scepticisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin tardif scepticus (1430), traduction du grec skeptikos, de skepsis, « examen ».


L'art perturbé des sceptiques, symbolisé par les discours thétiquement contradictoires de Carnéade, ne possède pas seulement un sens au sein du conflit des doctrines, mais porte aussi atteinte à ces vérités qui relèvent plus de la morale que de la science. En ce sens il s'est opposé, dans ses diverses formes, à toute soumission au religieux.

Philosophie Antique

Courant philosophique grec, appartenant à plusieurs écoles, caractérisé par la suspension de l'assentiment (epokhê), l'absence de certitude dans la vie quotidienne et les sciences et le refus de se prononcer sur la réalité des choses.

Historique

On distingue en général quatre phases du scepticisme antique : [1] Pyrrhon (360-270) et son disciple Timon ; [2] la période de l'Académie dite « nouvelle Académie », d'Arcésilas (316-241) à Carnéade (214-129) ; [3] le renouveau pyrrhonien inauguré par Énésidème (probablement au ier s. av. J.-C.) et continué par Agrippa ; [4] le scepticisme des médecins empiriques, de Ménodote à Sextus Empiricus (iie / iiie s. après. J.-C.).

Cela ne va pas sans difficulté : Pyrrhon ne s'est jamais appelé lui-même « sceptique » ; Arcésilas, malgré son admiration pour Pyrrhon, ne s'est jamais réclamé de lui, mais de Platon, et il ne s'est jamais considéré comme un « sceptique » ; beaucoup de sceptiques contestent vigoureusement l'assimilation aux sceptiques des académiciens, qu'ils accusent de dogmatisme ; enfin Sextus lui-même critique les empiriques et se rattache plutôt aux médecins « méthodiques »(1).

Contrairement aux autres courants philosophiques de l'Antiquité, le scepticisme n'est pas une école. Mais la tradition qui consiste à regrouper sous le nom de « sceptiques » les académiciens et les « pyrrhoniens » est apparue très tôt dans l'Antiquité (Aulu Gelle, Nuits attiques, XI, 5, 5). Il faut donc distinguer ceux que, dès l'Antiquité, on appelle des sceptiques (courants [1] à [4]), de ceux qui s'appellent eux-mêmes « sceptiques », « pyrrhoniens » ou « éphectiques » [= ceux qui pratiquent l'epokhê], à savoir seulement les courants [3] et [4].

Le mode de pensée sceptique

Les sceptiques déclarent ne pas avoir de dogme. Il est donc en principe impossible de leur assigner une doctrine. Mais ils ont une agôgê, c'est-à-dire à la fois une « éducation » et une « manière de vivre » (H.P., I, 16-17). C'est « la capacité d'opposer les uns aux autres les phénomènes aussi bien que les pensées, de toutes les manières possibles, et d'arriver à partir de là, à cause de la force égale des choses et des raisonnements opposés, d'abord à l'abstention, et après cela à la tranquillité [ataraxie] » (H.P., I, 8).

Le sceptique constate l'existence de sensations et de théories philosophiques contradictoires, remarque qu'elles sont d'égale force [isosthénie], et refuse de se prononcer sur la réalité des choses. D'après Diogène Laërce (IX, 105), Timon disait : « je n'affirme pas que le miel est doux, j'admets seulement qu'il paraît doux ». Il s'inspirait de Pyrrhon qui, au lieu de chercher à connaître la réalité, renonçait à connaître la nature des choses et pratiquait l'aphasie (absence de discours), ce qui le conduisait à l'ataraxie.

La difficulté d'une telle attitude est qu'elle ne paraît pas applicable dans la vie quotidienne, où il faut se fier à ses sensations. On racontait que Pyrrhon, fort de sa défiance à l'égard des sens, ne prenait aucune précaution et aurait été victime d'accidents si ses familiers n'avaient été là pour le prémunir des dangers en se fiant, eux, à leurs sens (D.L., IX, 62). Mais les sceptiques admettent en général la nécessité de se fier aux « phénomènes », c'est-à-dire aux choses telles qu'elles apparaissent, et c'est aux théories scientifiques et dogmatiques qu'ils refusent leur assentiment.

C'est ce qui les conduit à s'inspirer largement des pratiques d'Arcésilas, qui réfutait les thèses philosophiques opposées. En s'inspirant des dialogues de Platon où, disait-il, « on argumente pour et contre beaucoup de thèses » sans rien affirmer, Arcésilas avait restauré la pratique socratique de l'elenchos, ou réfutation : il n'affirmait rien, écoutait les opinions de ses adversaires et les réfutait(2). Son principal adversaire étant le stoïcien Zénon, il réfuta sa doctrine de la katalêpsis et montra qu'en conséquence le sage devait pratiquer une epokhê généralisée(3). Pour réfuter la doctrine de la katalêpsis, les académiciens utilisèrent toute une batterie d'arguments repris par les sceptiques : erreur des sens, délire des fous et des ivrognes, impossibilité de distinguer le rêve de la réalité, objets indiscernables (jumeaux, œufs)(4).

Qu'Arcésilas ait pris l'epokhê généralisée à son compte ou qu'il l'ait seulement opposée à Zénon, elle devint le concept clé du scepticisme. En revanche, il fut accusé de dogmatisme par les pyrrhoniens pour avoir dit que « les choses sont inconnaissables », et soupçonné d'avoir voulu secrètement défendre les dogmes platoniciens.

