Orthoptères (suite)
Les Criquets, inaptes à se grégariser et dont les pullulations n’entraînent que la formation de foules non cohérentes, forment la grande majorité des espèces. Leur multiplication « effrénée » (parfois observée dans les régions arides ou semi-arides) aboutit purement et simplement à un accroissement de leur nombre, la concentration des individus n’étant pas nécessairement modifiée ; les dégâts qu’ils occasionnent à la végétation et aux pâturages sont de nature « abrasive », rappelant la coupe uniforme d’une tondeuse sur de vastes étendues.
Les Locustes sont les Acridiens aptes à se grégariser. Elles groupent une dizaine d’espèces de grands « voiliers » (Locustes pèlerine, migratrice, nomade, etc.) qui apparaissent en nuages immenses, se déplaçant sur des milliers de kilomètres et dévastant des continents entiers. Elles occasionnent une destruction « à l’emporte-pièce » : les grégaires concentrent leurs efforts sur des points déterminés. Les Acridiens « grégariaptes » sont des espèces polymorphes, qui possèdent l’aptitude à réagir aux modifications du milieu en prenant des formes, des couleurs, des caractères physiologiques et un comportement très différents. Ces formes, ou phases, constituent une série continue, les phases extrêmes solitaire et grégaire étant réunies par des formes intermédiaires (théorie des phases, énoncée par sir Boris Uvarov en 1921) [v. groupe (effet de)]. C’est l’« opportunisme écologique » qui marque de son empreinte le polymorphisme phasaire. La grande malléabilité physiologique des Acridiens grégariaptes leur permet en effet de faire face à tout moment à l’instabilité des conditions du milieu, de s’adapter à des conditions écologiques diamétralement opposées. Solitaire, la Locuste mène une vie essentiellement sédentaire et végétative, exploitant les richesses immédiatement disponibles d’un biotope normalement généreux. Relativement immobile, le solitaire fait corps avec son habitat ; il ne se déplace qu’à l’intérieur du biotope habituel et suit tous les déplacements de ce dernier ; son activité essentielle porte sur la reproduction. En groupe, la Locuste s’adapte aux biotopes les plus austères, par suite de la résistance et de la mobilité qu’elle acquiert. La survie des grégaires est en effet conditionnée par leur mobilité, celle-ci dépendant essentiellement de la cohésion des effectifs et de l’intensité de la stimulation mutuelle. La vie en groupe permet donc de coloniser de façon passagère un biotope interdit aux isolés. S’il n’existait que deux castes bien tranchées, la caste solitaire et la caste grégaire, les Insectes n’arriveraient sans doute pas à survivre lors d’une modification brusque des conditions écologiques. La grégarisation constitue une réponse, parmi d’autres, à l’instabilité du milieu et, notamment, à l’instabilité provoquée par l’Homme, qui exploite la terre et perturbe les habitats naturels. Des vols massifs d’Acridiens ont en effet lieu de nos jours chez des espèces jusqu’alors non reconnues aptes à se grégariser.
F. O. A.
➙ Grillons / Sauterelles.
P.-P. Grassé (sous la dir. de), Traité de zoologie, t. IX (Masson, 1949 ; nouv. éd., 1965). / F. O. Albrecht, Polymorphisme phasaire et biologie des acridiens migrateurs (Masson, 1967).