Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Palacký (František) (suite)

Au centre de sa conception historique, comme chez beaucoup d’historiens romantiques, on trouve la lutte entre deux principes. « Tout événement historique repose sur le combat, donc sur le conflit de deux camps. » Cette loi de double polarité dans l’histoire de la Bohême, c’est la lutte entre Slaves et Germains. « Le trait principal de l’histoire tout entière de la Bohême-Moravie, c’est l’association et le conflit perpétuels des Slaves avec les Romains et les Germains ; comme les Romains n’ont pas atteint les Slaves directement, mais presque entièrement par l’intermédiaire des Germains, on peut dire que l’histoire de la Bohême repose surtout sur un conflit avec les Germains, donc sur l’acceptation ou le refus des coutumes et des lois germaniques par les Slaves. C’est une lutte qui n’a pas été menée seulement sur les frontières, mais à l’intérieur de la Bohême, pas seulement contre les étrangers, mais aussi parmi les habitants du pays, pas seulement avec l’épée et le bouclier, mais aussi avec l’esprit et la parole, avec les lois et les coutumes, ouvertement et en secret, avec une ardeur enflammée ou une passion aveugle, avec non seulement pour résultat la victoire et la soumission, mais aussi la réconciliation. » Au Germain agresseur et conquérant, Palacký oppose les Slaves pacifiques, industrieux, désintéressés.

L’événement central de l’histoire tchèque, c’est la révolution hussite. « Les révolutions sont effroyables dans la nature et dans l’humanité, mais ces révolutions apportent une vie nouvelle à la nature et à l’humanité. »

Le hussitisme représente le sommet de l’histoire tchèque, la justification de sa mission. Le peuple tchèque, si faible numériquement, a joué un rôle de premier plan dans la civilisation mondiale en faisant triompher les principes de démocratie et de justice, qui, selon Palacký, annoncent et précèdent la réforme luthérienne. Dans sa conception cosmopolite de l’histoire, la vie d’une petite nation ne se justifie que par le rôle qu’elle a pu jouer à ce moment dans l’histoire universelle. Peu importe la défaite du mouvement hussite. « Nous avons été et nous ne sommes plus. Mais notre chute a été la chute d’un héros qui meurt pour le droit et la vérité. Bien que notre vie eût disparu un certain temps, elle n’a pas disparu dans l’éternité ; elle brille et brillera toujours comme un miroir et un modèle aussi longtemps que l’humanité existera. »

Au centre de l’œuvre de Palacký, il y a le peuple bohème. Comme le dira l’un de ses successeurs, l’historien Jaroslav Goll (1846-1929), on aurait pu intituler son livre « Pro populo bohemico ».


La carrière politique

Dans une minorité nationale privée d’aristocratie, les intellectuels et les écrivains jouent un rôle de premier plan. De même qu’il a contribué à établir le programme intellectuel de la nation tchèque, Palacký va aussi définir son premier programme politique. Il n’est pas le créateur de l’austroslavisme politique, cette doctrine créée par le comte Lev Thun (1811-1888), qui réclame pour les Slaves le droit de dominer une Autriche rénovée où leur place serait enfin reconnue. Mais c’est lui qui transforme l’austroslavisme en un programme cohérent. Lorsque la révolution de 1848 éclate, Palacký occupe dans le Comité national de Prague une place dans la commission « pour les relations de la Bohême avec les pays de la couronne de Bohême, avec l’Autriche et avec la Confédération germanique ». Dans une lettre célèbre du 11 avril 1848, il déclare que les Tchèques se refusent à envoyer des députés au Parlement de Francfort et exalte la mission d’une Autriche qui s’appuierait sur les Slaves. En mai 1848, il refuse d’être ministre de l’Instruction publique dans le cabinet autrichien. Il préside du 2 au 12 juin 1848 le congrès slave de Prague qui rassemble les Slaves de la monarchie et il rédige le manifeste aux nations européennes que lance le congrès le 12 juin. Il n’a jamais été un nationaliste étroit ; cosmopolite d’éducation et de cœur, il ne trouve de justification à la nation que dans la mesure où elle fait progresser l’ensemble de l’humanité. Lorsque les troupes autrichiennes dispersent le congrès slave, il se rend au Parlement autrichien, à Vienne et à Kremsier (Kroměříž), pour y défendre inlassablement l’idée d’une fédération, fondée sur les nations plus que sur les droits historiques. Lorsque le Parlement est dissous en mars 1849, il publie un article « sur la centralisation et l’égalité nationale en Autriche », qui est le premier programme politique tchèque.

L’absolutisme de la période de Bach rend impossible toute action politique. Le dégel de 1861 fait de Palacký un député au Parlement de Prague, un membre de la Chambre des seigneurs de Vienne. Mais ses espoirs de fédération sont de nouveau déçus avec le compromis de 1867, qui instaure en Autriche et en Hongrie deux centralismes. Pour lui, c’est inciter les Slaves à chercher désormais leur avenir hors de l’Autriche. En mai 1867, avec son gendre Františck Ladislav Rieger, Palacký se rend à Saint-Pétersbourg, en visite officielle, et il est reçu par le tsar. Chef du principal parti tchèque, il insiste de plus en plus sur les notions d’autorité et de tradition. Il est libéral plus que démocrate. Et, en 1874, une nouvelle génération, les Jeunes-Tchèques, se sépare de ce parti des Vieux-Tchèques, qu’elle juge trop loyaliste et traditionnel. Lorsque Palacký meurt, en 1876, le peuple tchèque lui fait des obsèques grandioses.

Palacký a joué un grand rôle dans l’histoire du peuple tchèque. Il lui a révélé son passé. Plus encore qu’un programme politique, il lui a légué un modèle du rôle que peut jouer l’intelligentsia dans une nation minoritaire privée de classe dirigeante et d’aristocratie.

B. M.

 V. J. Nováček, F. Palackeko (en tchèque, Prague, 1898). / R. G. Plaschka, Von Palacky bis Pekar (Graz, 1955). / J. F. Zacek, Palacky, the Historian as Scholar and Nationalist (Mouton, 1970).