À partir d'Énèsidème, les sceptiques développèrent des « tropes » ou « modes », dont les principaux sont les dix modes d'Énèsidème (H.P., I, 36-163) et les cinq modes d'Agrippa (I, 164-177).

Les modes d'Énèsidème soulignent le caractère contradictoire de la façon dont apparaissent les choses et l'impossibilité de trancher entre ces apparences contradictoires. Quatre modes sont tirés des différences entre observateurs ; deux sont tirés de la différence entre les choses jugées (par exemple, une variation de quantité fait varier la sensation) ; quatre des deux à la fois (par ex., les sensations varient selon la position respective de l'observateur et de ce qui est observé).

Ces modes sont des modes de la vie quotidienne, tandis que les modes d'Agrippa attaquent la connaissance dogmatique et scientifique. Le premier mode est celui du désaccord (diaphônia) entre des positions incompatibles. Si l'on essaie de donner un motif en faveur de l'une des positions, chaque justification doit à son tour être justifiée et l'on tombe dans la régression à l'infini (second mode). Si l'on essaie d'y échapper en s'arrêtant à une hypothèse non démontrée, le quatrième mode montre que cette hypothèse est une supposition arbitraire. Si l'on essaie d'échapper à cet arbitraire, on tombe dans un diallèle ou raisonnement circulaire (cinquième mode). Ces modes semblent réfuter les arguments d'Aristote dans les Seconds Analytiques (I, 3). La solution de ce dernier pour éviter les hypothèses arbitraires était qu'il y a une connaissance immédiate des premiers principes, connus par soi, ce qu'Agrippa nie dans le troisième mode, le mode du relatif, selon lequel l'objet extérieur n'est pas connu par soi mais est relatif à l'observateur.

Si certains arguments du scepticisme de la vie quotidienne peuvent paraître insuffisants, les arguments académiciens transmis par Cicéron ont influencé tout le scepticisme classique, notamment celui des Méditations métaphysiques cartésiennes, et les modes d'Agrippa restent d'une grande force.

Jean-Baptiste Gourinat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, I, 236-241.
  • 2 ↑ Cicéron, Académiques, I, 45-46 ; De Finibus, II, 2 ; V, 10.
  • 3 ↑ Cicéron, Académiques, I, 43-45 ; II, 66-67.
  • 4 ↑ Cicéron, Académiques, II, 79-89 ; Sextus, Adversus Mathematicos, VII, 403-414.
  • Voir aussi : Un nombre important de fragments et de témoignages sur Pyrrhon, les académiciens et les sceptiques est rassemblé dans A. Long et D. Sedley, Les philosophes hellénistiques, GF-Flammarion, Paris, 2001, vol. I et III.

→ ataraxie, critère, epokhê, trope

Morale, Politique

Le pyrrhonisme antique s'oppose au « dogmatisme » éthique, qui affirme l'existence, divine ou naturelle, d'une norme de l'action. En observant la loi d'« isosthénie » (force égale des choses), le pyrrhonien renvoie face à face les comportements (phénomènes) et les préceptes (noumènes) ; l'action ne peut donc être jugée bonne ou mauvaise, pas plus que son mobile ou son but : « Car ce qui paraît juste aux uns paraît laid aux autres »(1), le bien et le mal sont choses indécidables. Cependant, l'ataraxie (tranquillité) étant l'unique chose que le sage désire, celui-ci doit se conformer, à défaut d'autre chose, aux coutumes de son pays et aux préceptes apparents de la nature.

Le scepticisme de la Renaissance et de l'âge classique, s'il fait davantage porter le doute sur le savoir objectif, ne met pas de côté les questions éthiques. Du point de vue politique, le sceptique est d'abord un citoyen ; pour Montaigne, « c'est la règle des règles, et générale loi des lois, que chacun observe celle du lieu où il est »(2). Vivre selon la coutume est une nécessité pratique ; elle n'engage cependant pas le sceptique à approuver les lois et les institutions auxquelles il se soumet de fait. Les lois sont humaines, contingentes et particulières, incapables de valoir comme normes universelles : « Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà.(3) » Du point de vue éthique, le scepticisme classique insiste sur la capacité de l'homme à être moral sans croire aux principes de la moralité. Il refuse l'idée d'universalité éthique sous toutes ses formes ; ce refus conduit à la fois au relativisme des mobiles de l'action (Machiavel)(4) et à la recherche d'un fond éthique commun à tous les hommes dégagé de la religion (Hume)(5).

Bérengère Hurand

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Diogène Laërce, IX, 83.
  • 2 ↑ Montaigne, Essais i, xxiii, GF-Flammarion, Paris, 1994, p. 65.
  • 3 ↑ Pascal, Bl., Pensées, 294, édition L. Brunschvicg, Garnier, Paris, 1987, p. 465.
  • 4 ↑ Machiavel, N., le Prince, GF-Flammarion, Paris, 1987.
  • 5 ↑ Hume, D., les Dialogues sur la religion naturelle, trad. M. Malherbe, Vrin, Paris, 1997.
  • Voir aussi : Charron, P., De la Sagesse, Fayard, Paris, 1986.
  • Conche, M., Pyrrhon ou l'apparence, Éditions de Mégare, Villiers-sur-Mer, 1973.
  • Brahami, F., le Travail du scepticisme : Montaigne, Bayle, Hume, PUF, Paris, 2001.
  • Vuillemin, J. « Une morale est-elle compatible avec le scepticisme ? » in Philosophie, no 7, 1985.

→ action, loi, morale, norme, universel