preuve

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin probare, « faire l'essai, prouver ».

Mathématiques

La preuve est le résultat d'une opération qui établit une certitude indubitable et universelle, au sujet d'une proposition ou d'un fait controversé.

En un sens, l'administration d'une preuve s'oppose à la reconnaissance de la probabilité ou de la vraisemblance, en cela qu'elle leur est supérieure : la preuve est absolue et nécessaire quand la probabilité est relative et marquée de contingence.

Les mathématiciens font un usage systématique de la preuve, sous la forme de leurs démonstrations et de leurs constructions. Non seulement ils établissent de façon discursive des résultats suggérés par intuition ou expérience (ainsi lorsque Christophe Clavius partage en deux parties égales un triangle donné par une droite menée à partir d'un point donné), mais encore ils rendent indubitables des propositions qui échappent à l'intuition ou à toute inférence inductive (ainsi lorsqu'ils apportent la preuve que e est transcendant). On a pu soutenir (dictionnaire Lalande) qu'à partir du moment où une théorie est hypothético-déductive, elle n'est plus vraiment concernée par la preuve (pas plus que par le doute) ; cette opinion n'est toutefois pas entièrement convaincante ; en effet, la construction axiomatique des rationnels n'affaiblit pas le fait qu'il soit utile et significatif de prouver par exemple que q est dénombrable. On a beaucoup discuté pour savoir si la preuve mathématique devait se contenter de convaincre l'esprit sans, en outre et du même mouvement, l'éclairer. C'est le reproche que les auteurs de La logique, de Port-Royal, voire même Descartes, opposent notamment au raisonnement par l'absurde qui établit une preuve logique sans donner à voir comment se déploie la vérité.

Dans les sciences naturelles, la preuve occupe une place importante mais aussi confuse. On entend souvent que les faits apportent telle ou telle preuve en faveur d'une théorie, que telle expérience tranche une controverse et prouve l'invalidité d'une thèse. On a ainsi bâti la notion générale de preuve inductive. Il s'agit pourtant là d'une contradiction dans les termes dans la mesure où l'induction ne peut – logiquement – accéder à la nécessité et ne peut délivrer que du probable. La critique historique et épistémologique a établi comment et pourquoi les expériences ne pouvaient pas être véritablement cruciales et a montré que les preuves qu'elles fournissaient étaient généralement susceptibles de traductions théoriques et formelles distinctes. On préférera donc le vocabulaire « d'expériences d'épreuve » à celui de « preuves expérimentales » pour décrire le rapport des théories à leur effets matériels ou mesurables.

Les doctrines du droit admettent sous le nom de preuve des choix et des procédures absolument contingentes : ainsi l'intime conviction des juges est-elle probante en droit français.

La théologie a fait grand usage du concept de preuve, et d'abord pour démontrer l'existence de Dieu : Aristote a produit une preuve cosmologique du Premier Moteur, Descartes a élaboré l'argument d'Anselme de Canterbury pour en établir une preuve ontologique, par implication de l'existence à partir de l'essence. D'efficaces critiques ont été opposées, par Kant notamment, à la possibilité même d'une telle preuve.

Vincent Jullien

→ argumentation, démonstration, syllogisme




preuve ontologique

Philosophie Générale

Il n'y a, selon Kant, que trois sortes de preuves de l'existence de Dieu : ontologique, cosmologique et physico-théologique(1). Toutes ces preuves sont défectueuses, les deux dernières ne font que passer de la contingence à la cause, du conditionné à la condition elle-même. En ce sens, elles apparaissent comme fautives du point de vue d'une critique des raisonnements spéculatifs qui s'enracinent dans le dogmatisme historique. La preuve (ou argument) ontologique est certes d'une autre sorte. Apparu chez saint Anselme (1033-1109), l'argument, développé dans le Proslogion, est le suivant : tout esprit possède nécessairement l'idée d'une chose dont rien ne peut être pensé plus grand. Il n'est pas certain que, comme le veut une tradition qui aplatit Anselme dans Descartes, l'argument originaire affirme alors le passage de ce qui est dans la pensée à ce qui est existant. Anselme suppose simplement que l'existence sied naturellement, de fide, à cette idée contraignante : si je n'ai aucune intuition de ce qui peut être plus grand que Dieu, alors je puis supposer que ce qui est dans mon idée de Dieu correspond à un existant. Saint Thomas d'Aquin donnera à cet argument un retentissement qui, toutefois, ne prendra pas non plus la forme d'une déduction logique qui irait du possible (le concept de Dieu) à l'existant. Cet argument prend, chez Descartes, une autre tournure, celle qui est visée par la réfutation kantienne : si je puis former l'idée de Dieu, c'est bien celle d'une entité qui comprend au plus haut point toutes les perfections. Or, l'existence est une perfection. Donc l'une des propriétés de mon concept de Dieu affirme qu'il possède l'existence(2).

Kant oppose à cette déduction brutale l'idée selon laquelle l'existence ne saurait être un prédicat. En bonne logique, l'être est une copule qui relie un sujet à ses attributs, et ne saurait s'y confondre. Il n'y a donc rien de plus dans un objet réel que dans un objet simplement conçu. L'affirmation d'une existence ne peut être que le produit d'une expérience. Il faudrait avoir recours aux deux autres preuves pour poser éventuellement l'existence de Dieu. Or, ces preuves sont, elles aussi, fautives, comme cela a été dit plus haut. Les distinctions entre le sujet d'inhérence, la copule et le prédicat, possèdent une signification qui dépasse le cadre purement logique de leur énonciation.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Dialectique transcendantale », PUF, Paris, 2001, livre II, ch. 3, sections 4 à 7.
  • 2 ↑ Descartes, R., Principes de philosophie, Vrin, Paris, 1999, première partie ; Méditations métaphysiques, Ve Méditation, PUF, Paris, 1992.

→ Dieu, ontologie