Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Palestrina (Giovanni Pierluigi da) (suite)

Les cent cinq messes de Palestrina qui nous sont parvenues forment la partie la plus importante et la plus représentative de son œuvre. Leur nombre aussi bien que leur qualité font de lui le plus grand maître de ce genre. Six recueils parus entre 1554 et 1594 ainsi qu’un septième recueil posthume, de 1594 également et dont l’édition fut préparée par l’auteur lui-même, contiennent près de la moitié de ces messes. Son fils Iginio ayant vendu ce qui lui restait de messes inédites à deux amateurs, ceux-ci les publièrent à Venise dans six autres recueils parus entre 1599 et 1601 et qui contiennent une trentaine de messes. Les autres messes se trouvaient éparses dans des recueils imprimés ou furent retrouvées dans les archives de différentes églises romaines. Une dizaine de messes, enfin, furent extraites récemment dans les archives de Sainte-Barbara de Mantone.

À cette époque, il est de coutume d’écrire les messes en partant non d’un thème librement inventé, mais d’un thème déjà existant. Palestrina se soumet à cette tradition. Environ la moitié de ses messes appartiennent à la catégorie des messes dites « messes-parodies », c’est-à-dire tirant leur origine d’une œuvre polyphonique antérieure adaptée plus ou moins librement. Comme œuvre de départ, Palestrina choisit presque toujours un motet, plus rarement un madrigal ou une chanson. (Roland de Lassus* fera le contraire.) Cette œuvre peut être du compositeur lui-même ou de l’un de ses confrères. Palestrina écrira par exemple la Messe « Assumpta est » à partir de son motet du même nom. Dans beaucoup d’autres cas, ses messes sont construites à partir d’un thème monodique dont les éléments mélodiques servent de base au développement de toutes les voix. Le morcellement du thème, l’usage qui en est fait peuvent le rendre difficilement reconnaissable. Ce thème est le plus souvent grégorien, exceptionnellement profane (comme tant d’autres avant lui, Palestrina a utilisé le timbre de l’« Homme armé » et en particulier dans la Messe du pape Marcel). Quelques messes s’apparentent à la technique déjà ancienne de la messe avec teneur : le thème choisi est exposé dans une des voix en valeurs longues une ou plusieurs fois sans se fondre dans la polyphonie qu’il soutient. C’est le cas en particulier de la Messe « Ecce sacerdos magnus ». Quelques messes sont de style canonique (la Messe « Ad fugam » par exemple). Rares sont les œuvres qui n’ont aucun lien soit avec une œuvre antérieure polyphonique, soit avec une mélodie grégorienne ou profane.

Mis à part deux livres de madrigaux (qui représentent la seule contribution de compositeur à la musique profane et dans lesquels celui-ci se montre beaucoup moins original que ses contemporains), deux livres de madrigaux spirituels et quelques ricercare pour orgue, tout le reste de l’œuvre de Palestrina consiste en motets : environ quatre cents motets proprement dits, dont la moitié fut publiée du vivant du compositeur dans deux livres de motets à quatre voix (1563 et 1581) et cinq livres de motets de cinq à huit voix (1569-1584). À ceux-ci viennent s’ajouter des lamentations, des hymnes, des magnificats, des offertoires, des litanies, etc. Le matériel thématique peut être fondé sur le chant grégorien ou sur une œuvre polyphonique antérieure, mais, ce qui était exceptionnel dans les messes, il peut aussi souvent être original. Les motets sont donc le lieu privilégié où se manifeste la richesse de l’invention mélodique de Palestrina. Le principe d’exposition reste en général le même : chaque membre de phrase du texte donne naissance à une idée musicale qui se reproduit en imitations dans toutes les voix. La dernière entrée conduit vers la cadence qui marque à la fois la fin de la phrase et le début de la phrase suivante. Les motets à huit voix reflètent l’influence vénitienne dans l’emploi du double chœur. Si, dans la messe, certains mots suscitaient presque automatiquement une traduction musicale symbolique (ascendit, descendit, sepultus est, etc.), cette description, éloignée de recherches expressives, n’affectait pas le caractère de sereine objectivité de l’ensemble. Dans certains motets, au contraire, la musique participe beaucoup plus intimement aux éléments sensibles du texte, affectifs ou pittoresques. Parmi les plus beaux motets de Palestrina, on peut citer Sicut cervus, Super flumina Babylonis, Surge illuminare, Hodie Christus natus est ou le Stabat mater à huit voix.

Les œuvres de Palestrina sont écrites a cappella, c’est-à-dire sans accompagnement instrumental. Elles occupent dans l’échelle des sons une étendue restreinte, dépassant rarement deux octaves et une quinte. L’écriture à quatre ou cinq voix est de loin la plus fréquente. Palestrina n’a pratiquement jamais écrit à plus de huit voix (c’est seulement à la génération suivante que les compositeurs de l’école romaine utiliseront un nombre supérieur de voix). La construction, ordonnée et claire, respecte la ponctuation logique du texte : Palestrina évita le chevauchement des phrases entre les différentes voix qui se produisait souvent chez les Franco-Flamands aux dépens de l’intelligibilité du texte. La liberté et la souplesse de la ligne mélodique donnent à celle-ci des affinités avec le chant grégorien. Palestrina évita les altérations chromatiques et les dissonances passagères résultant du libre mouvement des voix. Aussi éloignée des audacieuses recherches harmoniques des madrigalistes que des artifices d’écriture des Franco-Flamands, la musique de Palestrina a su allier à la science contrapuntique que celui-ci tenait de sa formation la clarté et la qualité mélodique des Latins. Elle représente le point d’équilibre idéal entre les deux dimensions verticale ou harmonique et horizontale ou contrapuntique : l’intérêt se trouve également partagé entre les lignes et les rapports polymélodiques qu’elles entretiennent entre elles, d’une part, et les accords formés par la réunion de toutes les voix et leurs rapports successifs, d’autre part.