surhomme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Trad. de l'allemand Ubermensch.

Philosophie Moderne

Chez Nietzsche, processus par lequel l'homme devient ce qu'il est.

Une lecture sommaire des textes de Nietzsche a pu aisément conduire à mal comprendre ce que cet auteur entend par surhomme.

Lorsqu'on lit par exemple que « le mot “surhomme” » désigne « un type réussi au plus haut point » qui « s'oppose à l'homme “moderne”, à l'homme “bon” »(1), on peut être tenté de penser que le surhomme nietzschéen relève d'une espèce particulière d'humanité, qui se distinguerait d'une humanité inférieure.

Des paroles de Zarathoustra, qui « enseigne le surhomme » en affirmant que « l'homme est quelque chose qui doit être surmonté »(2), on peut également conclure trop précipitamment que le surhomme ne serait plus un homme – d'ailleurs, Nietzsche ne soutient-il pas que « surhumain » et « inhumain » « vont ensemble »(3) ?

Or, ce qui suffit à mettre en défaut ces deux interprétations, c'est le fait que Nietzsche oppose principalement « surhomme » à « dernier homme »(4). Ainsi, toutes les figures contraires à celle du surhomme ne le sont qu'en tant que figures du dernier homme – tel est, par exemple, le cas de l'homme « moderne » et de l'homme « bon » que Nietzsche qualifie de « nihilistes »(5). Le surhomme n'est donc pas plus extérieur à l'humanité qu'il n'appartient à une espèce particulière d'hommes : il relève de l'humanité qui persiste dans son être. C'est pourquoi Nietzsche peut écrire que le surhomme est « le sens de [l']être [de l'homme] »(6). En conséquence, la compréhension de la notion de surhomme doit faire appel aux concepts nietzschéens qui éclairent tout ce qui est, à savoir la volonté de puissance et l'éternel retour.

La volonté de puissance n'est pas volonté de conservation(7). La puissance se déploie, c'est-à-dire sacrifie toujours ce qu'elle était précédemment : c'est « là où il y a sacrifice » qu'« il y a aussi volonté d'être maître »(8). Autrement dit, si la puissance surmonte, elle se surmonte d'abord elle-même : « Je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même.(9) » Ainsi, surmonter l'homme – le propre du surhomme –, ce n'est en aucun cas sortir de l'humanité : l'inhumanité du surhomme est la marque même de son humanité. À l'inverse, si le dernier homme est « ce qu'il y a de plus méprisable », c'est qu'il « ne peut pas se mépriser lui-même » ; aussi, il est celui « qui vit le plus longtemps »(10).

On voit également par là que le surhomme ne peut être compris comme un but, un achèvement que l'humanité chercherait à atteindre. En tant que mouvement même de déploiement de la puissance, le surhomme habite chaque étape du devenir de l'homme. C'est pourquoi le surhomme illustre l'éternel retour(11) en particulier, c'est le bonheur du surhomme qui nous dit « le secret que tout revient »(12). Car le défaut de bonheur signifierait « inachèvement »(13) ; or, le surhomme parvient « à chaque étape à arriver à la plénitude et au bien-être »(14). Aussi, s'il est en devenir, il ne devient jamais ce qu'il n'est déjà : est sien le commandement : « Deviens ce que tu es.(15) »

Igor Sokologorsky

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Ecce homo, « Pourquoi j'écris de si bons livres », § 2, in Friedrich Nietzsche, Sümtliche Werke, Kritische Studienausgabe, éditée par Giorgio Colli et Mazzino Montinari, 1988, New York / Berlin, dtv / de Gruyter (abrégé plus loin en KSA), t. 6, p. 300.
  • 2 ↑ Ainsi parlait Zarathoustra, première partie, « Le prologue de Zarathoustra », § 3, KSA, 4, p. 14.
  • 3 ↑ Automne 1887, 9 [154], KSA 12, p. 426.
  • 4 ↑ Novembre 1882-février 1883, 4 [171], KSA, 10, p. 162.
  • 5 ↑ Ecce homo, « Pourquoi j'écris de si bons livres », § 2, KSA, 6, p. 300.
  • 6 ↑ Ainsi parlait Zarathoustra, première partie, « Le prologue de Zarathoustra », § 7, KSA 4, p. 23.
  • 7 ↑ Automne 1885-automne 1886, 2 [63], KSA 12, p. 89.
  • 8 ↑ Ainsi parlait Zarathoustra, deuxième partie, « Du fait de se surmonter soi-même », KSA, 4, p. 148.
  • 9 ↑ Loc. cit.
  • 10 ↑ Ibid., première partie, « Le prologue de Zarathoustra », § 5, KSA, 4, p. 19.
  • 11 ↑ Automne-été 1883, 15[10], KSA, 10, p. 482.
  • 12 ↑ Automne 1883, 20[10], KSA, 10, p. 593.
  • 13 ↑ Hiver 1883-1884, 24[28], KSA, 10, p. 662.
  • 14 ↑ Automne-été 1883, 15[10], KSA, 10, p. 482.
  • 15 ↑ la Gaie Science, livre troisième, § 519, KSA, 3, p. 519.

→ nietzschéisme, valeur