ingenium

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin, préfixe in-, « dans », et base gen-, dont procède le verbe genere, forme archaïque de gignere, « engendrer ».

Philosophie Générale, Morale, Anthropologie

Qualités innées, nature aussi bien des hommes que des choses ; dispositions naturelles d'un être humain, tempérament, nature propre, caractère ; dispositions naturelles de l'esprit, dispositions intellectuelles ; invention, inspiration.

L'extrême complexité de ce terme tient, d'abord, au manque d'équivalent strict en français (on hésite à le traduire par « naturel, génie, esprit, complexion », selon l'occasion), puis à la double signification originelle du terme : le latin classique l'employait déjà tantôt comme « complexion, nature », c'est-à-dire « dispositions corporelles » ; tantôt comme « dispositions intellectuelles », par opposition à celles du corps. Ainsi, si le second sens est issu du premier, on le voit très vite s'en éloigner, voire s'y opposer.

Cependant, au xvie s., des penseurs espagnols et italiens, et plus particulièrement Vives et Huarte, s'attachent à penser un réel enracinement des capacités intellectuelles dans les corporelles. L'ingenium devient, pour eux, la force de l'entendement se manifestant nécessairement au moyen du corps dans lequel l'âme rationnelle est enfermée. Ainsi, l'ingenium n'étant pas une faculté de l'âme rationnelle, mais un mode de fonctionnement créatif des facultés intellectuelles de celle-ci, il ne concurrence aucunement la raison et n'a pas de place dans la topographie de l'âme. En outre, l'enracinement corporel des facultés intellectuelles permet d'expliquer les différences existant entre les individus, et d'appliquer chacun aux études qui lui conviennent le mieux (Huarte). Cette dimension corporelle disparaît au xviie s. (malgré des exceptions telles que Spinoza, pour qui l'ingenium permet de penser l'individuation et des hommes et des États) pour laisser la place à la seule dimension intellectuelle, comprise comme faculté de pénétration, apte à découvrir les relations cachées entre les choses, à créer des jeux de mots, des pointes (Gracián, Tesauro). Ainsi, le terme français « engin », qui recouvrait à peu près le sens d'ingenium, disparaît au xviie s, et Vico d'affirmer, un siècle plus tard, que la langue française, de nature analytique et critique, ne peut avoir de terme pour dire ingenium, une faculté mentale « synthétique et créatrice » qu'elle ne possède pas(1).

Marina Mestre

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Vico, G., « De nostri temporis studiorum ratione », « La méthode des études de notre temps », 1708, trad. A. Pons in Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, p. 244, Grasset, Paris, 1981.

→ âme, inné