reconnaissance

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Les usages philosophiques de la notion de « reconnaissance » sont multiples et souvent ambigus. La reconnaissance peut s'entendre au triple plan du cognitif, du moral et du social, ouvrant ainsi la triple perspective de l'identité, de la dignité et de l'estime.

Morale

1. Au plan cognitif, la reconnaissance désigne le problème de l'identification d'autrui en tant que tel : il s'agit alors de savoir comment il est possible que nous sachions identifier autrui comme un alter ego, comme un autre soi. Cette vaste problématique court de Descartes jusqu'à la phénoménologie en passant par Kant et Fichte. – 2. La seconde problématique, celle de la dignité de l'homme et du respect, est directement liée à la première dans la mesure même où je ne puis reconnaître moralement un homme et le respecter comme tel si je ne l'ai pas tout d'abord identifié en tant qu'homme. – 3. Le troisième axe est celui de la reconnaissance sociale : il s'agit alors non plus de la dignité, mais de l'estime que s'attire un individu ou un groupe en fonction des prestations sociales qui sont les siennes. Être reconnu ici, c'est jouir d'une visibilité sociale, d'une estime, c'est avoir de l'honneur.

Axel Honneth(1) a récemment élaboré le projet de fonder une « grammaire morale » des conflits sociaux ou des luttes sociales grâce à une réactualisation du modèle théorique de la « lutte pour la reconnaissance » élaboré par Hegel dès ses écrits de jeunesse à Iéna (1801-1807). La lutte pour la reconnaissance s'engage, selon Honneth, sur le fond d'attentes normatives qui sont de teneur essentiellement morale. Plus exactement, la déception d'attentes normatives, dont la satisfaction est jugée indispensable au maintien de son identité par un individu ou un groupe (cette déception prenant la forme de l'expérience morale du mépris), peut avoir pour conséquence de jeter cet individu ou ce groupe dans la lutte sociale en tant que lutte pour la reconnaissance orientée vers la conquête des conditions sociales nécessaires au maintien d'un rapport positif à soi.

Honneth retient du modèle hégélien d'abord l'idée que c'est en étant confirmé par l'autre dans son activité propre qu'un individu parvient à se comprendre lui-même comme un sujet individualisé et autonome. Suivant Hegel, Honneth ajoute ensuite l'idée qu'il existe différentes formes de reconnaissance réciproque qui se distinguent les unes des autres en fonction du degré d'autonomie qu'elles permettent à l'individu d'atteindre. Ainsi, dans les textes hégéliens de la période d'Iéna, apparaissent trois milieux distincts d'existence (l'« amour », le « droit » et l'« éthicité ») au sein desquels les individus font l'expérience de relations de reconnaissance réciproque qui leur permettent d'accéder à un degré à chaque fois plus élevé d'autonomie. Honneth dégage enfin une troisième thèse hégélienne : la reconnaissance n'est pas trouvée ni octroyée, mais doit toujours être conquise au prix d'une lutte – et cela parce que l'autonomie apparaît toujours sur le mode d'une demande ou d'une revendication.

Franck Fischbach

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, Cerf, Paris, 2000.

Philosophie Contemporaine, Morale, Politique

Concept qui s'inscrit dans le contexte du débat contemporain sur le traitement démocratique du multiculturalisme.

Sur le plan anthropologique, la reconnaissance renvoie à la problématique de la constitution du sujet : les êtres humains acquièrent et développent une individualité propre à travers un processus d'acceptation et d'identification réciproques. Posée dans le contexte des sociétés démocratiques modernes, la question de la reconnaissance devient celle du respect égal d'individus porteurs d'identités culturelles différentes. Elle soulève alors le problème du droit des minorités.

L'individuation par la reconnaissance

Au xxe s., les sciences humaines ont montré que la relation à l'autre médiatisée par le langage précède la subjectivité entendue comme conscience de soi. S'inscrivant pleinement dans ce « tournant linguistique »(1), le Canadien Ch. Taylor et l'Allemand A. Honneth établissent un lien constitutif entre reconnaissance et identité. À travers une réinterprétation de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, ils affirment que notre identité peut s'avérer gravement mutilée, si elle ne bénéficie pas de l'assentiment d'autrui(2). Or, cette reconnaissance est obtenue par le biais d'un langage qui véhicule des valeurs culturelles particulières(3). Dès lors, l'identité personnelle dépend, pour se maintenir, de son interaction avec la communauté culturelle dans laquelle elle s'est formée.

Démocratie et reconnaissance identitaire

Dans le contexte des sociétés multiculturelles contemporaines, cette redéfinition de l'individualité en termes intersubjectifs et culturels appelle une modification de notre compréhension des fondements démocratiques. Pour Taylor, le principe selon lequel tous les hommes sont également dignes de respect devrait être reformulé de manière différentielle : ce qui est digne d'être politiquement reconnu et respecté dans l'individu serait non seulement ce qu'il a d'universel, mais surtout sa différence et, en particulier, son identité culturelle(4). Paradoxalement, le principe démocratique de non-discrimination devrait alors être appliqué sous la forme d'un traitement politique différentiel (cf. l'affirmative action aux États-Unis).

Arguant qu'un individu est indissociable de son groupe culturel, Taylor et d'autres philosophes communautariens affirment, en outre, que le respect de l'individu suppose une reconnaissance politique de la valeur des différentes cultures(5). Autrement dit, le respect des droits individuels impliquerait la création de droits collectifs relatifs à la protection de l'intégrité des cultures. J. Habermas refuse, quant à lui, cette inférence, adoptant sur cette question une position libérale. Il invoque, d'une part, le risque d'une relativisation des droits individuels entraîné par la mise en œuvre de droits collectifs. Il affirme, d'autre part, qu'une culture doit survivre grâce au renouvellement de l'assentiment rationnel qu'elle suscite chez les individus. Pour faire face au multiculturalisme, il s'agit, selon lui, de reconnaître politiquement non les cultures en tant qu'entités collectives, mais seulement l'identité culturelle des sujets de droits individuels, modifiant ainsi le modèle démocratique classique(6).

Charlotte de Parseval

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Apel, K.-O., Penser avec Habermas contre Habermas (1989), trad. M. Charrière, L'Éclat, Paris, 1990, p. 8.
  • 2 ↑ Honneth, A., la Lutte pour la reconnaissance (1992), trad. P. Rusch, Cerf, Paris, 2000, p. 83, 208. Taylor, C., « La politique de la reconnaissance », in A. Gutmann (dir.), Multiculturalisme. Différence et démocratie (1992), trad. D.-A. Canal, Champs-Flammarion, Paris, 1997, pp. 41-43.
  • 3 ↑ Ibid., pp. 49-50. Taylor, C., la Liberté des Modernes, trad. P. de Lara, PUF, Paris, 1997, p. 47.
  • 4 ↑ Taylor, C., « La politique de la reconnaissance », art. cit., pp. 61, 92.
  • 5 ↑ Ibid., pp. 82-84.
  • 6 ↑ Habermas, J., « La lutte pour la reconnaissance dans l'État de droit démocratique », in l'Intégration républicaine. Essais de théorie politique (1996), trad. R. Rochlitz, Fayard, Paris, 1998, pp. 205-243.

→ communautarisme, libéralisme