Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Pacifique (océan) (suite)

La marge australasiatique

Depuis la Chine du Sud jusqu’à l’Australie s’individualisent des mers marginales dont les caractères géographiques sont profondément originaux. Les courants nord- et sud-équatoriaux, qui viennent y achever leurs parcours transocéaniques, sont déviés contre l’alignement de seuils insulaires courant depuis les Philippines jusqu’aux Nouvelles-Hébrides et à la Nouvelle-Calédonie, en donnant des courants latéraux à composante polaire. Une part importante de ces eaux pénètre plus à l’ouest en s’y décomposant en des mouvements tourbillonnaires multiples, complexes et changeants. Sur l’eau chaude ainsi accumulée (la température superficielle dépasse 28 °C pendant les trois quarts de l’année) se développe une certaine instabilité atmosphérique qui se manifeste dans l’abondance des pluies (comme dans les parages des Philippines, de Bornéo, de la Nouvelle-Guinée, où elles dépassent 3 m par an) et dans les passages redoutés des cyclones (connus sous les noms de « baguio » aux Philippines, de « typhon » en mer de Chine méridionale et de « willy-willies » dans les mers du nord de l’Australie), qui, tout au long de leurs trajectoires paraboliques, soulèvent une houle haute et longue d’est aux effets dévastateurs.

Le déplacement des masses d’eau, strictement soumis à la mousson, présente dans l’ensemble un mouvement alternatif unissant l’Asie à l’Australie, mais rendu complexe et confus dans le détail par l’extraordinaire compartimentage des reliefs et la profondeur des golfes, où se forment des circuits pratiquement autonomes. En hiver (boréal), de novembre à avril, le courant nord-équatorial, ralenti dans sa progression vers le nord, délègue une part de ses eaux vers l’ouest, où, par le chenal de Bashi, elles pénètrent en mer de Chine méridionale ; elles y reçoivent à droite celles qui ont transité par le détroit de Formose. Il s’ensuit un grand mouvement de descente vers le sud, qui, déporté vers l’ouest (force de Coriolis), s’accélère et plonge contre la marge continentale du Viêt-nam. Du courant principal s’individualisent des branches quasi autonomes dans les golfes du Tonkin, de Thaïlande (où le mouvement de rotation cyclonique s’accompagne d’une remontée des eaux sur la rive cambodgienne), puis dans le détroit de Macassar. La plus grande partie pénètre en mer de Java, où elle reçoit le courant de Macassar (branche dérivée du courant nord-équatorial) avant d’emprunter une succession de « bassins profonds où elle se divise en dirramations distinctes : l’une (ou courant des Moluques) gagne le nord, puis, à l’est d’Halmahera, bifurque vers le sud pour former le courant de Mélanésie, qui se jette dans le courant sud-équatorial dévié vers le sud. Une autre branche, grossie par le courant de Java (v. Indien [océan]) pénètre sur la plate-forme de la mer d’Arafura, où elle décrit de très nombreux tourbillons. Finalement, par le détroit de Torres encombré de coraux, elle passe en mer de Corail, où elle impose une circulation à prédominance méridienne : entre le courant est-australien (dont les eaux baignent la magnifique Barrière de Corail) et les prolongements méridionaux du courant sud-équatorial (qui s’écoulent autour des Nouvelles-Hébrides et de la Nouvelle-Calédonie) s’établissent des tourbillons cycloniques qui ramènent à contre-vent les eaux vers l’archipel des Salomon.

En été (de mai à octobre), les vents sont inversés et soufflent du sud-est dans l’hémisphère austral et du sud-ouest dans le nôtre, en provoquant un retour généralisé des eaux vers l’Asie. Au sud, le courant sud-équatorial chemine vers le nord (où il diverge devant les Salomon avant de se jeter dans le contre-courant) ou pénètre largement en mer de Corail, où il est dévié en passant sur les hauts-fonds ou la plate-forme corallienne du Queensland. Puis les eaux gagnent les bassins indonésiens (avec un upwelling actif dans le golfe de Carpentarie et en mer d’Arafura), où elles reçoivent sur leur droite les courants de la mer de Banda et du détroit de Macassar qui proviennent des courants nord- et sud-équatoriaux. Après la traversée de la mer de Java, la remontée vers le détroit de Formose s’accompagne de rotations indépendantes et de déviations créatrices d’upwellings, comme sur les rivages thaïlandais du golfe du Siam et devant le Viêt-nam central. Sous cet écoulement saisonnièrement inversé en surface, la morphologie des seuils et des bassins (dont la profondeur peut dépasser 5 000 m) canalise le parcours des eaux de fond venues non pas de l’océan Indien (celles-ci ne s’aventurent en mer d’Arafura que grâce à la présence de la fosse de Timor), mais pour leur plus grande part de l’océan Pacifique. Les eaux franchissent aisément les seuils bas et, en passant vers l’ouest de bassin en bassin, s’y ralentissent tout en se réchauffant (de quelques degrés) et en s’appauvrissant en oxygène.

Toutes les eaux chaudes de surface se distinguent par l’intensité de leur brassage (d’autant que la marée gagne en marnage sur toutes ces plates-formes très étendues), favorable au grand développement de la construction corallienne, par l’amplitude des températures (notamment devant le golfe du Tonkin et du Queensland) et l’importance de la dessalure. En été, les volumineux apports des fleuves du Sud-Est asiatique, les précipitations très abondantes en mer expliquent que la salinité tombe au-dessous de 33 p. 1 000 sur toutes les plates-formes depuis Taiwan jusqu’à la mer de Java. C’est l’intensité saisonnière des remontées d’eau profonde qui a rendu possibles très tôt la cueillette des produits de la mer et la pêche littorale, qui ont toujours joué un rôle important dans l’activité et l’alimentation des populations riveraines, lesquelles, à cet égard, présentent une remarquable homogénéité de comportement depuis la Chine du Sud jusqu’aux confins des pays malais. Grâce aux investissements nationaux et internationaux (soutenus par le crédit américain), cette pêche s’est rapidement modernisée, tout particulièrement au Viêt-nam du Sud, à Hongkong et à Taiwan. Les anciennes et pittoresques barques à voile ont pratiquement disparu, remplacées par des navires modernes comme les grands chalutiers et les thoniers palangriers de Taiwan. Toutes ces mers sont devenues le champ d’expansion des pêches japonaises, depuis la mer de Chine méridionale, régulièrement fréquentée par les chalutiers nippons, jusqu’aux parages des côtes du Queensland, exploités par les thoniers de Honshū. Les compagnies japonaises y ont essaimé de très nombreuses bases de pêche pour le thon, comme à Singapour, sur les côtes du nord de Bornéo, aux îles Salomon (dont les abords orientaux sont très riches), aux Nouvelles-Hébrides. Les Australiens développent depuis peu la pêche de la crevette dans la mer de Corail.