bataille au milieu de ses derniers soldats.

Le Paraguay devait rester marqué par le deuxième génocide de son histoire : un million de Paraguayens étaient morts, et le pays n’était plus qu’un amas de ruines. Il ne fut pas rayé de la carte grâce aux divisions entre les vainqueurs, mais la reconstruction, très lente, se fit sous le signe de la grande propriété et de l’hégémonie argentine.


1870-1932

Le désastre permit l’implantation du système oligarchique, que la dictature de Francia et des López avait rendu impossible ; le triomphe de la classe des grands propriétaires signifiait celui de l’économie d’exportation et de la dépendance. Le Paraguay vendait du cuir, du tabac, du maté et du bois à l’étranger. Pendant trente ans, les « colorados », ou conservateurs, restèrent au pouvoir, mais quand les libéraux, ou « azules », leur succédèrent, rien ne changea : la vie politique se limitait à la classe dirigeante, et les conflits n’intéressaient que les factions. L’autoritarisme était la règle, et l’état de siège la pratique courante. Les libéraux étaient liés à l’Argentine, et les conservateurs au Brésil.


La guerre du Chaco (1932-1935)

En 1932 commença une guerre sanglante entre les pays les plus pauvres d’Amérique du Sud, la Bolivie et le Paraguay, deux pays fortement indiens, deux pays enclavés dans le continent, battus et dépouillés par des voisins plus puissants. Les compagnies pétrolières internationales jouèrent un rôle dans le conflit, même si leurs responsabilités furent moins grandes qu’on ne l’a dit. La guerre, fruit des ambitions boliviennes, avait pour enjeu le désert du Chaco. Après de sanglants combats et une lutte atroce, où furent mobilisées de grandes masses, la Bolivie fut vaincue et ne dut d’éviter l’invasion qu’à la pression des grandes puissances (v. Bolivie).

La guerre bouleversa profondément la Bolivie et le Paraguay : dans les deux pays, lés officiers, indignés par l’absurde sacrifice (80 000 et 50 000 morts respectivement) imposé par les gouvernements oligarchiques, découvrirent le nationalisme révolutionnaire et prirent le pouvoir.