réflexion

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin reflexum, supin de reflectere, « ramener en arrière ».

Philosophie Générale

Retour de la pensée sur elle-même en vue d'examiner et d'approfondir un de ses actes spontanés ou un ensemble de ceux-ci.

La définition physique du phénomène fait d'elle la déviation, le rebond d'un corps qui en rencontre un autre interposé. La réflexion est là de l'ordre de l'après-coup. Ainsi Descartes, dans la Dioptrique, peut-il affirmer : « Et ainsi vous voyez facilement comment se fait la réflexion, à savoir selon un angle toujours égal à celui qu'on nomme l'angle d'incidence »(1). La réflexion est donc un choc en retour d'où résulte une nouvelle trajectoire. Il s'agit d'un mouvement oblique, la structure de renvoi étant constitutive du terme de réflexion. Cependant la réflexion n'est pas une simple récurrence ou répétition : en créant un angle, elle ne coïncide pas avec le réfléchi et creuse un écart ; dès lors elle est mise à distance.

Comme opération de la pensée, la réflexion inverse le sens du renvoi : le mouvement de réflexion va de ce qui réfléchit à ce qui est réfléchi. La réflexion là n'y est pas effet mais principe : ainsi elle acquiert un sens actif que restituent les expressions « faire réflexion sur », « réfléchir à ». Le concept de réflexion distingue l'acte et le résultat ; il exige d'être décomposé entre ce qui est réfléchi – à savoir un contenu – et la réflexivité – à savoir une forme. Cependant la réflexion n'est telle que sur le fond de l'acte : « une réflexion faite » n'est plus qu'une pensée que j'ai eue, un concept dégradé de réflexion car l'acte de réfléchir soutient le concept de réflexion.

Qu'est-ce que réfléchir ? D'un point de vue psychologique, c'est être attentif à quelque chose, donc viser quelque chose de déterminé en le faisant passer au rang de thème. La réflexion est ainsi suspension de l'activité immédiate, au profit d'une concentration pour prendre en vue ce que l'on pense. Le problème est alors que la réflexion peut parfois être un acte irréfléchi ; nous ne savons pas toujours pourquoi nous réfléchissons. Toutefois dans la réflexion nous considérons expressément ce qui ne l'était pas de prime abord. Plus que l'arrêt, ce qui importe c'est le nouveau mouvement, ce par quoi nous nous confrontons à l'inconnu. Il y a donc une dimension d'ouverture et de nouveauté dans la structure de la réflexion : elle introduit une nouvelle temporalité, puisque nous prenons le temps de la réflexion, c'est-à-dire que nous donnons de la lenteur à une pensée qui d'habitude file. La réflexion s'oppose donc à la précipitation et l'on comprend qu'elle ait une importance, y compris dans le domaine de l'action. Nous éprouvons le besoin de réfléchir pour nous déterminer à agir plus lucidement(2). Ici, réfléchir, c'est revenir pour mieux voir, autrement dit faire une pause dans l'activité pour éclairer l'action : la réflexion est donc mise en lumière, seconde vue. Ainsi le discernement cartésien(3). Par la réflexion, nous voyons plus clair, nous voyons en vérité. En ce sens elle suppose une réminiscence(4) ou un souvenir, tout en s'en distinguant, comme le pose Husserl : « grâce à cette rétention est possible un regard en arrière sur ce qui est écoulé ; la rétention elle-même n'est pas ce regard en arrière qui fait de la phase écoulée un objet... Mais parce que je l'ai en tête, je peux diriger mon regard sur elle dans un acte nouveau, que nous nommons une réflexion (perception immanente) ou un ressouvenir. »(5). Réfléchir c'est donc poursuivre une investigation en pensée pour enrichir le sens de ce qui constitue l'objet de cette pensée. La réflexion est donc accès à la vérité de la chose et contraste avec la donation intuitive.

