Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

orthographe (suite)

L’idéal est évidemment représenté par les principes de l’alphabet phonétique : un signe et un seul pour chaque son, un son et un seul pour chaque signe. En réalité, l’orthographe d’une langue étant fondée sur des conventions, la pauvreté d’un alphabet n’empêche pas celui-ci d’être adéquat à représenter des langues riches en sons. On compense très bien l’absence de signes spécifiques par des combinaisons de lettres auxquelles on affecte la valeur d’une lettre nouvelle : ainsi, la combinaison de c et de h peut être considérée comme un signe (on parle de digramme). De même, on peut utiliser des signes complémentaires (signes diacritiques) qui modifient la valeur initiale : ainsi les accents grave et aigu sur e pour lui donner la valeur de è ou é. Enfin, on utilise les contextes : les lettres a + n dans certaines positions noteront une voyelle nasale, tel le -an- de amant, et e sans accent devant une double lettre transcrira é [e] ou è [ε]. Ces conventions sont sans doute un peu plus compliquées à apprendre et à retenir que des lettres simples, mais, les habitudes une fois acquises, il n’y a plus de difficultés.


Comment suivre l’évolution ?

Ce qui complique tout c’est que, la langue évoluant, les transcriptions ne changent pas ou ne changent que très peu. C’est ainsi que le français transcrit toujours le nom de roi [r w a] comme quand il se prononçait r- o- i-. D’une manière générale, une génération résiste à la modification de l’orthographe qu’elle a acquise. De plus, les modifications au système existant ne sont jamais appliquées de manière uniforme : ainsi, l’utilisation des accents pour noter é et è n’a pas été étendue aux deux timbres de o, et, en outre, là où on avait imaginé d’autres procédés, on les a laissés subsister.

C’est ainsi qu’on n’a pas modifié l’orthographe je jette / nous jetons, alors que, compte tenu de l’introduction des accents, on aurait pu écrire je *jète / nous jetons.


Orthographe, étymologie et familles de mots

Un autre souci de l’orthographe a été, comme on l’a vu précédemment, de rappeler l’étymologie. De nos jours, ce genre de préoccupations réapparaît sous une nouvelle forme, celle des familles de mots. Prenons par exemple le mot champ. On a maintenu ou réintroduit la lettre -p à la finale pour rappeler orthographiquement le latin campus, dont champ est issu. Or, -p ne se prononce plus, même pas en liaison, mais champ a par exemple pour dérivé champêtre. Est-il possible d’affirmer que le rappel de la dérivation n’a pas d’importance ? Et ce qui est vrai pour champ l’est aussi pour sang (sanguinaire, sanglant) et pour des centaines d’autres mots.


La représentation de rapports grammaticaux ou des différences sémantiques négligées par le code oral

Il est permis de penser que l’orthographe peut apporter à la lecture des informations que n’apporte pas la langue orale. Ainsi, si j’écris les hommes aiment les vacances, aiment rappellera le nombre (pluriel) des hommes, comme la lettre -s de vacances rappellera le pluriel de ce mot (vacance [singulier] a un autre sens). Qu’il y ait d’autres moyens de connaître le nombre de ces mots (article les par exemple) ne prouve pas l’inutilité du rappel. La manière dont, selon la théorie de l’information, se fait la communication montre qu’une donnée a besoin d’être rappelée, car elle peut avoir été oubliée ou négligée. De même, une phrase à double sens quand elle est prononcée pourra ne pas être ambiguë à l’écriture : ainsi le dessein / dessin de cet homme est digne d’attention. C’est ainsi que l’orthographe permet de savoir si est saint, ceint, sain, seing ou sein.


La complication et la difficulté de l’orthographe

Toutes ces raisons, excellentes en elles-mêmes, ont toutefois pour conséquence une très grande complexité de l’orthographe française. Voici à titre d’exemple le tableau des suites de lettres par lesquelles on peut représenter le son [ε] en français.

La conséquence en est une très grande difficulté d’apprentissage, qui a eu pour corollaire les décisions imposant la dictée comme épreuve déterminante pendant toute la période de la scolarité obligatoire. En 1835, l’orthographe de l’Académie a été décrétée orthographe officielle, et son enseignement imposé dès l’école primaire. On explique cette place privilégiée de l’orthographe dans l’enseignement par la volonté de consacrer le plus de temps au plus difficile ou par le désir de juger les élèves selon des critères qui laissaient jouer à plein l’héritage socio-culturel. De toute manière, depuis un siècle et demi, l’étude de l’orthographe absorbe l’essentiel des efforts des enfants. D’où le grand nombre de réformes proposées.


Les projets de réforme

La fin du xixe s. a vu naître un grand nombre de mouvements pour la réforme : projet d’Ambroise Firmin-Didot en 1867, action de la Revue de philologie française de Léon Clédat (qui paraissait en orthographe simplifiée), rapport d’Octave Gréard et enfin réforme de 1901.

En 1900, dans un rapport, Gaston Paris proposait un nombre non négligeable de simplifications, tout en dénonçant les chicanes de l’orthographe française. Il intéressa à son projet le ministre Georges Leygues, qui prit un premier arrêté (juill. 1900) proposant des « tolérances ». Mais, devant une violente campagne, il revint sur sa décision, consulta l’Académie française et publia un second texte beaucoup moins audacieux (26 févr. 1901). Le demi-échec de cette réforme et la pression idéologique et politique contre toute simplification ont eu pour conséquence l’insuccès total des nouvelles entreprises de Ferdinand Brunot, d’É. Faguet, d’A. Dauzat (1939), de la commission Langevin (1945), de M. Beslais, qui, en 1952 et en 1965, a déchaîné de nouveau, comme au début du siècle, les plus vives querelles, sans aboutir au moindre résultat.

Les réformes envisagées ont été de trois ordres.

• L’orthographe libre, ou anarchisme orthographique. Chacun écrit à sa manière ; ce système est contraire à toutes les exigences de la communication par l’écrit, qui suppose l’accord de l’émetteur et du destinataire du texte.

• L’orthographe phonétique. Pratiquée en linguistique, elle a ses avantages, mais ignore le problème des mots de même prononciation, si fréquents en français et que l’orthographe permet de distinguer. Et on rappelle également que la forme écrite d’une langue forme, elle aussi, un système.

• L’orthographe simplifiée. Les réformateurs les plus désireux d’aboutir ont proposé des simplifications.

F. Brunot a préconisé la conformité entre simple, dérivé et composé (*courier comme courir), l’analogie entre mots de même origine (*barique comme baril), la francisation des lettres grecques ph, ch, rh et la disparition de la lettre h d’origine grecque.

J. Laffite-Houssat (entre autres), demande la généralisation de -s comme marque du pluriel, l’invariabilité de vingt et de cent, du participe passé conjugué avec avoir, la suppression des consonnes doubles.

A. Dauzat a proposé une série plus limitée de simplifications, mais l’opposition à tous ces projets a toujours été aussi vigoureuse.