Comme recherche d'éclaircissement, elle suppose qu'il y ait « matière à réflexion ». On ne réfléchit pas dans le vide. La réflexion prend le donné pour point de départ, son mobile résidant dans le doute ou l'inquiétude, dans l'insuffisance et le problème. De ce point de vue elle change le visage des choses et invente le réfléchi. Elle suspend le mouvement spontané d'assentiment envers le monde. Tout est objet possible de réflexion, mais la réflexion constitue essentiellement une adresse à soi-même, c'est un acte de la pensée sur elle-même, une conversion. La réflexion est donc moins une opération qu'une structure interne de déploiement de la pensée. Kant explique ainsi : « La réflexion n'a pas affaire aux objets eux-mêmes, pour en acquérir directement des concepts, mais elle est l'état d'esprit dans lequel nous nous disposons d'abord à découvrir les conditions subjectives sous lesquelles nous pouvons arriver à des concepts »(6). Ce retour de la pensée sur elle-même a pour modalité chez Kant une question sur l'origine de nos représentations, relativement au pouvoir de connaître. De présence à soi de la pensée, la réflexion devient alors conscience de soi. D'un point de vue transcendantal, réfléchir c'est régler l'usage du jugement ; c'est dès lors un devoir puisqu'elle s'exerce sur nos facultés de connaissance.

Hegel critique cette conception de la réflexion kantienne comme séparation de la pensée et de l'être, scission, abstraction. La logique de la réflexion est une logique de l'apparence. Ainsi dans Foi et savoir ou dans L'encyclopédie des sciences philosophiques(7), il explique que les philosophies de la réflexion ont en commun d'être des pensées de la finitude qui posent au-delà de la raison un absolu inconnaissable. En opposant le fini et l'infini, l'entendement et l'au-delà et en ne réfléchissant pas cette opposition, la réflexion ne se pose pas objectivement. Or c'est l'absolu qui est réflexion : la réflexion doit donc être comprise comme mouvement du réel.

Husserl distingue des degrés de la réflexion(8) : réflexion naturelle ou réflexion transcendantale. La première se caractérise par le fait de maintenir la situation perçu / percevant dans le monde ; la réflexion transcendantale relativise cet ensemble au seul moi, en « mettant entre parenthèse la position du monde » (épochè). De l'un à l'autre de ces degrés, la visée réflexive déplace son intérêt et se rapproche d'elle-même. Par la réduction, l'attention porte sur la conscience et ses actes. Ce n'est plus le moi mondain qui réfléchit, mais le moi transcendantal. Réfléchir c'est devenir conscient de l'ego transcendantal(9). On peut penser la réflexion comme une perception du second degré. L'altération réflexive est de la sorte accès au savoir.

Le problème est que cette réflexion semble aveugle à ses propres opérations. Ainsi Sartre peut affirmer qu'elle est le « drame de l'être »(10).

Elsa Rimboux

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., La dioptrique, II, in Œuvres philosophiques I, éd. de F. Alquié, Bordas, Paris, 1988, p. 668.
  • 2 ↑ Descartes, R., Discours de la méthode, Flammarion, Paris, 1992.
  • 3 ↑ Descartes, R., Lettre-préface des Principes de la philosophie, Flammarion, Paris, 1996, p. 55 et p. 57.
  • 4 ↑ Platon, Le Ménon, 81b-86c, Les Belles Lettres, Paris, 1984 ; Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain, préface, éd. J. Brunschwig, Flammarion, Paris, 1990, p. 40 : « Or la réflexion n'est autre chose qu'une attention à ce qui est en nous ».
  • 5 ↑ Husserl, E., Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, Supplément IX : « Conscience originaire et possibilité de la réflexion », trad. H. Dussort, PUF, Paris, 1964, p. 159.
  • 6 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Analytique transcendante », « De l'amphibologie des concepts de la réflexion », trad. A. Delamarre et F. Marty, in Œuvres philosophiques I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, p. 988.
  • 7 ↑ Hegel, G.W.F., Encyclopédie des sciences philosophiques, trad. B. Bourgeois, Vrin, Paris, 1970.
  • 8 ↑ Husserl, E., Méditations cartésiennes, II, § 15, trad. E. Levinas, Vrin, Paris, 1986, pp. 28 sq.
  • 9 ↑ Husserl, E., La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Appendice XVI au paragraphe 29, trad. G. Granel, Gallimard, Paris, 1976, pp. 505-507.
  • 10 ↑ Sartre, J.-P., L'Être et le néant, 3e partie, I, 3, Gallimard, Paris, 1943, p. 287.

→ conscience, pensée, philosophie